Violences, bousculades... Quand le marketing sauvage rime avec troubles à l’ordre public

Le coup de com’ a tourné au vinaigre. Pour l’ouverture de son nouveau restaurant samedi après-midi à Châtelet-Les Halles, dans le 1er arrondissement de Paris, l’enseigne de fast-food asiatique Krousty Sabaïdi avait annoncé sur les réseaux sociaux la distribution gratuite de 1000 «kroustys» (un plat à base de riz et de poulet frit), en présence de l’influenceur Fares Salvatore, suivi par près de 500.000 abonnés sur Instagram. Mais l’établissement a vite été débordé par l’afflux de 3000 clients. L’événement a ainsi tourné à l’émeute, nécessitant l’intervention des forces de l’ordre.

Une issue que le fast-food n’avait pas vu venir. «La fréquentation a largement dépassé toutes nos prévisions», admet l’enseigne, qui n’avait demandé aucune autorisation, selon la préfecture. De son côté, Krousty Sabaïdi affirme sur TikTok, que «toutes les démarches ont été faites», notamment qu’elle avait prévu «un nombre conséquent d’agents de sécurité». «Une enquête est ouverte afin de déterminer les rôles joués par l’organisateur de l’événement et l’exploitant de l’établissement concerné», explique la préfecture.

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Ce type d’opérations de communication, promues par des influenceurs, devient aujourd’hui monnaie courante. «Le marketing sauvage, on en a beaucoup. La difficulté est qu’il échappe aux procédures traditionnelles», rapporte le maire (PS) de Paris Centre Ariel Weil. «La question est : à quel moment ces ventes deviennent-elles un sujet d’ordre public ?» Mais elles prennent «très rarement» les proportions constatées samedi lors de l’opération lancée par Krousty Sabaïdi. «Le danger était constitué par l’attitude irréfléchie et irresponsable du commerce, et par l’extrême densité des gens, mais globalement ce n’était pas agressif», estime l’élu. Cet événement n’est pas sans rappeler les débordements observés rue Sainte-Catherine à Bordeaux le 4 décembre dernier, lorsque l’enseigne Footkorner avait invité le rapper Dinos et l’influenceur Nasdas. Blessures, vols, bagarres et mouvements de foule… L’événement avait dégénéré, provoquant plusieurs blessés.

Des interdictions de rassemblement possibles

Les règles sont pourtant claires : «le commerce doit faire en sorte que sa fréquentation ne soit pas à l’origine d’un trouble à l’ordre public», décrypte Me Lionel Crusoé, avocat au barreau de Paris spécialisé en droit public. «Si un établissement n’encadre pas suffisamment, il peut faire l’objet d’un avertissement ou d’une fermeture administrative.» La responsabilité incombe donc au gérant du commerce. «C’est à lui de déterminer les modalités adaptées pour la tenue de l’événement et d’anticiper le nombre de personnes susceptibles de venir», poursuit l’expert. Cela peut consister à renforcer la sécurité ou à prévenir les forces de l’ordre. «Le fait de dire “je n’ai pas pu anticiper” n’est pas un argument», développe l’avocat.

Le préfet peut lui-même encadrer un rassemblement en cas de risques de trouble à l’ordre public, soit en imposant des restrictions, soit en l’interdisant. C’est ce qu’il s’était passé par exemple le 10 novembre 2024 à Paris, lorsque l’influenceur Mexed14 avait proposé à ses «followers» de le retrouver sur les Champs-Élysées. Il avait annoncé la distribution de 10.000 euros en cash pour anticiper son passage à 200.000 abonnés sur TikTok. Les forces de l’ordre étaient alors intervenues et avaient interpellé Mexed14. Un mois plus tard, c’était au tour de l’influenceur Snapchat Hachemi de proposer à ses fans de le retrouver à Lyon, leur promettant de leur faire gagner des cadeaux pour un montant total de 100.000 euros. Mais face aux débordements ayant eu lieu lors des précédents appels à Lille et Bruxelles, la préfecture du Rhône avait décidé d’interdire le rassemblement, en raison de «risques de troubles à l’ordre public».

La Ville de Paris dit chercher à prévenir ce type de troubles en assurant une présence des forces de l’ordre dans les lieux susceptibles d’attirer les foules comme Châtelet. Mais aussi en «travaillant avec les commerçants» pour occuper les lieux de façon «positive», en co-organisant par exemple des brocantes. C’est aussi en «défendant le commerce de proximité», à travers l’implantation d’enseignes «qui ne soient pas déconnectés comme peuvent l’être les pop-up store», indique Ariel Weil.