Jean-Pierre Dionnet : «Exterminateur 17 annonce le film Blade Runner»

C’est un album mythique. Un chef-d’œuvre de la science-fiction qui a profondément influencé le cinéma et la bande dessinée dès sa première parution dans les colonnes de la revue Métal Hurlant dans les années 70. Publiée en album en 1979, cette BD culte de Jean-Pierre Dionnet et Enki Bilal profite du 50e anniversaire du célèbre magazine créé par les Humanoïdes associés pour faire peau neuve.

Cette réédition exceptionnelle au format 30/40 qui vient de paraître a été mise en couleur par José Villarrubia, coloriste de renommée mondiale, connu pour son travail sur l’univers de Richard Corben. Cette publication qui arbore désormais une version couleur définitive est l’occasion d’interviewer l’un de ses créateurs Jean-Pierre Dionnet, qui apporte un nouvel éclairage sur ce récit étrangement d’actualité.

LE FIGARO. - Pourriez-vous rappeler la genèse du projet Exterminateur 17 ?

JEAN-PIERRE DIONNET. - Tout cela remonte aux années 1972-1974. À l’époque, avec Enki Bilal, nous envisageons de publier un récit d’anticipation dans une revue à naître, Snark, commandée par les éditions Fernand Nathan. Le numéro zéro qui fait 64 pages ne sera finalement pas édité, et Nathan renoncera finalement à faire paraître la revue. Pourtant, ce brouillon de Métal Hurlant contenait deux planches d’Exterminateur 17. Alors qu’Enki Bilal s’attelle avec Pierre Christin à l’album Les Phalanges de l’ordre, en parallèle, il dessine Exterminateur 17. Nous nous rencontrons régulièrement au café, entre le quartier Saint-Michel et celui de Saint-Germain-des-Prés. Je lui raconte l’histoire. Et au gré de ses réactions, je modifie ou pas le scénario.

Jean-Pierre Dionnet : «Exterminateur 17 raconte l’histoire d’une résurrection mystérieuse, ainsi que celle d’une libération d’une multitude d’êtres opprimés.» © Casterman 2024

Que raconte l’histoire?

Le récit met en scène un vieil inventeur qui a créé les androïdes. Son invention a été détournée par les militaires. L’armée se sert de ces êtres synthétiques comme chair à canons. Ces «exterminateurs» fournissent désormais des bataillons que l’on peut sacrifier sur l’autel des guerres éternelles. Tout cela s’inspire bien sûr de Robert Heinlein et de son roman Étoiles, garde à vous ! (Starship Troopers). Lorsque les gouvernements parviennent à s’entendre, les androïdes exterminateurs sont immédiatement désactivés, en direct, sur le champ de bataille, sans autre forme de procès. C’est ce qui arrive au début du récit. Le vieil homme a reconnu dans un escadron le dernier modèle encore en service d’un Exterminateur 17. Le 17 est le premier spécimen fabriqué avec les cellules souches de son inventeur. C’est le premier androïde qui fonctionne après seize ratages. Le créateur profite de cette désactivation pour se transmuter dans son corps.

Enki Bilal et Jean-Pierre Dionnet. © François Bouchon/Le Figaro/Jean-Marie Marion

Quelle est la particularité de cette métamorphose?

En se transférant dans le corps de l’androïde, le vieil homme renaît. C’est le vieux mythe de l’éternelle jeunesse. Pourtant jamais je n’explique les circonstances précises de cette substitution. L’androïde et l’humain ont en commun un fort désir de revanche. Le scientifique trouve insupportable qu’on ait dénaturé son invention à des fins guerrières. Pour la machine, une seule chose importe: libérer les androïdes du joug des humains. Le vieil homme voit également l’opportunité de réparer tout le mal qu’il a fait...

Pourquoi avoir souhaité cette réédition?

Au départ, le récit a été publié en noir et blanc dans Métal Hurlant. Les couleurs étaient faites par Patricia Bilal. Le couple se sépare durant la création de l’album... Je n’ai jamais été fou des couleurs originales, surtout à partir de la page 8. Récemment, après avoir découvert le génial travail de José Villarubia, je suis allé voir Casterman et je leur ai proposé de confier à Villarrubia la refonte intégrale des couleurs à partir des teintes originales. Finalement les couleurs idéales de cette version définitive sont celles auxquelles l’album n’a pas eu droit à l’époque.

Exterminateur 17 est un classique intemporel, un récit inclassable qui reste en avance sur son temps. C’est une fable futuriste qui conserve encore aujourd’hui sa part de mystère... © Casterman 2024

Quelle est aujourd’hui la charge symbolique de cet album?

Exterminateur 17 raconte l’histoire d’une résurrection mystérieuse, ainsi que celle d’une libération d’une multitude d’êtres opprimés. Le récit fait bien sûr référence à L’Eve future de Villiers de l’Isle-Adam paru en 1886 sans oublier le Metropolis de Fritz Lang. Quant à l’histoire, elle préfigure complètement celle de Blade Runner, qui sortira en 1982. D’ailleurs Ridley Scott était venu nous voir à Métal Hurlant au moment de réaliser Alien, en 1978...

Pourquoi avoir choisi un tel titre?

Le terme «exterminateur» me paraissait simple et effrayant. C’était parfait pour un héros taiseux et vengeur. Quant au chiffre, je me suis rappelé qu’il y avait Les Trois Mousquetaires, Les Sept mercenaires, Les Douze salopards... mais le chiffre 17 était libre ! (Rires).

Jean-Pierre Dionnet : «Exterminateur 17 est devenu un classique intemporel, réédité des dizaines de fois, et souvent avec des couvertures différentes.» © Casterman 2024/Les Humanoïdes Associés

Qu’est-ce qui fait que cet album d’anticipation conçu dans les années 70 garde toute sa modernité en 2024?

Quand je l’ai relu, je me suis rendu compte que cinquante ans après, il tenait toujours le choc. Le personnage d’Exterminateur 17 est une sorte de Prométhée 2.0. Un Prométhée du futur qui libère les androïdes comme jadis, dans la mythologie, Prométhée a volé le feu aux Dieux pour l’apporter aux hommes afin de les libérer de l’obscurantisme. Exterminateur 17 est devenu un classique intemporel, réédité des dizaines de fois, et souvent avec des couvertures différentes. C’est un récit inclassable qui reste en avance sur son temps. Une fable futuriste qui conserve encore aujourd’hui toute sa part de mystère...

Exterminateur 17 Nouvelle édition colorisée , de Jean-Pierre Dionnet (scénario) et Enki Bilal (dessins), nouvelles couleurs de José Villarrubia, 72 p., Casterman. 35€.