Des migrants mangent des chiens et des chats selon Trump ? Une vidéo alimente la désinformation

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Une vision d'horreur. Dans une vidéo partagée sur Instagram et vue plus de 4,9 millions de fois sur X, une femme immigrée illégale venant d'Haïti aurait décapité un chat pour le manger dans la ville de Springfield dans l'Ohio aux États-Unis, prétendent des internautes pro-Trump. "Il y a eu des dizaines de rapports inquiétants de résidents de Springfield affirmant que des immigrés illégaux clandestins haïtiens mangent leurs animaux de compagnie, les canards et oies sauvages", affirme une internaute qui partage la vidéo, qui montre également l'arrestation de la suspecte par la police."De quel diable Harris et Biden leur ont permis d'entrer dans notre pays ?", fustige-t-elle.

Sur Instagram, un compte pro-Trump prétend le 9 septembre 2024 qu'une immigrée illégale haïtienne aurait mangé un chat dans la ville de Springfield dans l'Ohio. La vidéo n'a rien à voir avec l'immigration clandestine à Springfield.
Sur Instagram, un compte pro-Trump prétend le 9 septembre 2024 qu'une immigrée illégale haïtienne aurait mangé un chat dans la ville de Springfield dans l'Ohio. La vidéo n'a rien à voir avec l'immigration clandestine à Springfield. © Instagram

Une polémique sur les immigrés haïtiens reprise - sans toutefois faire référence à la vidéo de la femme qui aurait mangé un chat- par le colistier de Donald Trump, J.D. Vance. "Il y a des mois, j'ai soulevé le problème des immigrés illégaux qui épuisent les services sociaux et généralement causent le chaos dans tout Springfield", écrit le colistier dans un post sur X, vu plus de 9,5 millions de fois le 9 septembre. "Des rapports indiquent maintenant que des gens ont leurs animaux de compagnie enlevés et mangés par des personnes qui ne devraient pas être dans ce pays."

Lors du premier débat télévisé de la campagne mardi 10 septembre, Donald Trump a également réitéré la même accusation : "À Springfield, ils mangent des chiens, les gens qui sont venus, ils mangent des chats. Ils mangent les animaux de compagnie des habitants. C'est ce qui se passe dans notre pays.”

Donald Trump affirme que les migrants haïtiens mangent des chiens et des chats lors de son premier débat avec Kamala Harris dans le cadre de la présidentielle. (Source X, Foxnews)

Une suspecte qui n'est pas une immigrante haïtienne

En réalité, cette vidéo ne montre pas l'arrestation d'une femme immigrée illégale d'Haïti de la ville de Springfield, mais concerne un fait divers qui n'a rien à voir avec la supposée immigration clandestine haïtienne dans cette ville.

D'abord, la séquence partagée sur Instagram est une "body cam", une vidéo enregistrée par un officier de police, qui a été filmée le 16 août dans la ville de Canton, une agglomération dans l'état de l'Ohio située à 276 km de Springfield. Plus exactement au 13th Street SE à Canton, ainsi que nous avons pu le géolocaliser sur Google Street View sur la base d'un enregistrement vidéo fourni à la rédaction des Observateurs de France 24 par la police de Canton.

À gauche l'enregistrement de la body cam fournie par la police de Canton. À droite Google Street View. Nous avons détouré en rouge le même bâtiment qui permet de géolocaliser la vidéo au 13th Street SE à Canton.
À gauche l'enregistrement de la body cam fournie par la police de Canton. À droite Google Street View. Nous avons détouré en rouge le même bâtiment qui permet de géolocaliser la vidéo au 13th Street SE à Canton. © Police de Canton, Google Street View, la rédaction des Observateurs de France 24.

Ensuite, si le rapport d'enquête consulté par la rédaction des Observateurs de France 24 indique bien l'arrestation "d'une femme qui a commencé à manger un chat après avoir écrasé sa tête", interrogée sur son origine, la police de Canton est catégorique : "La suspecte n'est pas une immigrante haïtienne mais une résidente qui a passé toute sa vie à Canton". L'incident n'a "absolument aucun rapport" avec la polémique en cours à Springfield, insiste la police de Canton auprès de notre rédaction.

Le rapport d'investigation fourni par la police de Canton.
Le rapport d'investigation fourni par la police de Canton. © Police de Canton.

Ce que l'on sait sur les accusations contre la communauté haïtienne à Springfield

La ville de Springfield a fait l'objet d'une vague d'immigration haïtienne. Ces dernières années, près de 20 000 immigrés haïtiens se sont installés dans l'agglomération, indique le New York Times. Mais contrairement à ce qu'affirme J.D. Vance, ces immigrés ne sont pas venus clandestinement, mais légalement, explique le site de la ville de Springfield, sous Statut de Protection Temporaire (TPS), une disposition qui permet à des étrangers de rester aux Etats-Unis si les conditions de sécurité de leur retour ne sont pas assurées, par exemple en cas de conflits armés ou de catastrophes naturelles.

Une allégation de canards prétendument mangés par des Haïtiens dans un parc public a cependant été soulevée par un résident de Springfield lors d'une réunion municipale, rapporte le Daily Mail, un tabloïd anglais, une déclaration qui n'a pas été vérifiée indépendamment par les médias locaux.   

Selon The Federalist, un média conservateur américain épinglé par la société spécialisée dans la lutte contre les fakes news Newsguard pour avoir publié de la désinformation à propos de l'élection de Joe Biden, la police du comté de Clark à Springfield aurait reçu un signalement selon lequel quatre migrants haïtiens auraient été aperçus en train de transporter des oies. La rédaction des Observateurs de France 24 n'a pu confirmer ou infirmer l'authenticité des documents présentés par The Federalist.

En ce qui concerne les chats et les chiens, la police de Springfield a déclaré le 9 septembre auprès du Springfield News Sun, un journal local, qu'elle n'avait pas reçu de signalements à propos d'animaux domestiques qui auraient été volés et mangés. Un démenti analogue a également été apporté par la municipalité de Springfield le même jour.

Des rumeurs racistes récurrentes contre les Haïtiens

Dans un communiqué envoyé à notre rédaction, le Mouvement de l'Inoubliable Jean Jacques Dessalines (MUDJJ), une association de la communauté haïtienne aux Etats-Unis, estime "injustes" les accusations dont font l'objet les immigrants d'Haïti concernant les animaux domestiques. L'association dénonce un "mépris choquant pour la décence humaine fondamentale".

Le soir du 10 septembre, J.D. Vance est en partie revenu sur ses déclarations : "Au cours des dernières semaines, mon bureau a reçu de nombreuses requêtes de la part d'habitants de Springfield qui affirment que les animaux domestiques de leurs voisins ou la faune locale ont été enlevés par des migrants haïtiens. Il est possible, bien sûr, que toutes ces rumeurs se révèlent fausses", a écrit le colistier de Trump sur X.

Les rumeurs racistes envers les Haïtiens sont régulièrement diffusées par des comptes conservateurs basés aux États-Unis. Au mois de mars, des accusations de cannibalisme à Haïti avaient été massivement relayées par une partie des réseaux sociaux américains pro-Trump.

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