"Observatrice." C'est le seul badge que Michelle Lujan Grisham a pu obtenir. La gouverneure de l'Etat du Nouveau-Mexique, aux Etats-Unis, était à la COP30 de Belém, au Brésil, mardi 11 novembre. "L'absence de la Maison Blanche, son refus de participer [au sommet] ou même son incrédulité face à la crise climatique ne suffisent pas à nous freiner." Après le retrait américain de l'accord de Paris, début 2025, et les nombreux reculs environnementaux outre-Atlantique, Washington n'a envoyé personne à l'événement planétaire qui se tient jusqu'au 21 novembre.
Aucun badge officiel de négociateur n'a donc été remis à un Américain ou une Américaine, selon la liste officielle des participants. Dans les allées, aucun pavillon américain ne présente les enjeux nationaux autour du changement climatique, comme c'est le cas pour les autres pays du monde. Et ce, alors même que les Etats-Unis représentent 20% des émissions mondiales historiques de gaz à effet de serre, note le site spécialisé Carbon Brief. Dans une petite salle de la COP30, la gouverneure élève la voix pour recouvrir le bruit de la pluie battante quotidienne : "Nous sommes un acteur majeur, tant en matière d'émissions, dans le mauvais sens du terme, que d'opportunités, dans le bon sens du terme."
La démocrate a donc décidé de venir à Belém de son propre chef. Elle est loin d'être seule. Une coalition de 100 représentants locaux (des hauts responsables issus de six Etats fédérés, plus de 35 maires et 50 responsables municipaux venus de 26 Etats) s'est déplacée au Brésil, d'abord pour un forum mondial des dirigeants locaux, à Rio, juste avant la COP, puis, pour une douzaine d'entre eux, dans les couloirs de la COP. Le nom de leur collectif : "America Is All In" ("Les Etats-Unis sont pleinement mobilisés"). "Nous représentons environ deux tiers de la population de notre pays, trois quarts de son PIB et plus de 50% de ses émissions", détaillait en octobre Gina McCarthy, coprésidente d'America Is All In. Sur place, ils enchaînent les réunions et les conférences avec la présidence de la COP30 et différents leaders des Nations unies.
"Plus engagés que jamais"
Michelle Lujan Grisham court sans cesse d'un lieu à un autre dans les couloirs de la COP30. Pour elle, il s'agit de rassurer le monde : non, les Etats-Unis n'ont pas abandonné la lutte contre le changement climatique. "Sachez que la centaine de dirigeants que nous sommes est plus engagée que jamais. Et quand notre gouvernement ne fait pas ce qu'il devrait faire, les dirigeants locaux comblent ce vide. Nous l'avons déjà fait. Et j'aimerais pouvoir prédire que cela ne se reproduira plus jamais."
Chacun cite ses actions locales en faveur du climat. "Le plus grand parc éolien d'Amérique du Nord est au Nouveau-Mexique", rappelle Michelle Lujan Grisham. "A Savannah, on augmente nos infrastructures pour recharger les véhicules électriques", renchérit une représentante de cette ville de l'Etat de Géorgie. "On a réduit nos émissions de gaz à effet de serre de 21% depuis 2000", ajoute le gouverneur démocrate de Californie, Gavin Newsom. Autant de preuves que, selon eux, les Etats-Unis bougent, même sans Donald Trump.
"L'administration Trump ne reflète pas les valeurs des Etats-Unis. Nos gouverneurs, nos maires et nos entreprises sont engagés en faveur de l'accord de Paris, et nous nous battons pour construire un avenir pour nos enfants et petits-enfants."
Gina McCarthy, ex-conseillère pour le climat à la Maison Blanche sous Joe Bidenlors d'une conférence de presse en octobre
Ces représentants locaux veulent aussi se montrer unis à la COP30 et dénoncent un président isolé, tant sur la scène nationale qu'internationale. Entouré d'une foule de journalistes, Gavin Newsom assure que "les Etats s'associent, malgré les vents contraires qui soufflent à Washington (...) Je ne veux pas que [notre pays] soit relégué au second plan lors de cette conférence."
Le quinquagénaire, qui pourrait être le prochain candidat démocrate à la présidence des Etats-Unis, ne mâche pas ses mots sur l'actuel locataire de la Maison Blanche. "C'est un président destructeur. Il a tenté de faire reculer les progrès réalisés au cours du siècle dernier", commence-t-il, sur l'un des stands de la COP. Puis, lors d'une conférence de presse, son ton se veut tout aussi offensif : "Donald Trump redouble d'imbécillité (...) L'administration Trump a abandonné son devoir et sa responsabilité de leadership sur les questions qui nous réunissent aujourd'hui. C'est une abomination, c'est une honte. Plutôt que de se concentrer sur ça, nous essayons d'agir." Ses collègues de l'alliance lui emboîtent le pas. "Embarrassant", "anti-science", "climatosceptique", "contrôlé par l'industrie des combustibles fossiles", déclarent-ils à tour de rôle.
Face à ce pouvoir de nuisance climatique, l'échelon local leur paraît approprié pour négocier. "Dans le système fédéral américain, les Etats, les villes et les autres administrations infranationales conservent des pouvoirs politiques importants", explique à leurs côtés Nate Hultman, directeur du Centre pour la durabilité mondiale de l'Université du Maryland. Il cite leurs compétences dans les domaines de l'énergie, du bâtiment et des transports, et présente à l'assistance une récente étude qu'il a coécrite (PDF), selon laquelle l'action de ces dirigeants locaux peut contribuer à maintenir les Etats-Unis en phase avec les objectifs de l'accord de Paris. Leurs mesures "pourraient permettre de réduire les émissions de gaz à effet de serre nationales de 56% par rapport aux niveaux de 2005 d'ici à 2035", s'enthousiasme-t-il.
Michelle Lujan Grisham, elle, en est à sa quatrième COP, après Glasgow (2021), Charm el-Cheikh (2022) et Dubaï (2023). Pour elle, celle-ci est le moment de reconnaître le rôle clé des acteurs locaux. "C'est nous qui faisons réellement croître les économies. Ce n'est pas le gouvernement fédéral. Ce n'est pas le Congrès. Ce sont les dirigeants des Etats [fédérés] et les dirigeants locaux. Et ça continuera."
"Xi Jinping doit se réjouir"
Dans leur bouche, l'argument économique reste omniprésent. Les 24 gouverneurs rassemblés dans la coalition de l'Alliance pour le climat, autre organisation représentée à la COP30 dont font aussi partie Gavin Newsom et Michelle Lujan Grisham, ont vu leurs Etats "réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 24% par rapport aux niveaux de 2005, tout en augmentant leur PIB de 34%", répètent les acteurs présents à la COP. La Californie a "sept fois plus d'emplois dans les énergies renouvelables que dans les combustibles fossiles", argumente aussi Gavin Newsom. Aux opportunités d'emplois, il ajoute la "crise de l'assurance, exacerbée par le réchauffement climatique" et la hausse du PIB de son Etat, encouragée par les politiques de transitions écologiques.
Depuis Belém, il rappelle à Donald Trump que les Etats-Unis risquent de perdre la course sur les marchés des énergies renouvelables et des véhicules électriques. "Le président ne comprend tout simplement pas à quel point Xi [Jinping] doit se réjouir, aujourd'hui, de voir l'administration Trump absente à la COP30." La politique de la chaise vide de son rival laisse Gavin Newsom prendre tout l'espace. "La Californie est un partenaire stable et fiable. Donald Trump est temporaire. La Californie, elle, continuera de mener les discussions." A Belém, il a signé une déclaration commune avec le Brésil, un partenariat climatique avec le Nigeria, un accord avec le Chili et la Colombie et un partenariat avec le Land allemand du Bade-Wurtemberg.