Justice des mineurs : pour un projet progressiste et humaniste

Le 13 février dernier, l’Assemblée Nationale a adopté la proposition de loi Attal visant à restaurer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de leurs parents. Le Sénat doit étudier le texte les 19 et 25 mars prochain dans le cadre d’une procédure accélérée à la demande du gouvernement.

Alors que l’entrée en vigueur du Code de Justice Pénale des mineurs (CJPM) en 2021 a déjà signé le sacrifice du temps éducatif sur l’autel du rendement, cette nouvelle proposition de loi constitue comme un désaveu du groupe politique présidentiel de l’inefficacité de sa propre réforme, signifiant ainsi que la justice des mineurs aurait perdu de son autorité.

Ces nouvelles dispositions visent notamment à condamner les parents dont les enfants ont commis des actes de délinquances, à accélérer davantage les délais de jugement dans certaines circonstances, ainsi qu’à poser comme une règle le fait de juger les mineurs de plus de 16 ans comme des adultes. Elles viennent donc en contradiction avec la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, dont la France est signataire, et les principes à valeur constitutionnelle de la justice des mineurs.

Cette proposition de loi est une réponse inefficace à la médiatisation d’actes et faits divers dramatiques, malgré tout isolés, comme récemment le meurtre du jeune Elias, ou encore motivée par les révoltes urbaines de 2023. Elle permet à l’État de toujours plus se désengager de sa responsabilité vis-à-vis de la jeunesse.

En cédant à l’émotion, on en oublie les faits. Dans le tumulte des débats sécuritaires qui s’intensifient à chaque échéance électorale, la jeunesse et les enfants pris en charge par la justice sont des boucs émissaires. Faisant de ces jeunes des figures qui font peur, les responsables politiques rivalisent de propositions souvent démagogiques. À chaque affaire grave impliquant un mineur, surfant sur une émotion légitime, ils s’empressent de dénoncer une justice des mineurs soi-disant laxiste et de répondre par des lois toujours plus répressives.

Pourtant, les politiques sécuritaires et répressives n’ont jamais empêché la réitération ou la récidive. Dressés en totem sécuritaire, les centres éducatifs fermés (CEF) en sont la preuve. La Cour des Comptes et le Sénat s’accordent à le dire, ces établissements sont onéreux et inefficaces. Cette orientation politique brise les chances de réinsertion et enferme ces jeunes dans une spirale de marginalisation. Chaque enfant que l’on abandonne à ces réponses simplistes est un homme ou une femme en devenir que nous condamnons à l’impasse avec des risques de récidive.

De plus, si on s’en réfère aux chiffres des ministères de l’intérieur et de la justice, les représentations insufflées sur la délinquance et la justice de mineurs sont fortement contredites. La délinquance des mineurs diminue depuis plusieurs années (les affaires mettant en cause des mineurs ont diminué de presque 80 000 sur les 5 dernières années) et constitue seulement 12 % de la délinquance totale.

Si parfois les faits sont particulièrement violents, à l’inverse le nombre de mineurs mis en cause dans des affaires de violence diminue. Le passé nous démontre aussi que les phénomènes de violence ont déjà existé au début du XXe siècle avec « les apaches » ou « les gavroches », ou encore après la seconde guerre mondiale qui a notamment amené le Conseil National de la Résistance à créer une justice des mineurs spéciale, humaniste et ambitieuse par l’Ordonnance du 2 février 1945.

Enfin, la justice des mineurs n’est pas laxiste. Le taux de réponse pénale est d’environ 93 % en 2024 et le taux d’incarcération des mineurs ne cesse d’augmenter, jusqu’à atteindre des taux records sur 2024 (jusqu‘à 900 mineurs détenus).

La justice des mineurs ne manque donc pas d’autorité. Cette proposition de loi est déconnectée de la réalité et ne répond à aucun besoin concret.

En revanche, la justice des mineurs manque cruellement de moyens. Si la justice des mineurs peine parfois à être réactive, ce n’est pas par faute de cadre législatif mais faute de moyens. Malgré des budgets en augmentation ces dernières années, la justice reste le parent pauvre de l’État et du service public.

À la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ), administration du ministère de la justice qui s’occupe notamment des mineurs mis en cause au pénal, se sont déjà plus de 4 300 mesures (soit l’équivalent de 180 créations de postes) prononcées par les juges des enfants ou d’instruction qui sont en attente de prise en charge, faute de professionnels suffisants, avec des délais de traitement différés de plusieurs mois.

La PJJ, déjà à bout de souffle depuis l’application du CJPM sans moyens supplémentaires, a en plus été profondément ébranlée par le non-renouvellement brutal d’un peu plus de 700 agents contractuels l’été dernier, alors que Gabriel Attal était encore 1er ministre.

À moyens constants, toute nouvelle réponse pénale pour tenter d’endiguer la délinquance des mineurs serait vaine puisque les mesures supplémentaires viendraient davantage allonger la liste des mesures en attente. Malheureusement, les drames continueront d’exister tant que la justice n’aura pas pleinement les moyens d’être réactive et efficace.

Ce qui permettra de restaurer l’autorité de la justice des enfants, c’est l’efficacité de ses réponses et de ses actions.

Il est impératif de réaffirmer les fondamentaux des missions de ce service public : une justice éducative et préventive. Les mineurs n’ont pas besoin d’excuses pour leurs actes, ils ont besoin d’un véritable soutien pour comprendre leurs erreurs, les réparer et se projeter dans un avenir meilleur. Ce n’est pas une utopie : c’est une nécessité. Ces adolescents vulnérables, souvent en quête de repères, méritent un accompagnement éducatif solide, capable de les aider à se reconstruire. Ils ont besoin d’une justice qui ne se limite pas à les sanctionner, mais qui place l’éducation et la prévention au cœur des politiques publiques.

Rappelons qu’un mineur qui commet des actes de délinquance est avant tout un mineur en danger. Ainsi s’ouvrait le préambule de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante : « Il est peu de problèmes aussi graves que ceux qui concernent la protection de lenfance, et parmi eux, ceux qui ont trait au sort de lenfance traduite en justice. La France nest pas assez riche denfants pour quelle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains ». De même que l’article 3 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant dispose : « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, quelles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, lintérêt supérieur de lenfant doit être une considération primordiale ». Voici ce qui doit guider les réponses apportées à la délinquance des mineurs.

Il est alors nécessaire de remettre des moyens dans la protection de l’enfance, dans l’éducation, dans la prévention, dans l’efficacité de justice des mineurs afin que l’État reprenne ses responsabilités vis-à-vis de la jeunesse et de son accompagnement vers l’âge adulte dans l’intérêt de toute la société. Les enfants d’aujourd’hui sont les adultes de demain.

Nous ne pouvons plus céder aux sirènes de l’émotion pour guider la justice des mineurs. Les enfants suivis par la justice ne sont pas une menace mais une promesse. Une société juste ne stigmatise pas ses enfants : elle leur offre une seconde chance.

Avant de partir, une dernière chose…

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