REPORTAGE. "Mourir, c'est ce qui fait le plus peur" : 24 heures avec les artilleurs du 1er corps d’Azov en Ukraine

La mission des artilleurs de la 20ème brigade Lioubarte, 1er corps d'Azov est éminemment importante. L'élite de l'armée ukrainienne doit empêcher la prise par les Russes de la ville stratégique de Pokrovsk. Cette ville est un nœud logistique essentiel à l’armée d'Ukraine. L'armée russe essaie de la prendre en tenaille, mais les forces ukrainiennes résistent.

À 6 heures du matin, un blindé roule à toute allure sur un chemin plein de boue au nord-est de Pokrovsk. Une odeur de poudre persiste, des maisons en ruine et des trous d'obus sont visibles. C'est ici, que sont positionnés des artilleurs du 1er corps d'Azov, dans ce qu'ils appellent "la zone de mort". À tout moment, un drone peut attaquer.

"Ma tâche, c'est de surveiller si un drone ennemi approche"

Le blindé se gare devant un abri de campagne, dissimulé sous des filets de camouflage. Ils sont cinq à vivre ici, un commandant et ses hommes. Le front se trouve à un peu plus de sept kilomètres, une des lignes les plus dures du moment, comme le confirme avec détachement, Oleh : "Oui, je pense qu'on peut dire ça". Une détonation résonne. "C'est plutôt vrai, c'est un point chaud", reprend Oleh.

Les soldats dissimulés sous des filets de camouflage. (Virginie Pironon)
Les soldats dissimulés sous des filets de camouflage. (Virginie Pironon)

La mission de cette unité, c'est d'aider les soldats en première ligne en tirant sur les positions russes. À 9 heures, l'ordre est donné, "au combat". Les hommes doivent être prêts en une minute. Fusil d'assaut en main, les cinq soldats doivent courir soixante mètres pour rejoindre leur canon semi-enterré. L'engin, un Gvozdika de fabrication soviétique, de calibre 122 millimètres est caché sous des branches. Ils sont deux à se glisser à l'intérieur, les deux autres se positionnent de chaque côté.

Accroupi à l’arrière du canon, le commandant, les yeux rivés sur son téléphone portable, attend les ordres et donne les coordonnées de tir. Deux décharges retentissent. La place d'Oleh est à l'intérieur du canon : "Mon travail, c'est de viser précisément et de tirer. Je me suis habitué. Je suis déjà un peu sourd."

Artem est le plus jeune de l'équipe. À 23 ans, il est à l'extérieur du canon : "Ma tâche, c'est de surveiller si un drone ennemi approche. S'il nous attaque, je lui tire dessus. Mais s'il ne nous voit pas, je ne tire pas parce que sinon, il pourrait nous repérer et nous deviendrions, alors, des cibles pour l'artillerie russe."

"Les drones sont partout, le ciel bourdonne"

À 9h20, les hommes sont en état de veille permanente devant leur abri, sous le camouflage. Au moindre bruit suspect, Valiko regarde le ciel à travers le filet. "Quand il fait beau, les drones sont tellement nombreux qu'on ne peut même pas sortir de l'abri. C'est comme des abeilles dans une ruche qui volent dans tous les sens. Certains sont visibles, d'autres non, il est impossible de savoir si ce sont nos drones ou si ce sont les leurs. Ils sont partout, le ciel bourdonne." Un drone passe justement au-dessus de leur tête. C'est un drone russe, il faut se mettre en sécurité.

À 12 heures, à l'intérieur de l'abri, la lumière du jour ne passe pas. Le lieu fait trois mètres sur cinq. Il y a une table, un réchaud, des couchettes. Le temps s'étire. Il est rythmé par le cliquetis du radiateur. Les frappes des bombes guidées font tout trembler. Recouvert par deux couches de troncs d'arbre et de cinquante centimètres de terre, l'abri a été creusé par les hommes eux-mêmes. Allongés sur leur couchette, les artilleurs tuent l'attente sur leur téléphone portable.

Les artilleurs au repos dans leur abri. (Virginie Pironon)
Les artilleurs au repos dans leur abri. (Virginie Pironon)

Dans l'après-midi, à 15 heures, Valiko, bonnet enfoncé jusqu'aux oreilles, le regard dur, explique qu'avant de devenir artilleur, il y a quatre mois, il se battait en première ligne : "La principale différence, c'est qu'avant, je tuais au corps à corps et aujourd'hui, je le fais à distance. Disons que pour le sabotage et la reconnaissance, je suis déjà vieux."

Valiko montre des photographies de deux cadavres de soldats russes sur son téléphone portable. Au début de l’offensive, il y a un an, il était en première ligne à Pokrovsk : "En premier lieu, ils envoient tous leurs sales types comme chair à canon. Ils avancent, ils prennent des positions par groupes de deux ou trois personnes. Ces gars-là, les Russes s'en foutent. Et ensuite? ils envoient l'élite qui renforce les positions. Ils ont l'avantage du nombre. Ils sont beaucoup plus nombreux. Ces ordures sont envoyées parfois sans arme, pour s'installer dans des maisons ou sur un terrain. Je peux vous dire que tout ça, c'est la vérité."

"Tes proches te manquent, tu ne peux pas partager tout l'amour que tu as pour eux"

Valiko, artilleur au sein du 1er corps d'armée d’Azov

sur franceinfo

À 18 heures à la surface, des chiens venus du village abandonné situé juste à côté viennent se blottir les uns contre les autres sous le camouflage des maraudeurs. "Il y a peu de gens ici, il n'y a pas beaucoup de monde avec qui parler. Grâce aux chiens, aux chats, tu peux compenser ce manque. Sur une autre position, une souris venait quand j'étais en train de manger. Elle s'asseyait près de moi et mangeait sans avoir peur."

Ces artilleurs font partie de l’élite de l’armée ukrainienne. (Virginie Pironon)
Ces artilleurs font partie de l’élite de l’armée ukrainienne. (Virginie Pironon)

Chacun tente de surmonter ses peurs lorsque la nuit tombe

À 21 heures, il fait désormais noir. Les hommes s'apprêtent à se relayer toutes les deux heures. Pour Artem, la mort est omniprésente : "Mourir, c'est ce qui fait le plus peur. Dans la vie civile, ce sont mes parents qui m'attendent. Ma plus grande peur, c'est qu'ils ne puissent plus me voir. Tous les jours ils s'inquiètent pour moi, ils prient pour moi. Ma plus grande peur, c'est de ne plus revoir ma famille."

Le lendemain à 5 heures, cinq bombes guidées s'écrasent à l'extérieur. Pour eux, la relève, ce sera dans deux semaines.