TEMOIGNAGES. "Ils avancent comme des zombies" : à Pokrovsk, les soldats ukrainiens désemparés face à l'offensive russe

La bataille de Pokrovsk vécue de l'intérieur. Les combats font actuellement rage dans cette ville stratégique du Donbass, située dans l'est du pays, qui pourrait tomber aux mains des forces russes d'un jour à l'autre. Au plus proche de Pokrovsk, entre deux rotations, dans des villages alentour où des soldats prennent un peu de repos. Franceinfo a pu les rencontrer.

Une route sinueuse, au milieu des terres noires du Donbass, mène à un petit village, situé à une quinzaine de kilomètres de la ligne de front. De chaque côté de la route, pleine de boue, se trouvent quelques maisons en bois, peintes en bleu. Sous les arbres, dans les jardins, des véhicules militaires sont dissimulés sous des filets de camouflage.

"Là-bas, c'est le pire du pire"

Les soldats y ont établi leur base arrière. Mais dès le lendemain, Maxim, les yeux rougis par la fatigue, reviendra sur leur position, dans le village de Chakhové, au nord de Pokrovsk. "Là-bas, c'est le pire du pire du pire. Vous voyez ce que je veux dire… La situation est très mauvaise. Si je vous parle franchement, je n'ai pas envie d'y aller, confie le soldat. Je ne vois pas où est le sens, tout ce que je veux, c'est rester en vie."

Visée par un drone quelques jours auparavant, sa voiture a pris feu. "Dans notre unité, nous ne sommes pas assez nombreux. Je viens tout juste de rentrer de position, et il faut que j'y retourne ! Vraiment, nous n'avons pas assez d'hommes", regrette le soldat engagé depuis 2014, souffrant de multiples contusions.

"Il y a deux jours, en cinq minutes, sur nos positions, huit drones de combats, des mini-Shahed, des Lancet, des Gerber se sont écrasés."

Grigori, soldat ukrainien

à franceinfo

Le teint cireux, des cernes noirs autour de ses yeux bleus, Grigori, veste kaki, montre une vidéo sur son téléphone : Il est filmé à l'arrière d'un pick-up, de retour du front. "Je viens tout juste de rentrer de la position, ce matin, explique-t-il. Je n'ai eu aucune pause, je me bats non-stop et ça fait près de six ans.
Depuis 2020, je n'ai eu qu'une seule permission, de 15 jours. Tout ça est très triste, on comprend tous qu'on ne pourra pas reprendre ces territoires, ça n'a aucun sens."

Changement de stratégie côté russe

Et si les Russes ont réussi à prendre Pokrovsk en tenaille, c'est qu'ils ont changé de stratégie en profitant de la faiblesse de leur adversaire. C'en est fini du rouleur compresseur, ils avancent désormais par petits groupes, de quelques personnes seulement. Des vidéos ont circulé ces derniers jours montrant des hommes à moto, dans un épais brouillard.

Ils profitent actuellement de conditions météo qui leur sont favorables, explique Volodymyr, spécialiste du brouillage de drones : "La pluie, le brouillard, le mauvais temps… Pour eux, c'est un énorme avantage. C'est comme ça qu'ils ont réussi à prendre une partie de Pokrovsk." "Ils envoient des bombes guidées, des obus, des roquettes… reprend-il. Entre 60 et 80 bombes guidées, en une journée et sur une seule ville !"

"Ils avancent ! À moto, à vélo, avec tout ce qu’on peut imaginer !"

Volodymir, spécialiste du brouillage de drones

à franceinfo

Et rien ne semble stopper cette avancée, à la stupéfaction des soldats ukrainiens. "Comment vous expliquer ça ? Ils marchent, sans même avoir peur de nos drones. Même s'il y en a deux ou trois qui leur tombent dessus, ça ne fait rien, ils avancent quand même, comme des zombies ! Et ils arrivent à pénétrer les lignes, là où nous n'avons pas assez d'hommes… Il y en a deux qui arrivent, on les tue. Et en une demi-journée, il y en a d'autres qui arrivent ! Ils sont comme des zombies. Je ne sais pas, peut-être qu'ils sont drogués, ils n'ont pas l'air conscients."

Entouré de chats, dans une maison où il s'entasse bien au chaud avec ses frères d'armes, Volodymyr sait que dans une semaine, il sera à nouveau en première ligne. Selon lui, la chute de Pokrovsk n'est qu'une question de temps. "Nous manquons d'hommes, dit-il, nous pourrons peut-être tenir un mois, mais pas plus."