Pourquoi la Cour des comptes s’oppose à la gratuité des trams, métros et bus

Non à la gratuité dans les transports en commun. En tout cas dans les très grandes métropoles. C’est la conclusion de la Cour des comptes qui a publié lundi matin un rapport intitulé « la contribution des usagers au financement des transports collectifs urbains. » Pour appuyer leur point de vue, les magistrats financiers prennent l’exemple de Montpellier qui, fin 2023, a rendu gratuit l’accès au tramway et au bus dans l’agglomération. Cela a entraîné une augmentation de la fréquentation : + 20% entre l’automne 2023 et le printemps 2024. Mais ce n’est pas pour autant que les habitants ont massivement délaissé leur voiture.

« La gratuité a pour effet d’augmenter la fréquentation des transports collectifs urbains principalement dans les centres urbains pour des déplacements de courte distance, davantage au détriment de la marche et du vélo que de la voiture », affirment les rapporteurs qui parlent « d’un report modal d’automobilistes très limité. » Or la gratuité des transports coûte cher à la collectivité. En mettant en place cette mesure, Montpellier s’est privé de 40 millions d’euros de recettes. Et le confort des passagers a pu s’en ressentir, avec au centre-ville des transports en commun bondés. Pour remédier au manque de place, la métropole a interdit la montée à bord des vélos et des trottinettes non pliés.

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L’exemple de Lyon

À cela, il faut ajouter que la gratuité ne constitue pas la demande numéro un pour les transports. Les sondages sur le sujet donnent toujours à peu près les mêmes résultats : 75% des Français continuent à utiliser leur voiture à cause d’une offre insatisfaisante des transports en commun, qu’il s’agisse du maillage, de la fréquence, de la rapidité ou de l’amplitude horaire. 35% pointent du doigt la qualité de service déficiente (ponctualité, sécurité, confort...). Seulement 15% à 20% mettent en avant des tarifs trop élevés. La politique mise en place à Lyon pour les transports en commun montre bien que le petit prix n’est pas une condition absolue pour convertir les usagers au métro, au bus et au tramway.

L’abonnement mensuel toutes zones coûte 90 euros dans la métropole lyonnaise. Encore plus que le Pass Navigo (88,80 euros) en région parisienne. Pourtant, l’utilisation des transports en commun s’est développée dans la capitale des Gaules. En 2015, 18% des habitants de l’agglomération les fréquentaient contre seulement 15% en 2006. A contrario, la part de trajets effectués en voiture est passée de 50% en 2006 à 44% en 2015. Des résultats attribuables au développement de l’offre de transports en commun sans cesse élargie : ainsi, en 2023, la ligne B du métro qui passe notamment par la gare La Part-Dieu, a connu une extension avec un nouvel arrêt à Saint-Genis -Laval. Et, depuis quelques jours, une ligne de cars relie Vaulx-en-Velin à l’aéroport Saint-Exupéry de Lyon.

« L’augmentation de l’offre a, de fait, permis d’accroître la fréquentation dans une proportion plus grande, malgré une augmentation significative des tarifs », affirment les rapporteurs. Reste à résoudre le problème des populations défavorisées qui demeurent sensibles au prix. Pour traiter le problème, les AOM (Autorités organisatrices de la mobilité) ont mis en place des tarifs sociaux pour des catégories spécifiques (les jeunes, les seniors, les étudiants...). La Cour des comptes suggère de changer d’approche. De réserver ces réductions à ceux qui ont de faibles niveaux de ressources. Cela permettrait de cibler ceux qui ont vraiment besoin d’un coup de pouce et, au passage, de faire des économies.

Des investissements à financer

Cette réforme est urgente car, selon les magistrats de la rue Cambon, l’augmentation de l’offre de transport qui réclame des milliards d’investissement, entraînera inévitablement une hausse des prix pour les usagers. Et, s’ils peuvent faire des efforts, les autres financeurs des transports (les employeurs au travers du versement mobilité et les collectivités locales) n’ont pas les poches pleines. Ile-de-France Mobilité (IDFM) qui doit financer l’extension du réseau (prolongement de la ligne de métro 14 jusqu’à l’aéroport d’Orly et à Saint-Denis, prolongement de la ligne 11, mise en service à venir des lignes 15 Sud, 16, 17, 18...) a pris un peu d’avance dans ce domaine.

En janvier 2024, l’organisme présidé par Valérie Pécresse a augmenté le Pass Navigo de 2,6%, le niveau de l’inflation. Les entreprises ont été aussi mises à contribution avec un taux de versement mobilité revu à la hausse en petite couronne parisienne. Une nouvelle taxe additionnelle à la taxe de séjour devrait rapporter 200 millions d’euros à IDFM. Et la contribution des collectivités locales a été augmentée de 66 millions l’année dernière. En province, en revanche, le problème n’est pas réglé. En moyenne, le prix payé par les usagers ne représente que 33,1% du coût du service. Ce calcul n’est fait que sur les dépenses de fonctionnement et ne prend pas en compte les budgets d’investissement. Et, dans un contexte d’investissements en forte progression, la hausse des prix pour les clients semble inexorable.

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Sinon, les conséquences se feront vite sentir. « L’UTPF (Union des transports publics et ferroviaires) estime qu’un ralentissement des efforts d’investissement tant en matière de transition énergétique que d’évolution de nouveaux services sont à craindre. Le cas échéant, dans les territoires les plus touchés, l’offre pourrait même être réduite », avertissent les rapporteurs. Une menace qui, pour l’instant, ne fait pas bouger les élus : ils n’ont pas envie de se mettre les électeurs à dos et savent bien qu’augmenter le prix des transports en commun est une mesure impopulaire.