L’Ukraine relance des contre-attaques le long de la ligne de front pour freiner l’offensive russe
Le rythme de l’avancée des forces russes s’est ralenti en Ukraine. Elles ont conquis 331 km2 en janvier, contre 416 km2 en décembre et même 714 km2 en novembre, selon les chiffres produits par l’excellent cartographe qui officie sur les réseaux sociaux sous le pseudonyme de «Poulet volant». Certes, la Russie continue d’avancer dans le Donbass et a même revendiqué vendredi 7 novembre la prise de la ville de Toretsk, après celle de Kourakhove début janvier, mais la «défense ferme» de l’Ukraine, pour l’instant, tient. Ces dernières semaines, les forces ukrainiennes relancent même des contre-attaques localisées tout au long de la ligne de front.
C’est notamment le cas dans la région russe de Koursk, où l’Ukraine avait mené une offensive éclair début août, parvenant à saisir plus de 1000 km2 en dix jours. Depuis, la Russie a lentement repris l’initiative, parvenant en cinq mois à réduire le saillant ukrainien à quelque 430 km2, soit moins de la moitié de ce qu’il était fin août. Néanmoins, les Ukrainiens ont relancé en janvier une première contre-attaque, puis une seconde ces derniers jours, avançant d’une dizaine de kilomètres carrés au sud de la petite ville de Soujda, dont les Russes s’étaient approchés des faubourgs, menaçant dangereusement les flancs du dispositif ukrainien. Certes, l’avancée ukrainienne n’est pas spectaculaire mais la prise de deux, voire trois, petits villages - Kolmakov, Cherkasskaya Konopelka et peut-être Fanseevka - soulage les Ukrainiens dans le saillant de Koursk, «enjeu crucial» dans la perspective de négociations de paix à venir avec les Russes et les Américains, selon le mot du président Volodymyr Zelensky qui espère ainsi en faire une monnaie d’échange.
À Toretsk, les Ukrainiens «toujours dans la zone»
Dans l’hypothèse, encore très ténue, d’une fin du conflit dans les prochains mois, «les Ukrainiens essaient de maximiser leurs positions. Le but est de gagner du temps en posant des dilemmes tactiques aux Russes, pour qu’ils dissocient leurs efforts et ne puissent dérouler leurs attaques selon le tempo qui leur convient», analyse une source militaire française au Figaro. Et cette stratégie ne s’observe pas seulement dans la région russe de Koursk.
Plus au Sud, alors que les Russes contrôlaient une très large majorité voire la quasi-totalité de la ville de Toretsk depuis le mois de janvier, les Ukrainiens ont relancé ces dix derniers jours des contre-attaques dans le nord de la cité minière afin d’empêcher les Russes d’en proclamer la «libération» - l’expression consacrée à Moscou pour parler des conquêtes en Ukraine. Le ministère russe de la Défense a fini par le faire vendredi dernier, mais un doute sérieux subsiste sur leur contrôle total de la ville. «Nous sommes toujours là dans la zone (...) Ils ne l’ont pas occupée dans son intégralité», a indiqué le jour même par téléphone à l’AFP le responsable presse de la 28e brigade, présent dans la périphérie de la Toretsk. Depuis, la carte géolocalisée ukrainienne «DeepState», qui suit l’évolution du conflit en temps réel, estime aussi que certains quartiers ne sont pas entièrement tenus par les Russes.
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Mais le développement le plus intéressant se situe à 50 km au sud-ouest de Toretsk, dans la direction de Pokrovsk, une autre cité minière progressivement enveloppée par les Russes qui, poussant vers l’Ouest, ont dépassé la hauteur de la ville, dont ils ne sont plus qu’à 3 kilomètres par le Sud. En plus d’être un haut lieu de l’industrie du charbon en Ukraine, c’est un centre logistique clé au cœur du Donbass, essentiel au dispositif défensif ukrainien. Or, les Russes ont pris le contrôle de deux routes rejoignant ce «hub» et une autre est sous le contrôle de leurs feux. Mais, depuis dix jours, l’offensive russe dans cette direction est à l’arrêt. Les Ukrainiens y ont lancé plusieurs contre-attaques, reprenant pied dans les trois villages d’Uspenivka, de Kotlyne et de Pischane. Dans ce dernier, ils ont même réinvesti, au moins temporairement, la mine de charbon n°3 prise par les Russes mi-décembre et que les Ukrainiens avaient fait exploser avant de se replier.
À ce stade, les contre-attaques localisées ukrainiennes ne renversent pas la donne sur le champ de bataille, où les Russes conservent globalement l’initiative et avancent toujours d’une petite dizaine de km2 chaque jour. Ce dimanche encore, ils ont revendiqué la prise du village d’Orikhovo- Vasylivka, près du bastion de la ville de Chasiv Yar, lieu d’une bataille cruciale qui tourne clairement à l’avantage de Moscou ces dernières semaines. Plus au sud dans l’oblast de Donetsk, les Russes avancent également dans la localité d’Andriivka, menaçant d’encerclement les troupes ukrainiennes dans ce qui pourrait devenir la poche de Dachne le long de la rivière Vovcha.
Des contre-attaques soutenables ?
Surtout, la grande question de ces contre-attaques ukrainiennes est celle de leurs coûts. Sont-ils soutenables ? Dans ces zones, les vidéos géolocalisées de destruction de blindés ukrainiens par des drones filoguidés russes, qui ne peuvent être brouillées électroniquement, se multiplient. Au total, du 7 janvier au 7 février, selon les données géolocalisées par le site Oryx, les Ukrainiens ont perdu 33 chars, 64 véhicules de combat d’infanterie, 64 véhicules blindés de transport de troupes et 20 pièces d’artillerie. «En matériel, c’est plus qu’une brigade», commente un officier supérieur.
Certes, les pertes russes en équipements sont encore bien plus élevées, mais la Russie dispose d’une profondeur de stock qui lui permet de tenir plus longtemps. Côté ukrainien, les livraisons d’équipements lourds occidentaux se font plus rares qu’en 2023, année de la contre-offensive d’été manquée. Et il en va de même sur le plan humain : les Russes sont aujourd’hui plus nombreux sur le front que les Ukrainiens, et l’écart s’accroît, avec globalement une expansion des forces russes et une contraction des forces ukrainiennes, minées par les difficultés de recrutement et par les désertions.
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Kiev fait face au dilemme d’une défense mobile ou ferme : dans le premier cas, on échange du terrain contre des ressources ; dans le second, on échange des ressources contre du terrain. Sans varier ou presque depuis le début de l’invasion russe, l’état-major ukrainien a choisi cette dernière stratégie, qui est la plus audacieuse, mais aussi la plus coûteuse. Néanmoins, dans le cadre de la guerre d’attrition qu’est devenu ce conflit, «compte tenu de l’état d’épuisement ukrainien, ces contre-attaques ne sont pas une stratégie dans la durée», analyse notre source militaire. À court terme, elles représentent malgré tout un répit plus qu’utile et permettent à Kiev de renforcer sa main dans l’éventualité de prochaines négociations de paix. Donald Trump, qui a annoncé ce dimanche dans une interview avec un tabloïd américain s’être entretenu avec Vladimir Poutine, a également prévu de rencontrer Volodymyr Zelensky la semaine prochaine et a donné 100 jours à son émissaire, le général Kelloggs pour en finir avec cette guerre qui approche de son triste troisième anniversaire.