Immigration: le voyage au bout de la nuit parlementaire

Il n'est pas encore 17 heures, lundi, et la nuit vient de tomber sur l'Assemblée nationale. Au premier étage du Palais Bourbon, le président des Républicains (LR) Éric Ciotti, le téléphone vissé à l'oreille, tente de comprendre. La cruciale Commission mixte paritaire (CMP) - composée de sept députés et sept sénateurs - va bientôt se réunir, mais un désaccord persiste avec Élisabeth Borne. Au risque de remettre en cause un fragile compromis sur le projet de loi immigration, ce texte devenu l'un des plus symboliques du second quinquennat d'Emmanuel Macron.

Les négociations ne peuvent pas commencer tant que ce blocage n'est pas levé. Alors, à peine ouverte à 17 heures, la réunion est aussitôt suspendue à la demande des LR. Les ténors de la droite s'isolent dans une salle exiguë pour tirer l'affaire au clair : quid des Aides personnalisées au logement (APL) pour les étrangers, que Les Républicains veulent conditionner à cinq ans de présence sur le territoire ? Cette mesure a disparu du texte.

Le bras de fer se poursuit

Le camp Macron s'y oppose. Le bras de fer se poursuit. Le patron des sénateurs LR, Bruno Retailleau, appelle la première ministre pour lui demander des comptes. «Ce n'est pas conforme au texte du Sénat et aux engagements qui nous avaient été donnés », écrit-il un peu plus tard sur les réseaux sociaux.

Pendant les quatre heures de suspension de séance, chaque camp rejette sur l'autre la responsabilité de l'enlisement. «Ça ne sent pas bon», s'inquiète Florent Boudié, rapporteur Renaissance du projet de loi, avant de se rendre à Matignon pour une réunion convoquée en urgence autour d'Élisabeth Borne.

Macronistes et Républicains s'accusent de ne pas respecter le pré-accord conclu avant la commission députés-sénateurs. «C'est House of cards version Wish... En moins bien, quoi», glisse un collaborateur parlementaire. Pendant ce temps, la gauche profite de l'embrouillamini pour réclamer le report des tractations députés-sénateurs : «Nous demandons d'arrêter cette mascarade », lance le patron des sénateurs socialistes, Patrick Kanner. Le lepéniste Yoann Gillet dénonce une « tambouille politique ».

À mesure que les heures passent, la situation semble s'enkyster. Tout paraissait pourtant réglé à l'ouverture des discussions. Soucieuse de trouver un accord avec la droite - laquelle dispose de cinq sièges dans cette instance, autant que le camp présidentiel -, Élisabeth Borne avait multiplié ces derniers jours les rencontres avec les ténors de sa majorité et des Républicains. Au point de faire plusieurs concessions à la droite, dont la promesse d'une réforme de l'Aide médicale d'État (AME) pour le début d'année prochaine, confirmée noir sur blanc dans une lettre au président LR du Sénat Gérard Larcher. Un engagement venu conclure une semaine de pourparlers menés avec une droite enhardie par le rejet du texte sur l'immigration dans l'Hémicycle de l'Assemblée, la semaine dernière.

Un quiproquo à l'origine de la dégradation des échanges ?

Et si un quiproquo entre le gouvernement et Les Républicains était à l'origine de la dégradation des échanges de lundi soir ? Plusieurs versions du projet d'accord ont circulé entre Matignon et la droite dans la journée. Les responsables des deux côtés ont fini par comprendre qu'une confusion dans la rédaction avait semé le trouble. Pour ne rien arranger, un article de presse paru en fin de soirée, annonçant un hypothétique coup de fil d'Emmanuel Macron à Bruno Retailleau, crée la stupeur à droite et à gauche. Très vite fusent les procès en atteinte à la séparation des pouvoirs, en dépit des démentis apportés par les entourages des deux hommes.

Malgré les crispations, les discussions reprennent. Article par article, point par point. Version restrictive des régularisations de travailleurs sans-papiers dans les métiers en tension, limitation du regroupement familial, déchéance de nationalité pour les binationaux auteurs de crimes contre les forces de l'ordre... «On avance », indique un participant autour de 23 heures, alors que la question du versement des APL aux étrangers est renvoyée à plus tard dans la nuit pour permettre la poursuite des échanges.

Mal à l'aise avec la tournure de la soirée, l'aile gauche macroniste redoute un projet de loi trop dur. Ministres et dirigeants de la majorité craignent que le camp présidentiel se fracture. Rétif a toute dissolution ou 49.3 sur le texte, le chef de l'État se tient pour sa part à distance des tractations. Au lieu de cela, le président de la République a préféré recevoir à l'Élysée les Bleues championnes du monde de handball. Une soirée plus courte que celle des parlementaires. Qui, même en son absence, ont reproduit les réunions marathon qu'il chérit tant.