Un "émirat" en Cisjordanie ? Décryptage des déclarations du ministre israélien de l’Économie

"Nous ne voulons pas d'un État palestinien, mais nous avons une meilleure idée", a confié le ministre israélien de l'Économie, Nir Barkat lors de son entretien à France 24.

"Vous serez surpris", a-t-il prévenu. Selon lui, en Cisjordanie, “certains” Palestiniens choisiront un "émirat" local plutôt qu'un État souverain. Un émirat “qui collaborera avec Israël”. 

Sa meilleure idée :  "Un modèle d'émirat pour les peuples de Judée et de Samarie [la Cisjordanie selon la terminologie biblique, NDLR]. Tous les États arabes qui ont eu du succès sont basés sur des modèles de tribus" poursuit le ministre. 

Retrouvez l'intégralité de notre Tête-à-tête avec Nir Barkat ici"Nous ne voulons pas d'un État palestinien", dit le ministre israélien de l'Économie Nir Barkat

Dans cet environnement moyen-oriental, l’État hébreu se présente souvent comme “la seule démocratie”. L’hypothétique émirat palestinien, selon lui, n’en serait pas une. 

“Pas d'élections à Dubaï, il n'y a pas d'élections à Riyad", argue Nir Barkat. "Nous pensons que c'est mieux pour les Palestiniens." 

Confusion

Ces propos sont "extrêmement révélateurs de l'état d'esprit qui continue de prévaloir en Israël, où on perçoit les sociétés arabes à travers des prismes déformants, telle que cette logique purement tribale", analyse Karim Émile Bitar, enseignant spécialiste du Moyen-Orient contemporain à Sciences Po Paris. 

"On confond les sociétés du Levant, comme la société palestinienne, avec certaines monarchies pétrolières du Golfe, alors que ce sont des structures sociales, politiques et des histoires extrêmement différentes", souligne le politologue franco-libanais.

Qu’il s’agisse des sept Émirats arabes unis, du Qatar, du Koweït, ou encore de Bahreïn jusqu’en 2002 - année où l'émirat devint royaume - ces systèmes politiques se sont érigés plus à l’Est, dans les déserts de la péninsule Arabique. 

"Objectif déclaré : pas d'État palestinien proprement dit"

Mais la culture palestinienne, elle, "n’est pas tribale à proprement parler, dans la mesure où elle est largement ancrée - notamment en Cisjordanie - sur des centres urbains comme Hébron, Bethléem, Ramallah, Naplouse et Jénine” explique David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris).

"Un émirat est une entité territoriale qui peut se présenter sous diverses modalités", rappelle l’expert. Éventuellement un État à part entière, comme le Qatar, ou un État fédéré, comme les Émirats arabes unis, voire la province d’un ensemble plus large, comme sous l’Empire ottoman, explique David Rigoulet-Roze.

Une terminologie floue à dessein, souligne David Rigoulet-Roze. Nir Barkat propose "une entité territoriale qui n’a pas nécessairement besoin d’être un État", mais qui "laisse miroiter l'idée d'une auto-gouvernance sur des espaces pour l'instant non définis".

"L'objectif déclaré, c'est qu'il n'y ait pas d'État à proprement dit", résume le chercheur

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Colonisation et violences accrues en Cisjordanie

Reste à définir le territoire, prérequis à toute forme d’État. Depuis les massacres commis par le Hamas le 7 octobre 2023, Israël a approuvé 30 682 nouvelles unités de logements de colons en Cisjordanie et à Jérusalem-Estun record depuis 2012, selon l’Union européenne.

La violence des colons israéliens a explosé avec plus de 1 400 attaques documentées en 2024, tandis que plusieurs centaines de Palestiniens ont été tués en Cisjordanie depuis le 7 octobre 2023. 

En novembre 2024, le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, a annoncé que "2025 serait l'année de l'annexion” de la Cisjordanie. Chef du parti sioniste religieux, ce ministre est une figure de l’extrême droite israélienne. 

Toutefois, "ce discours n'est plus seulement celui de franges radicales minoritaires, mais l’état d’esprit du 'mainstream' israélien, dans le gouvernement, mais aussi au sein de la société", estime Karim Émile Bitar.

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L’émirat palestinien, un "ballon d'essai" ?

Après près de 600 jours de guerre, plus de 54 000 morts à Gaza, selon le ministère de la Santé du Hamas, plusieurs pays occidentaux ont fini par changer de ton vis-à-vis de l’État hébreu. Le Royaume-Uni, la France et le Canada, ont ainsi publié des déclarations communes menaçant d'actions "concrètes" contre Israël.

Mais sur la scène régionale, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, se félicite volontiers d’autres alliés, désignés par "nos amis arabes".

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Le Maroc, le Bahreïn, le Soudan, les Émirats arabes unis ont normalisé leurs relations diplomatiques avec l'État hébreu, et les ont maintenues à ce jour, malgré la guerre menée dans l'enclave palestinienne.

Une normalisation que n’excluait pas Mohammed Ben Salman, prince héritier d’Arabie saoudite, avant que les bombes ne pleuvent sur les Gazaouis. 

Refuser un État palestinien, mais en proposant une “entité” palestinienne aux contours hypothétiques : serait-ce une façon de faire bonne figure aux yeux du monde extérieur ? 

"La proposition [d’émirat palestinien] diffère formellement de la position des sionistes religieux, comme Bezalel Smotrich, qui appellent purement et simplement à l’annexion de la Cisjordanie” rappelle David-Rigoulet-Roze. 

Et en tant qu'officiel israélien, évoquer un émirat revient peut-être à lancer une sorte de “ballon d’essai” conclut l’expert. “On essaie quelque chose d’inattendu pour voir quelles réactions cela suscite sur la scène internationale.”