Au sommet des libertés, l’extrême droite en roue libre sous le patronage de Stérin et Bolloré

Pour eux, c’est le grand soir. Dans le hall du Casino de Paris, juste avant l’ouverture, mardi 24 juin au soir, du « sommet des libertés », organisé conjointement par les missi dominici des milliardaires Vincent Bolloré (JDD) et Pierre-Édouard Stérin (Périclès), la concurrence est rude entre les attractions.

En dédicace pour son livre paru chez Fayard, Éric Ciotti attend le chaland, les yeux rivés sur son portable. Ex-animateur de Génération Z (pour Zemmour), Stanislas Rigault récolte quelques congratulations pour le lancement de Nexus, son « agence d’influence, de relations publiques et de communication » qui promet, dans un clin d’œil appuyé au propriétaire de Smartbox, d’« œuvrer au service du Bien commun ».

Un photomaton pour immortaliser ce moment « historique »

Visage plus grave, Anne Coffinier, tête de pont d’un des réseaux défendant l’école privée hors contrat, tient un petit conclave à côté de la table de l’Institut de formation politique (IFP) d’Alexandre Pesey, un des acteurs clés de la mouvance, qui fait notamment le lien avec les Anglo-Saxons de la Heritage Foundation ou du réseau de think tanks Atlas.

Mais dans le lot, celui qui se taille la part du lion, écrasant la compétition, c’est résolument un objet : le photomaton ! Celui qui permet aux participants du parti miléiste de France, du lobby anti-services publics Contribuables associés, du groupe fémonationaliste Némésis ou de l’officine universitaire La Cocarde d’immortaliser un moment historique… pour eux, en tout cas !

Parmi les organisateurs, Thibault Cambournac, un des permanents de Périclès, récupère prestement le badge « Production/Tous Accès » au cou d’Erik Tegnér, le patron de Frontières qui, après avoir été aidé en 2024, s’est distingué ces derniers jours en publiant un grossier contrefeu au Cash Investigation diffusé ce même 24 juin et dédié, en partie, à Pierre-Édouard Stérin.

Avant de monter sur la scène pour vanter le succès de l’événement – « La salle est pleine, vous êtes 1 300 », se réjouira-t-il -, Arnaud Rérolle, le directeur général de Périclès, ce plan doté de 150 millions d’euros pour favoriser une union des droites extrêmes en France, passe en coup de vent, grinçant qu’il n’a pas encore lu l’Humanité du jour, bien rangé dans sa serviette. Un twittos anonyme – il préférera ne pas se présenter – prendra le relais, non sans moulinets et railleries sur « l’alliance des libéraux avec les bolcheviques » dans une subtile référence à nos derniers articles.

Directeur général du vaisseau amiral de Pierre-Édouard Stérin, le fonds d’investissement Otium Capital, mais aussi conseiller officiel de Marine Le Pen et Jordan Bardella, François Durvye se montre plus affable en invoquant son « grand-père résistant FTP au Havre ».

Un ex-ministre dénonce « le rouleau compresseur de l’égalité »

C’est l’heure, et dans la salle, l’excitation disparaît vite, recouverte par la touffeur. Bien aidée, notons-le, par le narcissisme échevelé de Luc Ferry qui déblatère sur le « wokisme » – qui n’est rien d’autre, prétend-il sans toutefois réveiller la salle, que « l’armée secrète de l’islamogauchisme et de l’islamisme » – ou sur son expertise palpitante des « deepfakes », ces faux créés grâce à l’intelligence artificielle…

En vidéo, l’écrivain Alexandre Jardin vante son mouvement des « Gueux » contre les zones à faibles émissions (ZFE), avant que l’ancien ministre parti ensuite pantoufler chez LVMH Renaud Dutreil ne dénonce sans rire le « rouleau compresseur de l’égalité » qui menace le « capitalisme familial français ».

Sur scène, Pierre Noizat, figure du secteur des cryptomonnaies en France – notamment en tant que victime d’une tentative d’enlèvement crapuleux qui a visé sa fille -, se livre à un plaidoyer pour le bitcoin convoquant les mânes de Friedrich Hayek pour appeler à une dérégulation totale de la monnaie et des secteurs financiers.

Ex-maire de droite de Blois (Loir-et-Cher) disparu du paysage depuis un bon moment, Nicolas Perruchot ressort du placard pour deviser de son rapport incendiaire et d’une actualité brûlante – il a été rédigé en 2011 – sur le coût du dialogue social et du syndicalisme. Enfin, Anne-Laure Blin et Philippe Juvin, deux députés LR, jouent les utilités, en l’absence de leur chef, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, chouchouté, comme toutes les droites extrêmes, par les réseaux Stérin.

Mais dans une soirée qui s’éternise déjà au bout d’une heure, celle qui va réveiller tout le monde avant les discours des leaders de l’extrême droite française, c’est l’essayiste Laëtitia Strauch-Bonart. Invitée à disserter sur les idées politiques revendiquées par Périclès et ses amis, elle s’est attiré les huées et lazzis de plus en plus copieux au fil de son intervention.

« Pour moi, le libéral-conservatisme, c’est tout simplement la droite de gouvernement », lance-t-elle, avant de retirer les brevets que s’attribue à bon compte l’extrême droite. « On a du mal retrouver les valeurs que la droite a toujours défendues dans les programmes, insiste-t-elle. Un petit peu au centre-droit, un petit peu chez les LR, un petit peu chez Reconquête. Mais absolument pas au RN qui n’est pas du tout libéral ! »

L’appel à « soutenir l’Ukraine » reçoit une pluie de quolibets

Un peu plus tard, interpellée bruyamment par des supporters de Ciotti qui lui intiment de lire leur programme, la traductrice du philosophe ultraconservateur britannique Roger Scruton, ajoute : « Je m’intéresse aux idées, et moins aux personnes. Je me tourne par coutume vers les Républicains et Bruno Retailleau représente peut-être cette synthèse (protestations bruyantes dans la salle). Le programme de Ciotti ne poursuit absolument pas l’objectif du libéralisme, qui ne peut se limiter à une addition de mesures de réductions des dépenses publiques et doit être celui de limiter le pouvoir. Et le RN, lui, n’est pas de droite (bronca dans le public). » Pour parachever l’exercice, la jeune femme appelle à « soutenir l’Ukraine » au nom du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». Cette fois, sous une pluie drue de quolibets.

Le fiasco général a atteint le sommet. Et signe que le trumpisme galopant, avec ses présentations tronquées et ses accents complotistes, s’est bien immiscé dans ces sphères, Christine Kelly, l’animatrice de CNews appelée pour les « grands oraux » successifs, pompe sa question centrale sur un compte de la fachosphère libertarienne du réseau d’Elon Musk : ainsi, en matière de « dérapage des dépenses publiques », la France serait pire que la « Roumanie de Ceausescu », le « Venezuela sous Chavez » et la « Pologne communiste ».

Olé ! Dans l’exercice, Sarah Knafo, eurodéputée Reconquête, fait fort en multipliant les clins d’œil aux codes de la mouvance, et en saluant sous les vivats ces twittos qui « vont nous permettre de gagner la bataille culturelle ». L’élue salue tour à tour ces figures libérales que sont François Fillon et Alain Madelin, fait siffler Thomas Joly, le concepteur de la cérémonie d’ouverture des JO, et surtout se fixe sur ce qui fait consensus dans la salle : l’immigration. « Nous avons accueilli des gens qui nous détestent et veulent nous détruire », s’alarme-t-elle.

Citant Bernanos, Jordan Bardella ânonne ses mesures phares, plaçant comme première des libertés celle d’« un peuple à demeurer lui-même » en résistant à la « submersion migratoire ». « Ne vous gênez pas pour applaudir », doit-il tout de même interpeller. Avant de réussir son coup en appelant à « fermer l’Arcom et rouvrir C8 ».

Éric Ciotti, de son côté, a choisi d’attaquer le service public de l’audiovisuel, quelques dizaines de minutes avant que, sur les écrans du pays, Cash Investigation, prolongeant les révélations de l’Humanité sur le plan Périclès, ne dévoile l’aide directe que le responsable politique a reçue de Stérin lors de sa scission avec les LR en juin 2024.

« Une fois encore, on va subir une émission de pseudo-investigation à l’heure où on vous parle, dénonce-t-il. C’est la dictature de la pensée unique sur le service public, de la propagande avec l’argent du contribuable. » Au diapason de Pierre-Édouard Stérin qui projette de lancer un nouvel instrument sur le sujet, Marion Maréchal appelle à relancer la natalité. « Faire des enfants, personne n’en a parlé jusqu’ici, mais c’est une mesure incontournable », lance-t-elle. Avant de brocarder une autre émission de France 2, « Sommes-nous tous racistes ? »

La soirée touche à sa fin. Elle aura au fond ressemblée à une émission de CNews en public… La photo de famille de l’union des droites extrêmes, à laquelle œuvre Stérin avec le concours de Bolloré et de ses médias, n’aura pas lieu. Dans la salle, ça part un peu en cacahuètes… Deux jeunes gars qui, au fil des débats, auront grommelé crescendo des insultes contre les journalistes et le reste du monde, se lâchent complètement. « Sommes-nous tous racistes ? », entendent-ils. Eux répondent, d’un bloc, comme un cri du cœur : « Oui, on l’est ! »

Tout est dit… Sur la scène, Christine Kelly interpelle le public. « C’est fini, alors avez-vous aussi un peu d’espoir maintenant ? » La réponse sera plus mécanique. Dans ce tout petit monde, ivre de ses excès et de ses haines, le grand soir annoncé s’est réduit à une addition dans la surenchère. Et la gueule de bois n’est pas à écarter. Car derrière l’affichage, les couteaux sont tirés entre des formations qui, malgré l’argent de Stérin, restent lancées dans une concurrence féroce.

Face à l’extrême droite, ne rien lâcher !

C’est pied à pied, argument contre argument qu’il faut combattre l’extrême droite. Et c’est ce que nous faisons chaque jour dans l’Humanité.

Face aux attaques incessantes des racistes et des porteurs de haine : soutenez-nous ! Ensemble, faisons entendre une autre voix dans ce débat public toujours plus nauséabond.
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