Le ministère de la Santé demande-t-il vraiment aux hôpitaux de se préparer à la guerre ?

Les hôpitaux de France se préparent-ils à une guerre imminente sur notre territoire ? Les révélations du Canard enchaîné ont semé l’inquiétude, mardi, en dévoilant des documents internes du ministère de la Santé, sous mandat du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, demandant aux Agences régionales de santé de préparer à un possible « engagement majeur » d’ici mars 2026. Dans ce document, le ministère envisage un scénario où le pays deviendrait une base arrière susceptible d’accueillir un afflux massif de militaires blessés, français comme étrangers. Dans le contexte d’une coalition de pays européens volontaires offrant un soutien militaire à l’Ukraine, ces instructions interrogent.

S’il fait écho à l’actualité internationale et à l’hypothèse d’un conflit généralisé de haute intensité sur le sol européen, ce travail d’anticipation mené par les ministères des Armées et de la Santé n’est en réalité en rien inédit.

Passer la publicité

Contacté par Le Figaro, le Centre de crises sanitaires du ministère de la santé rappelle en effet que sa mission « est d’anticiper les risques et les menaces auxquelles pourrait être confronté le système de santé », dont « les risques épidémiques (...) dans un contexte de changement climatique et de mondialisation des échanges », « les risques environnementaux, avec l’augmentation des phénomènes climatiques extrêmes » ou encore « les risques malveillants, avec la préparation du système de santé à la gestion d’un afflux de victimes ». Comprendre ici, notamment les risques terroristes.

Coopération civile et militaire

Cette lettre envoyée aux ARS s’inscrit plus spécifiquement dans le « travail conjoint » mené par la Direction générale de la santé (DGS) et la Direction centrale du Service de santé des Armées pour « anticiper, préparer et répondre aux besoins de santé de la population tout en intégrant les besoins spécifiques de la défense dans le domaine de la santé », ajoute le ministère de la Santé. « Parmi les risques identifiés, figure donc l’hypothèse d’un engagement majeur où l’enjeu sanitaire consisterait à prendre en charge un afflux potentiellement élevé de victimes, provenant de l’étranger. Il s’agit donc pour notre système de santé d’anticiper la prise en charge de patients militaires dans le système de santé civil », détaille le ministère de la Santé.

Il n’y a rien d’exceptionnel. On anticipe des scénarios qui pourraient nous surprendre si on ne les travaille pas avant, dont la possibilité d’un conflit.

Catherine Bertrand, présidente de la Société française de médecine de catastrophe

« Ce sont des travaux que l’on mène depuis un à deux ans », nous indique pour sa part Catherine Bertrand, présidente de la Société française de médecine de catastrophe. « Il n’y a rien d’exceptionnel. On anticipe des scénarios qui pourraient nous surprendre si on ne les travaille pas avant, dont la possibilité d’un conflit, pas forcément où la France serait attaquée directement, mais qui pourrait retentir chez nous, dans le sens où nous aurions des blessés à accueillir, de chez nous ou de pays alliés. » Concrètement, les hôpitaux civils seraient amenés à aider le Service de santé des armées en prenant en charge d’éventuels blessés de guerre, habituellement pris en charge dans les hôpitaux militaires mais qui seraient ici débordés par leur nombre.

Ces travaux vont dans le même sens que le livret « Tous résilients », préparé par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité intérieure (SGDSN), pour aider la population à se préparer et réagir en cas de « crise majeure »  (accident industriel, événement climatique grave, attaque cyber ou conflit armé), qui doit être distribué prochainement. « Les temps de paix permettent de se préparer à toute éventualité. Par exemple, le plan pandémie avait été fait avant que la pandémie arrive. Il a fallu le réadapter, car la réalité est toujours différente, mais si on n’avait pas anticipé, on aurait été très gêné », ajoute Catherine Bertrand.

Divers scénarios de risques et menaces

Parallèlement, les hôpitaux civils se préparent ainsi à divers scénarios de risques et menace, « qu’ils soient d’origine terroriste, environnementale, etc. », où ils devraient faire face à un afflux important de victimes, souligne encore le ministère de la Santé. Une préparation (formation, exercices, moyens) déclinée à travers le dispositif ORSAN (réponse du système de santé aux situations sanitaires exceptionnelles), qui intègre déjà « cette hypothèse d’engagement majeur », poursuit le Centre de crises sanitaires. Ces travaux d’anticipation relatifs à cette hypothèse d’un engagement dans un conflit majeur s’inscrivent également dans le cadre de « ceux menés au long cours au niveau international (OTAN, Union européenne) dans lesquels la France prend toute sa part », rappelle encore le ministère.

Passer la publicité

Enfin, au-delà des hôpitaux, il s’agit d’anticiper une « bonne gestion des flux de victimes selon les capacités d’accueil à l’échelle nationale ». Là encore, des « exercices majeurs d’évacuation sanitaires de nombreuses victimes » sont régulièrement organisés avec le ministère et les ARS, nous indique le ministère de la Santé. « Il existe de nombreux exercices avec des tests d’évacuation par voie aérienne, en train, et récemment des tests avec un nouveau bus complètement médicalisé pour transporter des patients très graves », illustre ainsi Catherine Bertrand.