Dans un contexte de tensions croissantes avec la Russie, la Suède se prépare au pire. Depuis l'an dernier, environ 7,7 millions d'euros ont été alloués à la modernisation des 64 000 abris de guerre construits pendant la Seconde Guerre mondiale et la Guerre froide, afin de mieux protéger la population civile.
L'un des premiers abris rénovés se situe à Stockholm, encastré dans la roche, sous une colline du centre-ville. À première vue, c'est un parking tout à fait classique. Mais "en cas de guerre, on vide les voitures et ce lieu se transforme en abri", explique Anders Johannesson. Ce spécialiste des abris au sein de l'Agence suédoise de la protection civile pousse les solides portes en fer qui scellent le lieu, conçues pour résister à l'exposition d'une bombe de 250 kilos à cinq mètres de là.
Un bunker de 1 100 m2 en pleine capitale
Une fois à l'intérieur, il faut passer par un sas "où on peut se nettoyer si on a été contaminé par des substances toxiques par exemple, indique Anders Johannesson. La pression de l'air est légèrement plus élevée à l'intérieur de l'abri pour empêcher l'air contaminé ou toxique d'entrer. L'air s'échappe par des soupapes, qui se ferment automatiquement si une bombe explose à l'extérieur."
Une fois ce sas passé, se trouve l'espace principal du bunker, 1 100 m2 qui peuvent accueillir 1 200 personnes en cas de besoin. "Des groupes électrogènes de secours prennent le relais en cas de coupure de courant. Ainsi, l'alimentation électrique reste disponible pour la ventilation et l'éclairage", poursuit le spécialiste. À quelques mètres de lui, une pièce occupée par un immense réservoir, qui contient de l'eau pour "au moins trois semaines". Il montre également des filtres à charbon neufs, qui "peuvent filtrer des agents biologiques ou chimiques, et même des retombées nucléaires".
Le Suédois pointe le plafond du doigt, désignant la ventilation, pensée "pour pouvoir y accrocher des cabines qui serviraient de toilettes". "Ce seraient des toilettes sèches avec un seau en plastique contenant un sac", détaille Anders Johannesson. Il a fallu deux ans et 750 000 euros pour rénover ce tout premier bunker. Avec 25 autres projets similaires en cours, le gouvernement a alloué à l'agence de protection civile de nouveaux crédits jusqu'en 2028, afin qu'elle puisse accélérer la cadence.
Les civils aussi impliqués
De leur côté, les citoyens suédois sont aussi appelés à se tenir prêts en cas d'agression russe. Dans le système de "défense totale" développé par le pays, eux aussi doivent prendre leur part, au même titre que les militaires. Une injonction que les Jackobson, établis à une vingtaine de minutes de Stockholm, prennent très au sérieux.
Installée dans une belle maison rouge avec des boiseries blanches, tout près d'un lac bordé par une forêt, la petite famille vit dans un décor de carte postale. Pourtant le foyer se prépare à un scénario catastrophe. Elin, la mère de famille, dresse l'inventaire du contenu d'une grande boîte en plastique : des allumettes, des bougies, des piles et surtout des conserves. Entre le porridge et les sauces pour les pâtes, ces produits seront de toute manière mangés si jamais la date de péremption approche.
"Ça aide que les citoyens soient préparés"
La famille a aussi prévu un jerrican, ou encore un réchaud à gaz. De quoi se tenir à l'objectif fixé par le gouvernement, qui demande à ses citoyens de pouvoir tenir au moins une semaine en cas de coupure d'eau ou d'électricité. "Si nous sommes capables de nous prendre en charge nous-mêmes, le gouvernement n'aura pas à s'occuper de nous et pourra se concentrer sur des choses plus importantes, explique Karl, le père de famille. C'est ça notre force, je crois." Elin approuve : "Ça aide que les citoyens soient préparés mentalement à ce qui pourrait se passer".
"C’est une forme de dissuasion, je crois, de montrer que nous sommes une société forte dans tous les sens du terme."
Elin, mère de famille suédoiseà franceinfo
Les deux filles du couple, Lova, 10 ans, et Anna, qui n'en a que 6, sont également impliquées. "On s'est mis autour de la table et on a fait la liste de ce nous devons acheter, détaille Elin. Ce qui est en rouge, c'est ce que nous n'avons pas : des filtres à eau, ou une radio, C'est assez amusant, d'organiser, de préparer." La mère de famille admet toutefois que "cela pèse aussi pas mal, cela me préoccupe beaucoup de me dire que mes filles grandissent dans un monde où ce genre de scénario peut arriver".
"J'imagine qu'elles voient cela un peu comme une aventure. Avec un peu de chance on ne se servira jamais de tout cela, renchérit Karl. Mais je trouve cela rassurant d'avoir un plan en cas d'urgence." Malgré tout, les Jackobsson ne se considèrent pas comme exemplaires. Ils ne sont pas allés donner leur sang et n'ont pas non plus suivi de formations médicales, comme le recommande pourtant le petit guide jaune envoyé à tous les foyers suédois. Elin, en revanche, a bien repéré l'abri anti-aérien où il faudra courir en cas de bombardement. Il est à 800 mètres, ce qu'elle trouve un peu loin.