Fast-fashion : comment Shein compte échapper à la loi

Le géant Shein vacille. Le 26 mai, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) – le « gendarme des lobbys » – a été saisie d’un signalement visant la marque chinoise pour de « potentielles irrégularités » dans ses activités de lobbying. Deux jours plus tard, France Inter révélait l’existence d’un rapport commandé par Shein et adressé aux parlementaires, dans lequel la marque dénonce la proposition de loi (PPL) « anti-fast-fashion ».

Débattue ce lundi au Sénat, cette loi vise à réduire l’impact environnemental de la mode jetable. Avec Temu, autre plateforme chinoise, la marque est directement visée. Le texte adopté à l’Assemblée nationale prévoit un malus écologique pouvant atteindre 50 % du prix de vente d’un article d’ici à 2030, l’interdiction de la publicité et une taxation des colis venus de Chine.

Une loi « détricotée »

Mais son passage au Sénat a marqué un net recul. Le malus serait désormais basé sur des critères plus souples, et seule la publicité via des influenceurs serait interdite. Une version « détricotée », dénoncée par les associations environnementales.

Dans son rapport présenté comme « indépendant », Shein affirme que la loi « pénalise les consommateurs les plus modestes » et, « sous couvert d’un objectif d’intérêt général, (…) cible spécifiquement certaines enseignes ». Dans une quarantaine de pages dont le contenu est dévoilé par France Inter, la marque va jusqu’à comparer la PPL à la taxe carburant de 2018, « ayant amené au mouvement des gilets jaunes ».

« On risque de faire de cette loi une coquille vide qui ne fixe aucun malus ni critères environnementaux concrets et permettrait même aux principaux concernés (Shein et Temu) d’y échapper », dénoncent les Amis de la Terre, à l’origine du signalement auprès de la HATVP.

Dans un communiqué, l’ONG critique un amendement gouvernemental visant à supprimer la pénalité progressive prévue dans le texte – 5 euros par produit en 2025, 6 euros en 2026, puis 10 euros en 2030. Cette suppression renverrait la fixation du malus à l’éco-organisme Refashion, « qui n’a pour l’instant jamais établi de pénalités supérieures à 0,09 euro ».

Des chiffres qui dérangent

Les chiffres sont pourtant accablants. Shein met en ligne 7 200 nouveaux modèles par jour, pour une durée de vie moyenne de soixante-cinq jours sur son site, selon les Amis de la Terre. Dans son propre rapport annuel sur le développement durable, la marque reconnaît avoir doublé ses émissions de CO₂ en un an, passant de 9,17 millions de tonnes en 2022 à 16,7 millions en 2023, selon le média Grist.

La qualité des produits interroge aussi : 75 % sont fabriqués en polyester, une fibre dérivée du pétrole représentant 14 % de la production mondiale de plastique. Au-delà de l’impact environnemental, Shein est aussi régulièrement critiquée pour ses pratiques d’exploitation de la main-d’œuvre, avec des conditions de travail jugées précaires dans ses chaînes de production.

À l’heure de l’urgence écologique, cette loi révèle les tensions entre ambition environnementale et puissance des lobbys. Faute de volontarisme politique, le modèle toxique de l’ultra-fast-fashion pourrait bien s’en sortir à bon compte.

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