"Notre quartier entier est sous le sang" : à Rio, la colère et la peur des habitants des favelas après l'opération de police antidrogue qui a fait au moins 119 morts

"Réveille-toi ! S'il te plaît !" : devant les dizaines de corps exposés dans une rue de la favela, une proche désespérée laisse éclater sa peine. Mercredi 29 octobre, au lendemain de l'intervention policière la plus meurtrière de l'histoire du Brésil avec au moins 119 morts, le président Lula a appelé à ne pas "mettre en danger" la population avec la lutte contre le crime organisé.

L'opération a mobilisé 2 500 agents contre le Comando Vermelho (Commando Rouge), principal groupe criminel de Rio, qui opère dans les favelas, quartiers populaires densément peuplés. Après plus d'un an d'enquête et avec 113 arrestations, l'intervention a été un "succès", a lancé devant la presse Claudio Castro, gouverneur de droite de l'Etat de Rio. Il a défendu la manière forte face à ce qu'il qualifie de "narcoterrorisme". Les seules "victimes" ont été les policiers tués, a-t-il affirmé.

"Ce n'est pas une tragédie, mais un choix, un projet de pouvoir"

Sur place, au Complexo da Penha et au Complexo do Alemao, vastes ensembles de favelas situés dans le nord de Rio, l'ampleur du bain de sang a stupéfié les habitants, pourtant trop souvent confrontés à la violence. Ce sont eux qui ont descendu les corps depuis les hauteurs qui surplombent ces quartiers pauvres. Gabriela Santos, une habitante membre de l'ONG Voz Das Comunidades, n'en peut plus : "J'ai vraiment du mal à mettre des mots sur ce que c'est que voir notre quartier entier sous le sang, les corps, la peur et un climat de guerre qui n'a aucun sens... Ce qu'il s'est passé dans le Complexo do Alemao et ici à Penha, ce n'est pas une tragédie, c'est un choix, un projet de pouvoir qui se base sur les corps des personnes noirs et de la périphérie", accuse-t-elle.

Peu importe l'indignation locale ou les critiques internationales, le gouverneur d'extrême droite Claudio Castro, responsable de l'opération continue de s'en féliciter, ne déplorant que les quatre policiers tués. Avec l'année électorale à venir l'an prochain, il espère surfer sur ce bilan, alors qu'une partie de la population soutien sans réserve ces actions sanglantes.

Le juge Alexandre de Moraes, de la Cour suprême brésilienne, a demandé des explications sur l'action de la police au gouverneur Castro, convoqué pour une audience la semaine prochaine. Le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres, "très inquiet" du bilan de l'opération, "appelle les autorités à mener rapidement une enquête", selon un porte-parole. Jusqu'à présent, l'intervention policière la plus mortelle de l'histoire du Brésil avait eu lieu en 1992, quand 111 détenus avaient été tués dans la répression d'une mutinerie dans une prison à Carandiru, près de São Paulo.