Le 11 septembre dernier, la sortie d’Abbas Araghchi, ministre iranien des Affaires étrangères, dans une interview accordée à la télévision iranienne d’État faisait grand bruit. Et pour cause : elle évoquait explicitement que les prisonniers français en Iran seraient sur le point d’être libérés, contre la libération d’une ressortissante iranienne actuellement emprisonnée en France.
De ces négociations opaques et épineuses entre Paris et Téhéran - le ministre français des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot est resté muet sur le sujet, le cas de Mahdieh Esfandiari constitue donc la clé de voûte. Cette Iranienne de 39 ans, qui vivait en France depuis huit ans avant d’être arrêtée en février 2025, est visée par une enquête pour «apologie publique en ligne du terrorisme» et «provocation en ligne au terrorisme, injures en raison de l’origine, la religion, et refus de donner les codes de déverrouillage relatifs à plusieurs chaînes de réseaux sociaux (X et Telegram)».
Passer la publicitéIncarcérée depuis février 2025
Mahdieh Esfandiari, traductrice en langue française et diplômée en sciences du langage à l’université Lyon-II, résidait à Lyon depuis 2018. Cette militante propalestinienne, qui prenait régulièrement part à des manifestations en soutien à la cause, avait été interpellée à Lyon le 28 février 2025 à la suite d’un signalement du ministère de l’Intérieur au Pôle national de lutte contre la haine en ligne (PNLH) effectué en 2023. Elle s’apprêtait alors, selon plusieurs médias, à quitter le territoire français. Beauvau alertait alors sur les publications d’un compte Telegram, qui faisait «l’apologie des attentats commis en Israël le 7 octobre 2023, provoquant à des actes de terrorisme et injuriant la communauté juive», informait encore le parquet.
Selon Le Point, qui avait révélé les dessous de l’affaire, les premiers messages signalés appelaient notamment à lancer l’opération Déluge d’Al-Aqsa [nom donné par le Hamas aux massacres du 7 Octobre, NDLR] et incitaient à « sortir avec des fusils » et, pour ceux qui n’en avaient pas, avec « des couteaux et des hachoirs », selon une source proche du dossier consultée par l’hebdomadaire. La chaîne Telegram désormais fermée appelait également à «perturber les opérations» d’un pétrolier militaire américain amarré au port de Marseille «afin de s’assurer qu’il ne puisse pas poursuivre ses voyages sanguinaires» ou encore à se rassembler «contre les génocidaires à Paris», indiquait BFMTV. Mahdieh Esfandiari, investie «dans la diffusion de la propagande apologétique et provoquant au terrorisme», selon le parquet de Paris, avait donc été arrêtée avec un autre militant de nationalité française, et placée en détention provisoire le 2 mars.
La famille de l’Iranienne, inquiète de ne plus avoir de ses nouvelles, avait lancé l’alerte début mars auprès des autorités iraniennes qui ont ensuite pris contact avec leurs interlocuteurs français, toujours selon l’hebdomadaire. Les autorités françaises avaient par la suite confirmé que l’Iranienne était incarcérée à la prison de Fresnes, dans le Val-de-Marne. «Nous espérons que le gouvernement français donnera au plus vite accès à ce dossier et clarifiera les raisons de l’arrestation de cette citoyenne iranienne», avait déclaré le 7 avril le porte-parole de la diplomatie iranienne, Esmaïl Baghaï. Par la suite, l’Iran avait demandé à plusieurs reprises sa libération, arguant qu’elle avait été injustement détenue. La détention de Mahdieh Esfandiari a été prolongée en juin, la juge d’instruction en charge de l’affaire pointant un risque de réitération des faits, de concertation avec d’autres mis en examen, mais aussi de fuite vers l’Iran. Contactés, ni l’avocat de l’Iranienne Me Nabil Moudi ni le Quai d’Orsay n’ont répondu pour l’heure aux sollicitations du Figaro.
Les relais d’influence de l’Iran montent au front
Depuis, les cercles d’influence pro iraniens en France font de l’arrestation et de l’incarcération de Mahdieh Esfiandari leur nouvel étendard pour critiquer la politique étrangère de l’Élysée. «Si l’incident inverse s’était produit, un citoyen français enlevé pendant deux mois et pris en otage en Iran, le gouvernement français ferait normalement tout pour la libération de son citoyen», avait ainsi défendu sur la télévision d’État en avril Bashir Biazar, ressortissant iranien qui vivait à Dijon avant d’être expulsé en juillet 2024, soupçonné par la France d’être un «agent d’influence» de la République islamique et d’être lié aux «Gardiens de la Révolution». Bashir Biazar était dans le viseur des autorités françaises qui lui reprochaient également des messages postés sur les réseaux sociaux en lien avec la guerre dans la bande de Gaza dans lesquels il dénonçait les «chiens de sionistes », «tueurs d’enfants».
Idem pour le militant franco iranien de 29 ans Shahin Hazami, qui avait régulièrement pris fait et cause pour l’Iranienne incarcérée. Celui qui se présente comme un «journaliste indépendant» et relaye fréquemment sur les réseaux sociaux la ligne des mollahs s’est insurgé à de nombreuses reprises de son arrestation.
Passer la publicitéSon arrestation intervient dans le cadre d’un contexte tendu entre Paris et Téhéran, qui détient une vingtaine d’Occidentaux ou de binationaux. L’Iran est régulièrement accusé de s’en servir comme monnaie d’échange dans le cadre d’une «diplomatie des otages» pratiquée par le régime des mollahs depuis plusieurs années. Mahdieh Esfiandari pourrait être renvoyée vers Téhéran en échange de la libération de plusieurs otages français détenus par la République islamique, dont Cécile Kholer, professeur de lettres âgée de 40 ans, et son compagnon, Jacques Paris, un enseignant de mathématiques à la retraite, arrêtés le 7 mai 2022 au dernier jour d’un voyage touristique qu’ils effectuaient en Iran. Un autre Français, le jeune Lennart Monterlos, âgé de 18 ans, avait également été arrêté en Iran le 16 juin dernier alors qu’il réalisait un périple à vélo jusqu’au Japon.
En juin 2024, Stockholm avait ainsi récupéré deux de ses ressortissants en échange d’Hamid Noury, un ancien responsable de l’administration pénitentiaire iranienne qui purgeait une peine de prison à perpétuité en Suède. Et quelques jours après l’arrestation de Bashir Biazar en juillet 2024, le Français Louis Arnaud, consultant de 36 ans, détenu depuis septembre 2022, était libéré par l’Iran. Un mois après, Bashir BIazar était également expulsé par le ministère de l’Intérieur vers son Iran natal.