Les aventures de Blake et Mortimer. Signé Olrik, d'Yves Sente et André Juillard : sur les traces d'Excalibur
Quel trait de génie que d'avoir entamé le 30e tome des Aventures de Blake et Mortimer par la pendaison au petit matin du colonel Olrik, l'ennemi intime de nos chers héros « so British » ! D'emblée, le lecteur amateur d'histoires à suspense se trouve aux premières loges. La planche est forte et sait distiller l'angoisse des derniers instants d'un condamné. Le titre de l'album, Signé Olrik, convoque avec malice le souvenir du célèbre feuilleton radiophonique des années 1950 Signé Furax, concocté par Pierre Dac et Francis Blanche.
Embastillé à la prison londonienne de Wandsworth, l'élégant génie du mal semble malgré les apparences aussi libre de ses mouvements que possible. D'autant qu'il vient de faire connaissance avec des compagnons de cellule appartenant à une organisation nationaliste des Cornouailles, le Free Cornwall Group, qui sévit dans la petite ville de Sainte Corineus.
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Tout en manifestant contre l'afflux de nouveaux migrants économiques en provenance des Indes, cette faction terroriste est en réalité à la recherche du trésor légendaire du roi Arthur et de sa fameuse épée, Excalibur. Mandaté de manière assez autoritaire par le nouveau sous-secrétaire d'État au Home Office, Harvey Twinston-Jones, le capitaine Francis Blake est alors envoyé sur place pour démanteler l'organisation et empêcher le triste dessein de leur chef, surnommé « le Grand Druide ».
Au même moment, au Council of Scientific and Industrial Research, à Londres, le professeur Philip Mortimer présente l'une de ses nouvelles inventions révolution naires : une excavatrice de poche, baptisée « la Taupe ». Pour tester la résistance de cette prouesse technologique possédant le même tableau de commande que le célèbre Espadon, la presse britannique annonce que « la Taupe » va être envoyée dans les Cornouailles…
Un allié incontournable
Tous les fils de l'intrigue vont ainsi se nouer au cœur de ce féerique comté situé à l'extrémité sud-ouest de la Grande-Bretagne. Plus précisément au château de Tintagel, qui depuis des lustres reste associé aux légendes arthuriennes. Comme le scénariste de La Machination Voronov, Yves Sente, n'en est pas à un retournement de situation près, il fait en sorte que Blake et Mortimer ne puissent déjouer les attentats du séditieux groupuscule indépendantiste qu'avec l'aide inattendue d'un allié incontournable… le colonel Olrik. Mais doit-on se fier à un « ami » possédant un tel pedigree ?
Ce 30e album signe le grand retour d'un duo d'auteurs emblématiques de la série Blake et Mortimer, à nouveau réunis pour leur septième et ultime aventure commune : Yves Sente et André Juillard (disparu le 31 juillet dernier à l'âge de 76 ans). En dépit de la maladie, le trait « ligne claire » du créateur des Sept Vies de l'épervier fait merveille, toujours aussi élégant, imaginatif et précis. André Juillard consacre d'ailleurs de très belles pages au talent équestre de Mortimer. Le dessinateur que l'on savait virtuose dès lors qu'il fallait croquer des chevaux, au pas, au trot ou au galop, offre à notre cher professeur une somptueuse balade sur les sentiers bordant les falaises de la région.
Ce 30e album signe le grand retour d'un duo d'auteurs emblématiques de la série Blake et Mortimer, à nouveau réunis pour leur septième et ultime aventure communeMais, par son style classique revisité, Juillard sait aussi plonger le lecteur au cœur des obsessions d'Edgar P. Jacobs (1904-1987). Car, le palpitant récit de Signé Olrik brasse avec habileté les grandes thématiques développées par celui qu'on surnommait « le Baryton du neuvième art » au cours des douze premiers tomes originels de la saga. Voilà un magnifique retour aux sources de la création jacobsienne.
On retrouve d'abord la fascination de Jacobs pour les légendes historiques et archéologiques qu'il avait mises en évidence dans Le Mystère de la Grande Pyramide ou Le Piège diabolique. Le château de Troussalet, de SOS Météores, fait désormais place au mythique château de Tintagel, avec ses côtes sauvages, entre histoire et légende. Il est raconté que c'est ici au XIIe siècle que fut conçu le roi Arthur, puisque Uther Pendragon aurait séduit la reine Igraine, après avoir revêtu l'apparence de son mari, le duc des Cornouailles grâce à la magie de Merlin. Sans oublier que l'épée Excalibur s'y trouverait, précieusement conservée dans le tombeau d'Arthur, à Avalon…
Alchimie amicale et créative
L'autre attrait de ce 30e album, c'est qu'il renoue avec la passion jacobsienne pour les sous-sols. Présents dans Le Secret de l'Espadon, SOS Météores ou L'Énigme de l'Atlantide, ils ont fait beaucoup pour l'atmosphère de mystère et de secret dont Jacobs était friand. L'espace souterrain a toujours fait partie intégrante de l'imaginaire jacobsien. Sente et Juillard réactivent ce topique, qui fascinait également son ami et complice Hergé (notamment dans Les Sept Boules de cristal, L'Île noire, Vol 714 pour Sydney…) avec bonheur.
Profitant de la présence de « la fameuse grotte de Merlin », nos deux repreneurs s'amusent à creuser le sujet, par-delà la légende arthurienne. C'est bien pour percer les mystères d'Excalibur que la foreuse géante du professeur Mortimer a été déplacée dans les Cornouailles. On sent que le tandem a semé intentionnellement des petits cailloux blancs pour tous les amoureux de l'œuvre jacobsienne.
L'impressionnante découverte de l'impénétrable tombeau souterrain d'Arthur revêt des allures singulièrement égyptiennes. Et l'on n'aurait pas été si étonné d'entendre prononcer la mémorable réplique : « Par Horus, demeure ! » Ce qui demeure, à l'évidence, c'est l'alchimie amicale et créative qui unissait Yves Sente et André Juillard. En guise de préface, on peut lire dans les pages de garde de Signé Olrik un poignant hommage d'Yves Sente : « Merci pour nos échanges “sans nuages” (pour reprendre ton expression) autour de nos ambitions pour la série Blake et Mortimer. (…) Tu n'imagines pas comme ta compagnie va manquer à tous ceux qui ont eu la chance de partager un bout de ta route et qui t'aiment. Once again, dear old chap, thank you so much. » So long, Mister Juillard.