Leonard Peltier, militant autochtone, figure décoloniale et prisonnier politique est sorti de prison après cinq décennies derrière les barreaux
Un point de bascule, un doute, qui a suffi pour enfermer un homme pendant 49 ans en prison. Condamné à la prison à perpétuité pour le supposé meurtre de deux agents de la police fédérale états-unienne (FBI), Leonard Peltier a vu sa peine être commuée par le président sortant Joe Biden, quelques heures avant que ce dernier laisse la Maison Blanche aux mains de Donald Trump, lundi 20 janvier.
Le militant politique, figure de la lutte pour les droits des communautés autochtones, a été libéré de la prison floridienne où il a passé ces dernières années, mardi 18 février. Ce dernier va ainsi pouvoir vivre les dernières années de sa vie – il a 80 ans et souffre de graves problèmes de santé – à domicile. Son honneur reste cependant entaché de cette accusation, de ce crime supposé à propos duquel il s’est toujours défendu, Joe Biden ne l’ayant pas gracié pour cette matinée de juin 1975.
Retranchés dans le village d’Oglala
Acculés par la coalition du FBI, de policiers et de membres des Goon squads, une milice fondée par Richard Wilson, président du conseil tribal de Pine Ridge (une réserve autochtone) dont l’élection a été favorisée par les autorités, Leonard Peltier et ses camarades de l’American Indian Movement (AIM) sont retranchés dans une propriété située dans le village d’Oglala.
Décoloniale, organisée, inspirée de mouvements révolutionnaires comme les Black Panthers, l’AIM est dans le viseur de l’État. Leurs combats – mettre fin à l’humiliation des communautés autochtones, enfermées dans des réserves, descendantes d’un peuple génocidé par des colons, en proie à la pauvreté et à l’alcoolisme, et gagner des droits civiques – dérangent. Leurs actions, non-violentes mais spectaculaires – par exemple, la Marche des traités violés puis l’occupation du Bureau des affaires indiennes, à Washington D.C., en 1972 – crispent. Comme pour tant de militants – notamment issus de la communauté afro-américaine, comme Angela Davis ou Malcolm X, pour ne citer que les plus connus -, Leonard Peltier et l’AIM sont définis comme étant des « ennemis intérieurs » par le FBI.
Ce matin du 26 juin 1975 est donc l’occasion pour la police et les Goon squads de porter un coup à l’organisation. Vers 11 h 30, deux agents fédéraux – Jack Cooler et Ronald William – pénètrent dans la propriété. Leur objectif : mettre la main sur Jimmy Eagle, militant de l’AIM. S’ensuivent des échanges de tirs, le chaos et des témoignages confus. L’AIM riposte, pensant à une énième attaque des Goon squads ; amenant le FBI et la police à entrer en action. En résulte la mort de Jack Cooler et de Ronald William.
Leonard Peltier et l’AIM s’enfuient. Mais le mal est fait. Le meurtre de deux agents du FBI amène au lancement d’une campagne nationale à l’encontre de l’American Indian Movement. Appuyées par la criminalisation du mouvement, les autorités lancent une grande opération d’arrestations à travers les États-Unis, tandis que des mandats d’arrêts visent plusieurs militants, dont Leonard Peltier. Ce dernier a, à ce moment, déjà fui au Canada. Problème, il est rapidement le seul accusé du double meurtre, poussant le gouvernement canadien à l’extrader vers les États-Unis.
Condamné à la prison à perpétuité
Jugé dans un État connu pour son hostilité envers les autochtones, le Dakota du Nord, visé par une campagne de diffamation (médias comme autorités laissent les rumeurs d’attentats être diffusées), Leonard Peltier doit se défendre face à un tribunal dont l’écoute n’est que de façade. Des témoignages l’accusent d’avoir tiré sur les deux agents avec un fusil AR 15 – affirmation réfutée en 1981 par une expertise scientifique, les douilles ne correspondant pas. Un agent affirme l’avoir vu à travers la lunette de son fusil, sans que cette possibilité soit étayée. Leonard Peltier est condamné à la prison à perpétuité.
Les décennies qui suivirent n’ont été qu’un enchaînement de déceptions. La cour d’appel estime, en 1986, que le rapport balistique utilisé lors du procès, si sa nature bancale avait été mise en avant, « aurait pu changer le verdict du premier procès ». Un an plus tard, la Cour suprême refuse d’aider le militant. En 1993, la commission de libération sur parole refuse de le remettre en liberté.
À l’international, les voix en soutiens à Leonard Peltier se multiplient, du président sud-africain Nelson Mandela à la militante guatémaltèque et prix Nobel de la paix en 1992, Rigoberta Menchú. En 2022, le groupe de travail des Nations unies sur les détentions arbitraires estime même que Leonard Peltier est détenu de manière arbitraire et « maintenu en détention car il est issu de deux nations autochtones d’Amérique ».
Il aura donc fallu attendre janvier 2025 pour que le sort de Leonard Peltier évolue. À l’approche de l’investiture de Donald Trump – qui s’est déroulée lundi 20 janvier -, Joe Biden a multiplié les grâces présidentielles et autres actes symboliques, dont la réduction de la peine de Leonard Peltier. Le président sortant a, ainsi, également souhaité protéger de manière préventive des responsables et des élus susceptibles d’être visés par l’administration Trump. « Ces serviteurs publics ont été soumis à des menaces et des intimidations pour avoir accompli fidèlement leur devoir », a justifié Joe Biden.
Les bénéficiaires de cette mesure de dernière minute sont le général Mark Milley, ancien chef d’état-major des forces armées, le docteur Anthony Fauci, ex-conseiller médical en chef de la Maison Blanche et visage de la lutte contre le Covid-19, et enfin, les élus et le personnel de la commission d’enquête sur l’assaut du Capitole ayant eu lieu le 6 janvier 2021, constituée à la Chambre des représentants. Ainsi que plusieurs membres de la famille du désormais ex-président. Son frère, James Biden, sa sœur, Valerie Biden Owens, leurs conjoints respectifs, ainsi que son frère Francis Biden, comme il l’avait fait en décembre pour son fils, Hunter Biden.
Être le journal de la paix, notre défi quotidien
Depuis Jaurès, la défense de la paix est dans notre ADN.
- Qui informe encore aujourd’hui sur les actions des pacifistes pour le désarmement ?
- Combien de médias rappellent que les combats de décolonisation ont encore cours, et qu’ils doivent être soutenus ?
- Combien valorisent les solidarités internationales, et s’engagent sans ambiguïté aux côtés des exilés ?
Nos valeurs n’ont pas de frontières.
Aidez-nous à soutenir le droit à l’autodétermination et l’option de la paix.
Je veux en savoir plus !