Retraites, allocations, impôt sur le revenu... Comment l’«année blanche» pourrait générer des milliards d’économies

Comme une sorte de fantôme saisonnier, le spectre de l’« année blanche » revient hanter le débat budgétaire cette année, comme l’an dernier et celui d’avant. Dans le jargon des finances publiques, cette expression désigne un gel total ou partiel des dépenses indexées sur l’inflation. Mais, dans le jargon politique, le concept peut recouvrir plusieurs scénarios.

Le sens le plus commun désigne un ensemble de mesures explosives. Du côté des dépenses, elles consisteraient à geler les prestations sociales (retraites, allocations familiales...) — qui sont normalement indexées sur l’inflation — afin de dégager des économies « en tendanciel », c’est-à-dire par rapport à ce que l’État aurait dépensé en l’absence de mesure. À noter, toutes les économies présentées par Bercy — y compris la cible de 40 milliards d’euros pour 2026 — sont « par rapport au tendanciel ». Selon les estimations du ministère de l’Économie, transmises par une source au Sénat, une non-indexation des pensions de retraite en 2026 pourrait rapporter 3 milliards d’euros. Ce serait environ 1,5 milliard d’euros pour le reste des prestations sociales.

Pour comprendre l’inflammabilité de la mesure, il faut se souvenir que Michel Barnier avait été censuré sur l’idée de sous-indexer partiellement les retraites. Toutefois, celle-ci est soutenue comme la « moins mauvaise des solutions » par certains dans le socle commun, qui y voient une manière équitable de faire porter les efforts budgétaires sur « tous les Français », selon le souhait formulé par le premier ministre.

Autre volet possible d’une année blanche : le gouvernement pourrait choisir de geler les barèmes de l’impôt sur le revenu et de la contribution sociale généralisée (CSG) afin de générer plus de recettes. Certains contribuables dont les revenus augmentent peuvent basculer dans la tranche d’imposition supérieure. En 2026, cela pourrait rapporter près de 2,8 milliards supplémentaires aux caisses de l’État. Toutefois, une telle mesure contreviendrait à l’engagement de Bercy de boucler son budget « sans augmenter les impôts sur les classes moyennes ».

Une « année blanche » peut également désigner « seulement » un gel des dépenses de l’État (hors dépenses locales et Sécurité sociale, donc), qui croissent aussi « tendanciellement » du fait de l’inflation. Cette technique d’économies revient à passer une sorte de rabot sur les dépenses mais, fait remarquer un ancien conseiller budgétaire, « a le mérite de laisser les ministres et les administrations libres d’arbitrer comment répartir les coupes ». Cette « petite » année blanche a déjà été appliquée l’an dernier dans le budget dès sa première mouture. Ainsi, l’enveloppe totale allouée aux ministères n’a pas augmenté entre 2024 et 2025. Lors de la présentation des lettres plafonds (budgets des ministères) l’été dernier, Gabriel Attal, alors premier ministre, avait prévu un budget égal à celui de 2024 sur ce périmètre (492 milliards d’euros), ce qui représentait, selon les calculs de Matignon, une « économie » de 15 milliards d’euros par rapport à l’augmentation tendancielle des dépenses. Par la suite, ces enveloppes avaient été encore rabotées lors du long parcours parlementaire du budget 2025.

Pour celui de 2026, il y a fort à parier que les budgets des ministères ne seront pas augmentés malgré l’inflation. Plus encore, pour beaucoup, elles seront probablement strictement en baisse. En effet, les 40 milliards d’euros d’effort budgétaire pour 2026 doivent être, selon les engagements du gouvernement, répartis équitablement entre les trois pôles de la dépense publique (État, Sécurité sociale, collectivités). Or, l’inflation est plus basse que l’an dernier ; le « tendanciel » des dépenses sera donc moins dynamique, et les ministres devront faire d’autant plus d’efforts pour économiser les milliards demandés. Autrement dit: cette année, un simple gel ou quasi-gel ne suffira pas pour atteindre l’objectif. Bercy a d’ailleurs demandé aux ministres — qui rencontrent ces jours-ci la ministre des Comptes publics pour négocier leur enveloppe— de présenter des dépenses en baisse en valeur pour l’an prochain.

«Année blanche totale sur les dépenses»

Le principe de l’année blanche peut également s’appliquer aux dépenses locales. Les experts de Bercy le savent bien : comme les communes, départements et régions sont soumis à la règle d’or budgétaire (c’est-à-dire que leurs dépenses de fonctionnement ne peuvent pas dépasser leurs recettes), en baissant les recettes des collectivités, on baisse mécaniquement leurs dépenses. Ainsi, dans un document de travail partagé avec les représentants des élus, le gouvernement met explicitement sur la table la possibilité d’une « année blanche ». Dans ce contexte, l’expression pourrait désigner un gel des dotations de l’État (qui traditionnellement, pour la plupart, augmentent avec l’inflation) et des transferts via les taxes affectées aux collectivités. Même avec une faible inflation, une telle mesure pourrait représenter une économie notable. En effet, l’année dernière, les transferts financiers de l’État aux collectivités ont dépassé les 105 milliards.

Une combinaison, soutenue par certains dans l’ancienne majorité, consisterait à faire « une année blanche totale sur les dépenses » (c’est-à-dire en excluant les mesures concernant le barème de l’IR et de la CSG). Il serait question de geler les dépenses de l’État, les transferts aux collectivités et... les prestations sociales. En tout, cette option pourrait dégager jusqu’à 28 milliards d’économies, selon une source parlementaire. Toutefois, comme le souligne un connaisseur des rouages de l’élaboration d’un budget, « une année blanche rapporte toujours beaucoup sur le papier jusqu’à ce qu’on commence à ’’miter l’assiette’’ », c’est-à-dire à exclure des groupes (les retraités, les plus modestes, certaines collectivités...) des mesures de gel.