Notre critique d’Exit 8, ou le syndrome du hamster 2.0
C’est le genre de film qui prend un malin plaisir à déjouer les attentes des spectateurs. Le jeune réalisateur japonais Genki Kawamura (scénariste et producteur de Kore-Eda) a su transformer la triste banalité du quotidien en un fascinant cauchemar. Et tout ça en adaptant un simple petit jeu vidéo dont le succès surprise avait étonné les gamers lors de sa sortie il y a deux ans. On salue l’exploit.
Projeté en séance de minuit lors du dernier festival de Cannes, Exit 8 met en scène un trentenaire, filmé en caméra subjective, qui part au travail. Dans la rame bondée du métro de Tokyo, la plupart des employés de bureau de noir vêtus et encravatés, gardent le regard fixé sur l’écran de leurs smartphones. Soudain, une anomalie ! Un bébé pleure dans les bras de sa mère, incapable de le consoler. L’un des passagers, agacés, à bout de nerfs, hurle contre cette maman dépassée par les événements. Personne ne réagit. Pas même le protagoniste qui descend à la station suivante.
Passer la publicitéAu téléphone, son ex-petite amie lui annonce qu’elle vient d’entrer à l’hôpital. Elle est enceinte. Que décide-t-il? Tandis que le jeune homme suffoqué par la nouvelle emprunte les escalators pour sortir à l’air libre, la lancinante mélopée martiale du Boléro de Ravel accompagne son trajet. Il pénètre dans un couloir et avise la «Sortie 8». Il dépasse la signalétique, tourne à gauche, dépasse quelques casiers, un photomaton et... se retrouve au même endroit. Prisonnier d’une boucle infinie, il met un certain temps à comprendre les règles du jeu de ce cauchemar éveillé. Pour atteindre la sortie, il va devoir scruter la moindre anomalie. S’il n’y en a pas, il avance. Sinon, il doit rebrousser chemin. À la moindre erreur, il est renvoyé à la case départ.
Exit 8 fait partie de ces films concept qui exploitent un dispositif narratif basé sur la variation répétitive autour d’un thème. Le tout dans un décor liminaire inchangé. La déambulation ahurie du héros dans les couloirs aseptisés du métro tokyoïte fournit un dédale propice à l’angoisse. Les signes sont partout. Il faut simplement y prêter attention. En couchant le 8, nombre symbolique s’il en est, le spectateur attentif aura vite fait de comprendre que l’on obtient une lemniscate, le signe de l’infini. Enfermé dans un labyrinthe perpétuel, épié, surveillé par les yeux des affiches qui tapissent les murs de sa prison souterraine, le personnage principal baptisé «L’homme perdu» croise tour à tour une étrange jeune femme, un enfant mutique, ou un employé barbu qui trimbale sa sacoche comme un PNJ (un «Personnage non joueur»).
Genki Kawamura s’amuse également à inonder les tunnels du métro avec une violente vague marine. Elle évoque les flots de sang qui jaillissaient dans les corridors du Shining de Stanley Kubrick. Effroi garanti! L’une des affiches du couloir propose même une exposition de l’artiste néerlandais M.C. Escher (1898-1972) connu pour ses œuvres vertigineuses, pleines d’illusion d’optique et de paradoxes visuels, comme le fameux ruban de Möbius où des fourmis tentent de passer d’un plan sur l’autre sans jamais y arriver. Bref, les indices ne manquent pas.
Le thème sous-jacent du film explore bien sûr la peur de la parentalité ainsi que la folie d’un monde technologique qui tourne en rond comme une gerbille dans sa roue. Victime du syndrome du hamster, le héros d’Exit 8 fait jusqu’à présent du surplace dans sa vie. Cette épreuve va fonctionner comme un récit d’émancipation assez malin. Avec sa mise en scène élégante, Exit 8 s’avère une réussite singulière et inattendue.