Alice Tuyet, ambassadrice inspirée de la cuisine des légumes
Parallèlement à ses études, Alice Tuyet cuisine beaucoup à son domicile et anime, ce qui semble aujourd’hui dépassé mais qui était nettement plus novateur alors, un blog culinaire: Le Grumeau, grâce auquel elle rencontre de nombreux chefs - elle garde un souvenir ému de la bienveillance de Pierre Gagnaire. Elle enchaîne les petits boulots dans la restauration, en salle comme en cuisine. Et puis, il y a six ans, elle décide de franchir le pas et de quitter le grand groupe où elle travaille pour faire de cette passion dévorante son métier. La cuisinière autodidacte se forme alors plus sérieusement chez le restaurateur Julien Fouin, mais aussi dans la brigade d‘un restaurant gastronomique où, sans mettre de mots dessus à l’époque, elle subit ce qu’elle qualifie aujourd’hui de harcèlement. Lui donnant les clés de ce qu’elle ne voudra pas voir plus tard dans ses établissements…
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POUR LE GOÛT ET LE PLAISIR
Cette reconversion précoce s’accompagne d’un projet entrepreneurial précis: l’ouverture de restaurants consacrés à la cuisine des légumes qu’elle estime largement sous-exploitée. Vers l’âge de 26 ans, la jeune femme devient en effet végétalienne: «J’étais de plus en plus mal à l’aise avec l’idée de manger de la viande. Sans leur prêter des émotions humaines, je me suis rendu compte que les animaux ressentaient du plaisir, du stress, de la douleur. J’ai décidé que ma mission de vie serait de diminuer la souffrance sur terre, à commencer par celle des animaux, causée par l’élevage industrialisé. Dans mon projet, il y a une course à une forme de clé spirituelle et de beauté, d’harmonie, d’amour.»
Si ses propos aux accents new age peuvent sembler utopiques, Alice Tuyet n’en garde pas moins les pieds sur terre… et la main à la pâte. Après Plan D, sandwicherie gourmet lancée dès 2021 dans le 10 arrondissement de Paris, elle inaugure le bistrot Faubourg Daimant (également dans le 10), orchestre le volet food du concept store Drinks & Co pour le groupe Pernod Ricard (8) et s’apprête à lancer un restaurant ambitieux dans les locaux de L’Absinthe, l’ex-adresse de la maison Rostang (1er). Ici, la cuisine sera similaire à celle de Faubourg Daimant, mais avec des cuissons au gril Josper et un travail sur l’intensité des mousses au chocolat. Le caractère végétalien de la carte n’est jamais stipulé: «Le placarder sur la porte me semble extrêmement militant et polarisant. Cela donne l’impression que les non-végans ne sont pas les bienvenus, or c’est tout le contraire. Je veux faire des adresses qui réunissent les gens. Que ce soit pour des raisons de défense des animaux, de santé ou d’écologie, on a tous intérêt à manger davantage de végétaux. Mais pour y parvenir, la posture ne doit jamais primer sur le goût ou le plaisir.»
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Afin de séduire une clientèle le plus large possible, elle soigne autant les plats que l’accueil et le décor. Elle s’est entourée dès le début d’un chef en cuisine - aujourd’hui Erwan Crier -, mais continue d’impulser les recettes de la carte qui change tous les trois mois. Grande amatrice de sauces et de textures, elle refuse de cuisiner les substituts végétaux de viande et de poisson, mais multiplie les clins d’œil à des plats protéinés célèbres pour susciter un effet madeleine de Proust chez ses clients: bouillabaisse aux algues, croquettes cochonnes aux champignons et à la pâte de soja, chou farci aux légumes…
Chef d’entreprise (elle emploie une soixantaine de personnes, dont une seule strictement végane), restauratrice, chef cuisinière, directrice de salle, décoratrice, communicante (elle s’occupe directement des réseaux sociaux et des relations presse)… comment se définit Alice Tuyet? «Je suis un couteau suisse! J’aime faire l’analogie avec la mode et parler de “directrice créative”, dans le sens où j’ai la vision, j’embarque les gens. J’ai un rôle de chef d’orchestre, mais aussi un côté opérationnel. J’ai l’impression que mon métier est sans cesse à réapprendre et à redéfinir: vais-je trop loin dans le créatif, les opérations?» Elle dit passer énormément de temps dans ses restaurants, ouverts 7 jours sur 7 «pour créer des institutions», volant de la salle à la cuisine pour «parfairel’expérience».
La jeune femme à l’éducation catholique et bouddhiste à la fois prie tous les jours et affirme que sa pratique spirituelle l’aide à se connecter à la nature autant qu’à affronter des journées à rallonge qui commencent par du pilates et du fitness tous les matins, à 6 heures. Si elle travaille avec son époux, rencontré en école de commerce - «Je m’occupe de tout ce qui est visible, sensoriel, et lui de ce qui ne se voit pas: la comptabilité, le juridique, l’administratif…» -, lui ne se montre jamais. Alice Tuyet est la partie exposée du groupe Daimant Collective et se met régulièrement en scène sur les réseaux sociaux: «Je ne montre pas tout, mais en tant que chef d’entreprise, je m’y sens poussée pour remplir mes restaurants. Parler, c’est se sentir.