Notre critique de Ce Nouvel An qui n’est jamais arrivé : on ira rire dans les Carpates

C’est si loin. Cela se passait en Roumanie, c’est-à-dire nulle part. Là-bas, le père Ubu s’appelait Ceausescu. Le 20 décembre 1989, les destins de six personnages vont se croiser dans un Bucarest au bord de la révolte. Une actrice refuse de se produire dans une émission à la gloire du régime. Elle se fait porter pâle, se saoule au gros rouge. Comment lui trouver une remplaçante ? En plus, dans le décor, le sapin est de travers. Cela fait désordre.

Un gamin envoie au Père Noël une lettre où il réclame la mort de l’oncle Nico - suivez mon regard - alors qu’il voulait une locomotive comme cadeau et que son père lui a offert un plumier. Il faut aller récupérer la missive dans la boîte. Un étudiant envisage de se réfugier à l’Ouest à bord d’une voiture déglinguée. Une vieille dame, ancienne du PC, revenue de ses illusions, refuse de quitter sa maison, qui doit être démolie. On le voit, la colère gronde. La dictature vit ses ultimes soubresauts et personne ne le sait.

L’absurde est peut-être, avec les vampires, une invention des Carpates

Dans Ce Nouvel An qui n’est jamais arrivé, cela s’agite, soupire, craque de toutes parts. Un grand meeting se prépare, censé soutenir le pouvoir en place. Le spectateur, au début, se perd un peu dans ce puzzle, avant de se glisser dans ce gymkhana d’interdictions, cet univers où tout le monde marche sur des œufs. Le suspense s’étale durant ces vingt-quatre heures où se mêlent paranoïa, drame et cocasserie.

L’absurde est peut-être, avec les vampires, une invention des Carpates. Les chants patriotiques surgissent des haut-parleurs. La télévision est aux ordres. Chacun craint pour son poste. Les téléphones sont sur écoute. Un ennui plombé infusait les journées. Les gens mouraient de chagrin dans un pays où la terreur se nommait Securitate. Ils faisaient ça en silence, la gorge serrée, se méfiant de leurs amis, de leurs voisins, de leur famille. La peur de la prison était le lot commun.

Ce Nouvel An qui n’est jamais arrivé sort en France le 30 avril Memento

La liberté surgit comme une divine surprise

Le format carré, l’image poudreuse rendent bien la sensation d’enfermement qui était la règle là-bas. On s’était habitué à la délation, à la pénurie. Qui aurait pu croire que tout cela allait basculer ? Le réalisateur roumain Bogdan Muresanu brasse ces heures durant lesquelles l’avenir a tremblé. La grisaille, les pulls tricotés à la main, les visages en sueur, les cravates dénouées, les corps en surpoids, la panoplie de la misère est au rendez-vous. La grande Histoire est constituée aussi de ces petits faits vrais, de ce quotidien dans lequel les uns et les autres s’emmêlent les pieds.

Le cinéaste offre un éclairage intime à cet événement capital. Le résultat sidère. Pas une seconde de trop. On y est. On comprend tout. Des pétards résonnent dans les rues. Bientôt, leur succéderont des coups de feu. L’écran s’élargit, le Boléro  de Ravel, pourtant usé jusqu’à la corde, accompagne le mouvement, reprend des couleurs vives. La liberté surgit comme une divine surprise. C’est fou comme elle est photogénique, soudain. La révolution est en marche. Nul ne l’attendait. Le film en dit plus long que des tonnes d’archives.


La note du Figaro : 3/4