« Pour que la honte change de camp » : le long combat judicaire de Gisèle Pelicot

Chaque jour, c’est sous la longue salve d’applaudissements d’une foule toujours aussi dense qu’elle traverse la salle des pas perdus de palais de justice d’Avignon, la tête haute. Elle a renoncé au huis clos pourtant demandé par le parquet et auquel elle avait droit, sans hésitation, dans ce procès hors norme pour que « toutes les femmes victimes de viol n’aient plus honte ».

Si elle a l’air de parler haut et fort, elle assure pourtant n’exprimer ni colère ni haine, mais une détermination, inébranlable, « pour qu’on change cette société machiste et patriarcale ». Gisèle Pelicot, qui a fêté le 7 décembre ses 72 ans, s’étonne pourtant d’être « encore debout ».

« La façade est solide, mais à l’intérieur, c’est un champ de ruines », avoue-t-elle. En quelques semaines, celle qui a été droguée par son mari puis violée à son insu par une cinquantaine d’hommes qu’il avait invités dans leur maison de Mazan est devenue une icône féministe.

Pour toutes les victimes de violences sexuelles

Depuis l’ouverture du procès, le 2 septembre, le récit glacial, détaillé, de son intimité volée est son quotidien. Cette femme à la fine silhouette, cheveux roux coupés au carré, le regard caché au début du procès par des lunettes noires, a observé sans vaciller chacun des 49 coaccusés qui, à la suite de son ex-mari, se sont succédé à la barre.

Elle les a écoutés, a refusé les excuses de certains. « Ce sont des violeurs. Point ! » assène-t-elle. Et a assisté a pratiquement toutes les audiences, au nom de toutes les victimes de violences sexuelles. « Je veux qu’elles se disent que si madame Pelicot l’a fait, on peut le faire. La honte, ce n’est pas à nous de l’avoir, c’est à eux », assure-t-elle encore.

La transformation de la femme effacée en combattante

Au fur et à mesure du procès et des soutiens venus des quatre coins de la planète, Gisèle Pelicot a semblé gagner en assurance. Elle a délaissé ses lunettes rondes aux verres fumés. Désormais, elle sourit franchement au public, pose devant les collages féministes devant le palais de justice.

Mais cette combattante refuse d’endosser l’habit d’héroïne. Devant les magistrats, elle se livre : « Je ne sais pas comment je vais me reconstruire, me relever de tout ça. » Quand elle s’adresse à Dominique Pelicot, son ex-époux, le regard fixé droit devant elle, elle lâche : « Cette trahison est incommensurable. »

Un quotidien banal qui bascule dans l’horreur

Le 2 novembre 2020, tout a basculé dans la vie de l’ancienne cadre d’Edf, mère de trois enfants et grand-mère de sept petits-enfants. Ce jour-là, son mari pris sur le fait en train de filmer sous les jupes des femmes dans un supermarché est arrêté. Des milliers de photos et de vidéos de ses viols sont alors découvertes dans l’ordinateur de Dominique Pelicot. Lui, un mari « tellement prévenant », si « parfait », qui partage sa vie depuis cinquante ans.

Un tsunami pour celle qui ne pouvait soupçonner l’innommable. En 2013, le couple décide de profiter d’une retraite bien méritée et s’installe à Mazan, dans la campagne, dans la périphérie de Carpentras. Une vie tranquille. Lui sillonne le Vaucluse à vélo. Elle opte pour la randonnée et chante dans une chorale. Les enfants et petits-enfants leur rendent souvent visite.

Mais, progressivement, il y a ces symptômes que les médecins n’arrivent pas à diagnostiquer. Des fatigues incompréhensibles, des troubles de la mémoire, etc. Gisèle Pelicot craint un début d’Alzheimer, voire une tumeur au cerveau. L’histoire dira – notamment les analyses toxicologiques réalisées sur ses cheveux – qu’il s’agissait des conséquences d’une soumission chimique.

Le temps de la reconstruction

Après les révélations des violences subies, elle se réfugie chez David, son fils aîné. Devant ses petits-enfants, elle fait figure d’une femme forte. Après tout, n’a-t-elle pas, très jeune, appris à accuser les coups ? Fille d’un militaire de carrière, elle n’a que 9 ans lorsque sa mère meurt d’un cancer.

« Mon père n’a pas baissé les bras, c’est un boxeur, comme moi », explique-t-elle devant la Cour. Désormais officiellement divorcée de son mari, qui a reconnu les faits, Gisèle Pelicot a repris son nom d’usage et déménagé loin de Mazan. Alors qu’elle tente de se reconstruire, sur les murs d’ici et d’ailleurs, des portraits se dressent à son effigie et des messages lui disent : « Gisèle, les femmes te remercient. »

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