Rarement le fossé qui s’est créé depuis bientôt deux ans entre le pouvoir britannique et les citoyens n’aura été aussi palpable qu’en cette journée de mercredi 17 septembre à Londres. Au cœur de ce déchirement se trouve la Palestine. D’un côté, la population civile tente de se mobiliser en masse. De l’autre, le gouvernement reste au mieux silencieux, au pire, ouvertement complice du génocide perpétré dans la bande de Gaza.
En début d’après-midi, plusieurs centaines de Londoniens ont fait entendre leur voix lors d’une manifestation organisée place de Portland, à Westminster, soit le quartier où l’on retrouve les ambassades et les locaux de la BBC. L’objectif : montrer leur opposition à la venue (le jour même) de Donald Trump, invité pour la seconde fois par la famille royale. Les drapeaux palestiniens s’y sont confondus avec ceux de Cuba, de l’Ukraine et de l’Irlande.
Benedict Cumberbatch récite Darwich
Quatre heures plus tard, c’est un collectif de 70 artistes, médecins, journalistes et activistes qui a pris à son tour les devants. Ce mercredi 17 septembre était aussi la journée du projet Together for Palestine, immense événement hybride de près de cinq heures, mêlant concerts et prises de paroles, qui a rassemblé 12 500 spectateurs à l’OVO Wembley Arena, et plusieurs milliers d’autres en direct sur YouTube.
« La capacité du lieu est de 12 500 personnes et nous sommes à guichets fermés », confiait fièrement Tom Mehrtens, membre de l’organisation, à quelques jours de l’événement. Face au plébiscite, de nouveaux tickets ont été mis en vente le matin même.
Impulsé par le compositeur britannique Brian Eno, avec la jeune peintre gazaouie Malak Mattar à la direction artistique, Together for Palestine aura ainsi réussi à réunir plus de 1,5 million de livres sterling à destination d’organisations dirigées par des Palestiniens, telles que Taawon, le Palestine Children’s Relief Fund et la Palestinian Medical Relief Society.
Pour l’occasion, le groupe Portishead s’est reformé pour une prestation enregistrée en amont. Le leader de Blur et Gorillaz, Damon Albarn, a réuni sur scène deux légendes de la musique mondiale, le rappeur états-unien Yasiin Bey et le chanteur syrien Omar Souleyman. Le comédien Richard Gere a fait une apparition surprise pour intimer au président Donald Trump d’agir contre le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou. L’acteur Benedict Cumberbatch a récité un texte du poète palestinien Mahmoud Darwich.
Côté civil, la chirurgienne Victoria Rose est venue témoigner de l’horreur observée dans les hôpitaux gazaouis. Le survivant de l’Holocauste Stephen Kapos est monté avec des béquilles sur scène sous l’ovation du public. « En tant que survivant du chapitre le plus sombre de notre histoire commune, je sais ce que signifie être dépouillé de la dignité et de son foyer, a-t-il lancé. La lutte des Palestiniens n’est pas distincte de la mienne. Elles font partie du même cri pour l’humanité. »
La rapporteuse spéciale des Nations unies sur les territoires palestiniens occupés, Francesca Albanese, a critiqué « la cruauté des idéologies néocolonialistes et ultracapitalistes » hégémoniques en Occident. Le rédacteur en chef de Zeteo, Mehdi Hasan, et la journaliste palestinienne Yara Eid ont alerté sur le massacre historique – plus grand que l’ensemble des conflits du XXe siècle réunis – des reporters à Gaza. « Le moment est venu de suspendre Israël des compétitions internationales », a quant à lui estimé l’ancien footballeur de Manchester United et de l’équipe de France Éric Cantona.
Une soirée historique
Durant près de cinq heures, le gouvernement israélien a perdu. Plusieurs milliers de personnes ont dansé, des voix se sont élevées à visage découvert, des musiciens ont versé des larmes sur scène et des artistes internationaux se sont alliés avec leurs homologues palestiniens pour faire vivre l’héritage culturel de ce peuple victime d’un génocide. Le message est clair : la musique, l’art et les voix palestiniennes survivront à Israël. Les moments de liesse et de communion resteront une réalité.
L’initiative aura été historique à deux titres. Un tel rassemblement n’est d’abord pas sans rappeler le concert hommage à Nelson Mandela organisé le 11 juin 1988, alors qu’il était encore emprisonné, au même stade de Wembley. L’événement avait attiré une quarantaine d’artistes, de Phil Collins à Whitney Houston, tandis qu’un milliard et demi de téléspectateurs assistaient à ce concert long de onze heures.
Historique, la soirée de mercredi l’était aussi en ce qu’elle sonnait la fin d’une apathie bien trop généralisée dans le champ culturel. Pour la première fois, plusieurs dizaines d’artistes se sont affichés à la face du monde, keffieh sur les épaules, déterminés à mettre fin à ce génocide diffusé en direct.
« C’est tellement agréable d’être ici avec vous tous et de faire partie de cette communauté en ce moment historique », s’exclame le comédien Riz Ahmed, reconverti en maître de cérémonie. La République démocratique du Congo, le Soudan et le Yémen ont aussi eu droit à des hommages sur scène. Ce sentiment de fraternité n’a pas attendu le lancement du show humanitaire pour se faire ressentir. Les couloirs de la Wembley Arena en ont été un bel aperçu plusieurs minutes auparavant.
Si, à première vue, on pouvait croire à concert lambda (file d’attente pour le stand de produits dérivés, des pintes de bière et des gobelets Pepsi à la main), il suffisait de se pencher sur les détails pour remarquer l’étendue de ce moment unique. Pin’s, maillots de foot, badges, coques de protection pour téléphone, tee-shirts, casquettes, drapeaux… Une marée verte, rouge, blanche et noire – les couleurs du drapeau palestinien – s’est constituée.
Sans même compter les keffiehs, portés par les deux tiers des participants. « Ce soir, nous sommes tous ensemble », lance une spectatrice auprès de ses voisins de file pour entrer dans la salle, alors que la musique commence à retentir. Deux autres, qui ne se connaissaient pas, se réjouissent en chœur du nombre de participants.
Les rares yeux rivés sur un écran de téléphone le sont, quant à eux, pour suivre le trajet en direct de la Flottille humanitaire en route pour Gaza ou sur le live d’Al-Jazeera. La Palestine est et restera la boussole de celles et ceux qui se battent pour la liberté à travers le monde. « Savoir que peut-être des survivants à Gaza verront ces images est très important pour moi, explique Joseph Prochaska, infirmier londonien habitué à militer pour la Palestine. J’espère qu’il est aussi important pour eux de savoir que nous essayons d’agir. »
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