ENQUETE. Comment Elon Musk utilise X pour amplifier l’extrême droite en Europe

À l'occasion des 100 jours de Donald Trump à la Maison Blanche, franceinfo, la RTBF et France 24 ont analysé les stratégies de communication d'Elon Musk sur son réseau social X. Plus de 15 000 tweets, publiés entre le 4 novembre 2024 et le 4 avril 2025, ont été analysés grâce à un outil IA français d'analyse sémantique. De cette analyse ressort que le patron de X a utilisé son réseau pour amplifier l’extrême droite en Europe.

Grâce à un outil IA français d'analyse sémantique, Arlequin, il a été possible de repérer les récurrences dans ses tweets (immigration, liberté d'expression, identité nationale) et d'établir des corrélations avec les événements électoraux majeurs. Arlequin a également servi à cartographier les réseaux de comptes amplifiés par Musk.

Ce travail a permis de dégager 189 sous-catégories thématiques, dont une vingtaine exclusivement liée à l'Europe.

À partir de cette cartographie, nous avons entamé un minutieux travail d'analyse tweet par tweet. Cela a permis de comprendre quels sont les récits qu'Elon Musk amplifie, qui sont les influenceurs avec lesquels il interagit, et quels sont les événements d'actualité qui déclenchent ses pics d'activité.

En Allemagne, une offensive coordonnée au profit de l'extrême droite

Parmi les pays européens, l'Allemagne apparaît comme l'une des cibles principales d'Elon Musk. Sur l'ensemble des tweets liés à l'Europe, soit environ 10% de ses tweets, près de 200 concernaient l'Allemagne. Et plus de 7 fois sur 10, Elon Musk a diffusé des messages relatifs à l'immigration, à la liberté d'expression prétendument menacée ou à l'AfD, le parti d'extrême droite qui a réalisé un score historique aux élections législatives de février 2025.

Dès décembre, après que le chancelier Olaf Scholz a perdu la confiance des députés et après l'attentat sur un marché de Noël à Magdebourg, Musk a intensifié ses publications. Entre décembre et février, il relaie à de nombreuses reprises une fausse information : en Allemagne, on risquerait la prison pour avoir publié un simple "mème", une image humoristique. Un message renforcé par la diffusion de caricatures et d'extraits de reportages sortis de leur contexte.

À la veille des élections législatives, le 22 février, Musk partage par exemple une caricature montrant deux prisonniers : l'un incarcéré pour terrorisme, l'autre pour une insulte sur internet. Il valide ce message par un simple commentaire : "Actually true" ("Clairement vrai"). Le tweet sera vu près de 60 millions de fois.

Elon Musk soutient rarement l'AfD par des slogans. Sa stratégie est plus subtile : amplifier des contenus émotionnels ou polémiques qui nourrissent le discours du parti en passant, entre autres, par des comptes d'influenceurs d'extrême droite.

Naomi Seibt : l'influenceuse qui séduit Elon Musk

L'influenceuse d'extrême droite qu'Elon Musk relaie le plus en Allemagne s'appelle Naomi Seibt.
Jeune militante allemande, souvent présentée comme "l'anti-Greta Thunberg", elle défend des positions climatosceptiques, anti-immigration et souverainistes.

Elon Musk interagit avec elle plus de 40 fois sur la période étudiée. Résultat : les publications de Naomi Seibt réalisent sept à huit fois plus d'engagement lorsqu'elles bénéficient d'un relais d'Elon Musk.

Tommy Robinson, l'autre figure qu'Elon Musk propulse

Sur le Royaume-Uni, Elon Musk se montre encore plus actif, avec 606 tweets publiés en six mois.
Sa cible principale est claire : Keir Starmer, devenu Premier ministre travailliste en juillet 2024.

Depuis des mois, Elon Musk multiplie les attaques contre lui. Il l'accuse d'avoir couvert les réseaux de viols collectifs dits des "grooming gangs" lorsqu'il était directeur des poursuites publiques entre 2008 et 2013. Des accusations graves, systématiquement relayées sans apporter de sources fiables, dans un contexte électoral tendu avec la tenue d'élections locales en mai 2025.

Comme en Allemagne avec Naomi Seibt, Elon Musk choisit au Royaume-Uni de s'appuyer sur une figure radicale : Tommy Robinson, ex-leader de l'English Defence League et connu pour ses positions xénophobes et islamophobes. Elon Musk le soutient ouvertement et relaie un documentaire de près de deux heures, publié sur X.

Ce documentaire accuse les institutions britanniques de censurer la "vérité" au nom du politiquement correct. Un extrait particulièrement relayé affirme :

"Il s'agit d'un documentaire sur l'alliance entre les médias, le système judiciaire et nos politiciens, sur la façon dont ils conspirent pour supprimer la liberté d'expression."

Tommy Robinson

sur X

Elon Musk semble ainsi prendre ses distances avec Nigel Farage, figure historique de l'extrême droite plus traditionnelle, jugée moins radicale.

RadioGenoa : amplifier les peurs

Autre acteur-clé de cette stratégie : le compte RadioGenoa. Anonyme, suivi par plus de 1,3 million de personnes, ce compte d'extrême droite publie quotidiennement des faits divers anxiogènes venus de toute l'Europe.

Agressions, violences, criminalité : les faits sont rapportés sans contexte, mais trouvent une caisse de résonance immédiate grâce aux partages d'Elon Musk.

La France en embuscade ?

Elon Musk est resté plus discret concernant la France. Mais début avril 2025, il réagit à la condamnation de Marine Le Pen pour détournement de fonds publics au Parlement européen.

Il évoque alors un "abus du système judiciaire", et reprend un schéma narratif bien rodé : dénoncer toute action judiciaire visant une figure d'extrême droite comme une tentative de censure politique. 

Avec plus de 200 millions d'abonnés, Elon Musk est aujourd'hui l'un des communicateurs les plus puissants du monde. Ses tweets politiques atteignent régulièrement plusieurs dizaines de millions de vues en quelques heures. En période électorale, leur impact sur l'opinion publique est loin d'être neutre. À travers une amplification sélective, émotionnelle et systématique de récits d'extrême droite, Musk est en train de devenir un acteur politique d'influence à part entière en Europe.