La suspension de la réforme des retraites et ses modalités se sont précisées, jeudi 23 octobre, avec le recours à la lettre rectificative acté en conseil des ministres, officialisant l'adoption de la mesure dans le projet de budget 2026 de la Sécurité sociale. En parallèle, l'examen de la partie recettes du budget 2026 s'est achevé par un rejet, mercredi en commission des Finances, où plusieurs mesures ont été retoquées, dont la modification de l'abattement des retraités. Avant l'ouverture des débats, vendredi dans l'hémicycle, sur la copie du gouvernement, le "20 Heures" reçoit Roland Lescure, ministre de l'Économie du gouvernement de Sébastien Lecornu, pour évoquer ces sujets.
Ce texte correspond à une partie de la retranscription de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.
Jean-Baptiste Marteau : On sait que les débats en commission, c'est un tour de chauffe avant l'examen dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale. Mais tout de même, le PS qui s'abstient, la droite qui vote contre, seuls les Macronistes qui approuvent cette partie du budget. Est-ce que vous avez encore un peu d'espoir de faire voter ce budget d'ici la fin de l'année ?
Roland Lescure : Oui, vous l'avez dit, la commission des Finances, c'est un peu un galop d'essai. Le gouvernement n'y est pas représenté. Les parlementaires testent leurs arguments, testent des amendements, les rapports de force sont un peu là aussi à l'essai. Mais ils votent contre à la fin. Et la vraie course, ça commence demain. Demain, on partira de la copie du gouvernement, et on l'a dit, c'est un point de départ. Ce ne sera clairement pas le point d'arrivée. Il va falloir négocier, j'allais dire négocier vraiment, c'est-à-dire que chaque vote va compter. Vous vous souvenez que le 49.3, pendant deux ans, ça a été : on vote en gros ce qu'on veut, parce que de toute façon, tout ça sera balayé par le 49.3. En s'engageant à ne pas avoir recours à l'article 49 alinéa 3 de la Constitution, le Premier ministre a introduit un changement de méthode qui est très important et qui, au fond, met tout le monde devant sa responsabilité.
Mais ça ne marche que si les uns et les autres font des compromis l'un vers l'autre. Est-ce que c'est possible ? Personne n'a l'air prêt d'en faire.
Non, en fait, je pense que, mis à part l'extrême droite et l'extrême gauche, dont on sait qu'ils ne souhaitent pas voter ce budget parce qu'ils souhaitent avant tout une dissolution, tous les autres groupes, au fond, sont prêts à le faire. Est-ce qu'on en sera capables ? Ça va être la question des jours qui viennent, mais moi, je sens vraiment une bonne volonté des uns et des autres. Vous savez que la semaine dernière, il y a eu un vote de censure du gouvernement. À part La France insoumise et le Rassemblement national, dans chaque groupe parlementaire, y compris chez les communistes, chez les écologistes, la droite républicaine, chez les socialistes, il y a des députés qui ont choisi de ne pas voter la censure. Ça veut dire que ces députés-là, ils souhaitent débattre.
Mais par exemple, le PS le dit dans le reportage : "on veut une vraie taxe sur les plus fortunés". Ça n'est pas le cas, la taxe Zucman a été rejetée en commission. Vous leur dites quoi au PS ?
Je leur dis que, d'abord, la copie de départ, elle demande des efforts à tout le monde. Il faut le retenir quand même, parce qu'on voit beaucoup de milliards qui volent dans tous les sens cette année. C'est vrai que cette copie demande des efforts à tout le monde. Il y a deux sujets de préoccupation. Il y a les personnes en situation les plus difficiles, et ça fera partie des débats à venir. Puis les personnes les plus aisées, ça fera aussi partie des débats. Moi, je veux vous dire deux choses. D'abord que le ministre des Finances, il est garant du cadre. Devant chaque plus, il faudra un moins.
Il faudra des économies à chaque nouvelle dépense.
Bien sûr, parce que sinon, on dégrade le budget. Et ça, au-delà des engagements européens, au-delà des marchés financiers, des agences de notation, c'est surtout une très mauvaise nouvelle pour les Français.
Et le deuxième point ?
Et le deuxième point, c'est que oui à la justice fiscale, non à la surenchère fiscale. Donc il faut rester évidemment raisonnable dans un pays qui taxe déjà le plus au monde. Maintenant, il y a une vraie demande de justice fiscale et ça, il faut qu'on y réponde. Il faut que les groupes parlementaires y répondent et il faut qu'on négocie des solutions qui, j'en suis sûr, existent.
"C'est vrai que c'est un budget d'effort"
Un point semble sanctuarisé par le gouvernement pour l'instant, c'est la suspension de la réforme des retraites. Il y a une lettre rectificative qui a été adoptée ce matin en Conseil des ministres. Ça veut dire que, quoi qu'il arrive, la réforme ne s'appliquera pas avant janvier 2028 ?
Ça veut dire que, quoi qu'il arrive, le débat va avoir lieu. L'inquiétude des socialistes, c'est que, comme le Premier ministre était engagé à déposer un amendement, on n'ait pas le temps de discuter de cet amendement.
Et que le budget soit voté à la fin ?
Il va falloir qu'il soit voté. Le gouvernement s'est engagé, et je vais vous dire une chose, c'est la seule chose qu'il a mise, le Premier ministre, dans sa déclaration de politique générale, en tout cas la chose la plus importante. Donc nous, on met notre responsabilité dans cette suspension.
Maintenant, les oppositions doivent voter le projet de loi de finances, sinon il n'y a pas de suspension de la réforme des retraites.
La suspension de la réforme des retraites, c'est le prix du compromis. On parle beaucoup de compromis ces temps-ci. C'est le prix qu'on doit payer, y compris pour des gens qui ont soutenu cette réforme, pour avoir un compromis. Donc j'espère qu'elle sera votée, en tout cas, elle va être débattue. Ça, c'est l'engagement du Premier ministre, et il l'a matérialisé aujourd'hui avec cette fameuse lettre rectificative.
Il y a le prix, il y a aussi le coût de cette réforme, 100 millions d'euros en 2026, 1,4 milliard en 2027. Qui va payer ce milliard et demi ? Le gouvernement l'a dit aujourd'hui dans la lettre, les retraités et les complémentaires santé mis à contribution.
Non, mais on ne peut pas être un gouvernement qui dit : devant chaque plus, il faudra un moins et proposer un plus sans un moins. Donc on propose un moins. Mais évidemment, c'est ouvert au débat également.
Mais il faudra la payer, cette réforme, elle va avoir un coût que les Français devront payer.
De toute façon, aujourd'hui, on fait face à un enjeu majeur qui est de stabiliser notre dette publique. Pour ça, il faut être en dessous de 3 % en 2029, ça, j'en serai le garant. Et tout ça, c'est une marge de l'escalier. Il faut, pour être à moins de 3 % en 2029, commencer dès 2027. Et je vais vous dire une chose : les socialistes qui ont demandé la suspension de la réforme des retraites, ils ont eux aussi des voies de financement. Donc c'est de ça dont il va falloir débattre.
Et les retraités devront donc être mis à contribution. Ils vont payer une partie de cette suspension de la réforme des retraites.
Dans ce budget, tout le monde fait des efforts, y compris les retraités. Mais vous savez, et ils le savent, qu'on les a protégés comme nulle part au monde pendant le Covid, pendant la crise ukrainienne où les retraites ont été indexées.
Donc maintenant, vous leur demandez un effort supplémentaire ?
Non, on demande des efforts à tout le monde. On souhaite qu'ils soient équitablement répartis, qu'ils soient justes. Mais c'est vrai que c'est un budget d'effort, je ne veux pas vous vendre l'invendable. Mais ces efforts, ils doivent être justes, ils doivent être efficaces, chaque euro. En fait, le budget, ce n'est pas un exercice comptable, c'est un exercice économique aussi. Il faut qu'on soit efficaces, il faut qu'on préserve les services publics essentiels. Il faut qu'on crée de la croissance, parce qu'évidemment, la croissance de demain, c'est aussi le modèle social d'après-demain.
Un dernier mot, concernant les dégâts liés à la tempête Benjamin, vous étiez tout à l'heure en déplacement au siège d'Enedis. Combien de foyers sont encore privés d'électricité ce soir ? On évoquait le chiffre de 60 000 en début de journal.
Alors, d'abord, un décès, un touriste allemand, donc évidemment j'adresse mes condoléances à sa famille. Les équipes d'Enedis ont été sur pied toute la journée. Ce que je peux vous dire, c'est qu'à l'heure où je vous parle, nous sommes à 38 000 foyers encore privés d'électricité. On va travailler pour l'établir très vite. Nous étions à 140 000 ce matin, donc merci aux équipes qui ont travaillé d'arrache-pied.
Et tout le monde aura retrouvé l'électricité le plus vite possible ce soir dans la nuit ?
Je ne veux pas vous donner d'heure, mais vu le rythme auquel nous sommes, j'espère que ça va venir très vite.