Histoires naturelles, de Jules Renard : la condition animale et la condition humaine

Histoires naturelles, de Jules Renard, publié la première fois en 1894, a passé les siècles. Le recueil est composé d’histoires courtes – parfois une ligne (La Puce), parfois trois pages (Singes). Ce sont des nouvelles ou des poèmes, on les prend comme on veut. Le volume débute avec un mystérieux chasseur d’images : « Il saute du lit de bon matin, et ne part que si son esprit est net, son cœur pur, son corps léger comme un vêtement d’été. (…) Les yeux servent de filets où les images s’emprisonnent d’elles- mêmes. » Un autoportrait ? Certainement. La suite est une série dont tous les héros ou antihéros sont des animaux, ou, pour la dernière nouvelle, des arbres. De la poule à la bécasse, en passant par le paon, le chat, le cochon, le lézard, le ver, le crapaud, le goujon, la sauterelle… Il y en a soixante-huit.

Les écrivains qui mettent en scène des animaux attirent décidément les illustrateurs. Les plus exemplaires sont, bien sûr, La FontaineKipling ou Marcel Aymé avec ses contes. Les Histoires naturelles de Jules Renard ont été illustrées à plusieurs reprises. Et d’abord par Toulouse-Lautrec, dont l’édition avait rencontré un formidable accueil. Il y en eut d’autres avec d’autres peintres, mais c’est sans doute avec Pierre Bonnard que Jules Renard s’est senti le plus d’affinités. Normal, rappelle la maison d’édition Finitude, qui réédite cette édition magnifiée de soixante-sept dessins parue en 1904. Les deux hommes sont de la même génération.

Fantaisie, humour et regard tendre

Quand ces histoires accompagnées des dessins paraissent, Jules Renard (1864-1910) et Pierre Bonnard (1867-1947) ont une quarantaine d’années. Ils se sont tous deux éloignés de Paris, le premier pour son village natal dans la Nièvre, le second pour une maison au bord de la Seine, à Marly-le-Roi. Ils ont tous deux une notoriété bien établie : Renard, auteur dramatique réputé, a déjà publié de nombreux livres dont le célèbre Poil de carotte ; Bonnard est à la mode et répond à de nombreuses commandes. « Tous deux partagent un même goût pour un art proche du quotidien, pour un art qu’ils aimeraient démocratiser. Bref, ils étaient faits pour s’entendre ! », souligne-t-on chez Finitude.

L’auteur de Poil de carotte a un talent qui force le respect

Mohammed Aïssaoui

Et ça marche, parce que les deux artistes ont exactement la même approche, de la fantaisie, de l’humour, un regard tendre, beaucoup de sensibilité. L’étonnant est que cette édition Renard-Bonnard avait connu un énorme succès mais n’existait plus après la Seconde Guerre mondiale. Elle n’était plus disponible depuis quatre-vingts ans…

L’auteur de Poil de carotte a un talent qui force le respect, sa plume est un scalpel, avec ce sens de l’observation inouï qui lui permet de saisir un détail et de le restituer en une anecdote savoureuse ou instructive. Deux, trois mots, et tout est dit. On admire ce style où précision et poésie se mêlent avec bonheur. Comme La Fontaine, Renard parle d’animaux, et c’est notre pauvre condition humaine qu’il décrit.

Histoires naturelles de Jules Renard, dessins de Pierre Bonnard, Finitude, 240 p., 25 €. Finitude