Restriction du droit du sol : Mayotte, "un laboratoire loin des regards"
Supprimer petit à petit le droit du sol à Mayotte : de l’extrême droite au MoDem, l’idée est partagée par un vaste pan du spectre politique. Elle est même revenue en force à la faveur du passage dévastateur, le 14 décembre 2024, du cyclone Chido sur l’archipel. Le groupe de la Droite républicaine (parti Les Républicains) à l’Assemblée nationale présentera ainsi, jeudi 6 février, une proposition de loi pour restreindre davantage le droit du sol dans le 101e département français.
"Il s’agit de limiter au maximum l’attractivité de la nationalité française", a répété mardi 4 février le rapporteur du texte, Philippe Gosselin, lors d’une conférence de presse. Concrètement, le texte prévoit de durcir encore les conditions d’accès à la citoyenneté française, considérées par la droite comme la cause de l’immigration illégale à Mayotte, où la moitié de la population est étrangère, selon l’Insee.
En France, un enfant né de parents étrangers devient automatiquement français à ses 18 ans s’il justifie d’au moins cinq années de résidence, continue ou discontinue, depuis ses 11 ans. Il peut toutefois acquérir la nationalité française dès ses 13 ans s’il en fait la demande et s’il justifie de cinq ans de résidence depuis l’âge de 8 ans. Un enfant né en France ou à l’étranger avec au moins un parent français devient automatiquement français, dès la naissance.
Mais à Mayotte, le droit du sol a déjà été modifié par une loi votée en septembre 2018 et entrée en vigueur le 1er mars 2019. Celle-ci stipule qu’un enfant né à Mayotte de parents étrangers ne peut devenir français que si, au moment de la naissance, l’un des deux parents "résidait en France de manière régulière, sous couvert d'un titre de séjour, et de manière ininterrompue depuis plus de trois mois".
Le texte du parti Les Républicains (LR), qui a été adopté en commission le 29 janvier, vise à étendre ces conditions aux deux parents et à allonger la période de résidence sur le territoire français de trois mois à un an.
Des migrations davantage liées à des raisons économiques
Pourtant, aucune étude d’impact n’a été menée depuis la mise en application des premières restrictions au droit du sol à Mayotte qui pourrait confirmer leur intérêt. Et les chiffres à disposition tendent plutôt à montrer leur inefficacité. "On voit qu’il y a une diminution des acquisitions de la nationalité française des enfants nés à Mayotte de parents étrangers, mais pas de diminution des arrivées de migrants en situation irrégulière, car les personnes venant des Comores ou fuyant les pays de la région des Grands Lacs en Afrique le font, pour les premiers, pour échapper à la misère et à l’insécurité, pour les seconds pour fuir des situations de persécution ou de violences généralisées", explique Marie-Laure Basilien-Gainche, professeure de droit public à l’Université Jean Moulin Lyon 3 et membre de l’Institut Convergences Migrations.
Si les acquisitions de nationalité française pour les enfants entre 13 et 18 ans sont en effet passées de 2 829 en 2018 à 799 en 2022, selon le ministère de la Justice, l’immigration illégale a continué d’augmenter, avec 8 669 interceptions en mer d’étrangers en situation irrégulière en 2023 contre 3 788 en 2020, selon un bilan de l'opération Shikandra dressé par la préfecture de Mayotte.
"Il s’agit de populations en situation d’extrême pauvreté et d’extrême précarité qui voient Mayotte comme un eldorado. Face à des contraintes économiques très fortes, ces populations réagissent dans l’urgence et non en réfléchissant au fait que leurs futurs enfants pourraient devenir français dans 15 ans", ajoute Marie-Laure Basilien-Gainche.
Une analyse d’ailleurs corroborée par la gendarmerie française. "Le recensement de l’Insee établissait que Mayotte comptait 256 500 habitants en 2017. Ces chiffres sont aujourd’hui largement dépassés, avec une population estimée à au moins 400 000 habitants, dont la moitié sont originaires d'Anjouan, l'île la plus pauvre des Comores. Car un Comorien va gagner cinq à sept fois plus à Mayotte, où le PIB est dix fois supérieur à celui d'Anjouan", expliquait en août 2021 le colonel Olivier Capelle, commandant de la gendarmerie (COMGEND) de Mayotte.
Utiliser Mayotte comme un "laboratoire"
L’histoire et la situation géographique de Mayotte, qui fait partie de l’archipel des Comores, est aussi à prendre en considération pour comprendre le grand nombre d’étrangers en situation illégale, selon la spécialiste des migrations. "Il y a quatre îles, dont une seulement est française, mais il s’agit bien d’une unité géographique dans laquelle existent des relations ancestrales caractérisées par le partage d’une même langue, d’une même religion, de relations familiales et de liens communautaires. Il y a donc depuis toujours des mouvements de population entre ces îles. Or, au lieu de laisser les Comoriens venir à Mayotte librement, l’obligation d’obtenir un visa depuis 1995 les a fait basculer en situation irrégulière et a eu tendance à les fixer sur le territoire mahorais", juge Marie-Laure Basilien-Gainche.
"C’est la politique très restrictive autour des visas qui a conduit un plus grand nombre de gens à rester sur place à Mayotte, quand ils ne faisaient que passer sur l’île sans y rester auparavant", abonde dans Libération l’ancien diplomate et aujourd’hui professeur de sciences politiques Fred Constant, auteur de "Géopolitique des Outre-Mer : entre déclassement et (re)valorisation" (Le Cavalier Bleu, 2023).
"Personne ne prétend que cette proposition de loi permettra de résoudre toutes les difficultés de Mayotte. Ce n'est pas la réponse miracle au fait migratoire à Mayotte", reconnaît Philippe Gosselin, la comparant à "un élément d'un puzzle".
Le texte présenté par Les Républicains, qui devrait obtenir une majorité à l’Assemblée nationale, sert en revanche une stratégie clairement exprimée. "Dans notre esprit, évidemment, l’objectif est que Mayotte soit la première étape et ensuite, pour nous, l’idée c’est d’étendre ces restrictions sur le reste du territoire français", a ainsi affirmé mardi le patron du parti et du groupe à l’Assemblée nationale, Laurent Wauquiez.
"Il s’agit de se servir de Mayotte comme d’un laboratoire. On va développer une expérimentation dans un territoire loin des regards, loin de la vigilance des citoyens, avant de tenter de l’étendre aux départements de la métropole", constate Marie-Laure Basilien-Gainche, qui rappelle que le droit du sol "fait partie de notre ADN et est un principe majeur de la République française".