Emmanuel Macron au pays des renvois d’ascenseurs
Délinquants et ultra-riches, comment ils ont fait élire Macron, Off-investigation.fr
C’est une enquête « refusée par toutes les chaînes », explique Jean-Baptiste Rivoire à la fin du film. Et pour cause, pourrait-on dire… Le dernier documentaire de Off Investigation, le média en ligne qu’il a créé après avoir quitté Canal Plus après avoir fait les frais de l’arrivée de Vincent Bolloré à la tête du groupe, n’épargne pas les médias. Ou plutôt leurs propriétaires.
Le journaliste Gauthier Mesnier, qui a mené l’enquête avec Rivoire, raconte une opération de longue haleine pour préparer l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République, depuis son arrivée à l’Élysée dans les valises de François Hollande. En 2013 déjà, alors qu’il n’était « que » secrétaire général adjoint du Château, Macron y recevait, avec sa femme Brigitte, les cadres de Havas (Ismaël Émilien, un de ses futurs conseillers), Publicis (Franck Louvrier, ancien communicant de Nicolas Sarkozy) ou CapGemini (Philippe Grangeon, qui deviendra son conseiller spécial). Ils mettent en place un réseau pour « draguer » les magnats des médias : Martin Bouygues, Arnaud Lagardère, Xavier Niel, Patrick Drahi, Bernard Arnault ou Vincent Bolloré sont directement approchés.
Une « logique d’influence»
Une « logique d’influence », note le journaliste Laurent Mauduit, qui tranche avec les habitudes précédentes, notamment celles de François Hollande, « soigner » les journalistes politiques. Du « win-win » : les journaux multiplient les unes sur « l’homme de la situation » (Le Nouvel Obs), « la bombe » (L’Express) ou le « zéphyr de nouveauté » qui souffle sur la politique française (Libération). Il s’agit de rendre populaire et accessible un inconnu formé à Henri IV, Sciences Po et l’ENA, qui a son tour rendra service (fiscaux surtout) : Macron a depuis son passage à la banque Rothschild « l’habitude de se mettre au service du monde des affaires ». Un « relais des puissants » qui savent que ça leur sera « rendu », estime Marc Joly, auteur de La pensée perverse au pouvoir. Encore aujourd’hui, il est savoureux d’entendre François Bayrou, sur le plateau de Jean-Jacques Bourdin, en septembre 2016, se demander « pourquoi ces heures et ces heures de télévision en direct ? Ces couvertures de magazines ? Ces pages et ces pages de photographies autour de sujets qui vous l’avouerez sont assez vides ? » Il n’avait pas encore rejoint l’écurie macroniste. « Quand on vous donne à manger du Macron tous les jours, pas besoin de contenu, note le politologue Thomas Guénolé. Vous allez avoir une image de plus en plus positive. »
Des faits arrangés
Le couple présidentiel aurait aussi manipulé l’opinion à propos de deux autres affaires. Une liaison homosexuelle attribuée à Emmanuel Macron lorsqu’il était à Bercy, sur laquelle le film s’étend mais qui ne relève après tout que du cadre privé ; et son histoire d’amour avec Brigitte lorsqu’elle était sa professeure de théâtre. Ici, les faits ont été arrangés pour escamoter ce que les journalistes appellent un « scandale pédophile ». C’est qu’à leur rencontre, Emmanuel avait 14 ans, et Brigitte 38. En France, « c’est une infraction pénale », rappelle l’autrice Laurence Beneux : « Elle aurait dû être poursuivie. » Mais les médias ont donné une version édulcorée de l’histoire d’amour, faisant se rencontrer Brigitte, « de vingt ans son aînée » et le jeune Emmanuel, « 17 ans », « en 1ere au lycée Henri IV ». Ils se sont en fait rencontrés alors qu’Emmanuel était en troisième au collège de la Providence, à Amiens, et qu’ils avaient 25 ans de différence. « Elle n’a pas été vraiment ma prof, elle était ma prof de théâtre, ça compte pas pareil », expliquait le chef de l’État dans l’émission Le Papotin en 2020.
Puis comme s’il y avait un film dans le film, le documentaire s’étale sur le CV de deux facilitateurs de ces manipulations : Mimi Marchand et Xavier Niel. Ce dernier a présenté la première au couple Macron, huit mois avant la présidentielle, pour « nettoyer » leur image. Car Marchand est bien introduite dans la plupart des rédactions people. Elle a longtemps travaillé pour Voici, avant d’en être licenciée pour avoir publié un entretien bidon avec le garde du corps de Lady Di. Mais ce sont surtout ses démêlés avec la justice que rappelle Mesnier : l’ancienne patronne de garage a effectué plusieurs peines de prison en 1986 et 1988 pour des fraudes, et en 1994 après avoir été contrôlée au volant d’un véhicule transportant 500 kilos de cannabis. Rangée des voitures, elle a ouvert des boîtes de nuit à Paris, idéal terrain de confidences pour nourrir et imprimer les derniers ragots dans Entrevue, Choc, ou Ici Paris… En 2004, retour par la case prison, pour « avoir versé des dizaines de milliers d’euros de commissions occultes à des informateurs de Voici ». C’est dans les couloirs de la Justice qu’elle va croiser Xavier Niel. Lui est poursuivi pour « proxénétisme aggravé » et ils ont la même avocate.
Cash et recettes occultes
Xavier Niel, ce n’est plus un secret, a fait fortune dans le Minitel rose. Mais il cherche à effacer ce passé, et ses ramifications sulfureuses. Notamment, rappellent deux ex-employées du passage de Crimée, où ils exerçaient dans les années 80, ces « faux profils de mineurs », ces « photos pédophiles » trouvées dans les ordinateurs lors d’une perquisition des gendarmes… « Il savait, accuse aujourd’hui Claudia. Ce site hébergeait des pédophiles qui faisaient des rencontres entre eux. » Ce sont aussi ces investissements dans des sex-shops et des peep-shows qui permettaient, selon le journaliste Renaud Lecadre qui a suivi le procès qui s’en est suivi en 2006, de faire « la tournée des popotes » tous les mois pour ramasser « du cash ». Voilà « un retour sur investissement intéressant et non fiscalisé car la facturation reposait sur une comptabilité occulte et des recettes en espèces non déclarées », avouera même Niel au juge Van Ruymbeke lors des auditions, dont le film produit le compte rendu.
Aujourd’hui, Niel ne « supporte pas qu’on parle » de cette période fondatrice de sa vie d’homme d’affaires1. Heureusement, dans la presse ou sur les plateaux de télévision, personne ne le titille trop… « Soit les journalistes travaillent pour nous, soit ils travailleront un jour pour nous » est une devise courante dans le groupe qu’il préside, rappelle la journaliste Aude Lancelin, licenciée en 2016 de la direction adjointe de la rédaction du Nouvel Obs, dont Xavier Niel est actionnaire. Au final, c’est sans doute ce qu’il faut retenir de ce film : la façon dont les puissants détenteurs de médias exercent leur pouvoir, de la chambre à coucher aux couloirs de l’Élysée. Quelque part, cela fait froid dans le dos…
(1)
- Lui même n’a pas souhaité répondre aux questions des journalistes, avant de faire envoyer par son avocat une lettre, trois jours avant la diffusion du film. ↩︎
Avant de partir, une dernière chose…
Contrairement à 90% des médias français aujourd’hui, l’Humanité ne dépend ni de grands groupes ni de milliardaires. Cela signifie que :
- nous vous apportons des informations impartiales, sans compromis. Mais aussi que
- nous n’avons pas les moyens financiers dont bénéficient les autres médias.
L’information indépendante et de qualité a un coût. Payez-le.
Je veux en savoir plus