"Du cœur à la main : Dolce & Gabbana" au Grand Palais est une époustouflante immersion dans l'univers créatif et luxueux du duo italien

À quelques jours du lancement de la Paris Fashion Week masculine présentant l'automne-hiver 2025-26, du 21 au 26 janvier, suivie de la semaine de la haute couture printemps-été 2025, du 27 au 30 janvier, l'exposition Du cœur à la main : Dolce & Gabbana se tient au Grand Palais jusqu'au 31 mars. La marque italienne – qui n'a jamais défilé dans la capitale – réunit pour la première fois plus de 200 créations uniques et luxueuses de cette maison.

Cet événement – véritable lettre d'amour à la culture italienne, source d'inspiration constante de Domenico Dolce et Stefano Gabbana – présente également les travaux inédits d'artistes contemporains qui dialoguent avec leur univers.

Les stylistes Domenico Dolce et Stefano Gabbana se sont rencontrés à Milan au début des années 1980 avant de lancer un studio de conseil en design puis leur marque en 1985. Pourtant, l'identité de la marque ne provient pas de l'élégante capitale de la mode, ville natale de Gabbana mais de l'héritage sicilien de Dolce, la distinguant de ses rivaux du secteur du luxe.

Leurs défilés prêt-à-porter sur les podiums de la Fashion Week de Milan, toujours organisés dans un cadre italien typique sont, à chaque fois, des événements mais c'est la première fois qu'ils révèlent leur haute couture au public.

Conçue par Florence Müller, à travers onze salles aux ambiances complètement uniques couvrant 1 200 m2 sur trois niveaux, l'exposition dans un Grand Palais rénové avec une mise en scène somptueuse explore leur approche singulière d'un monde du luxe, faite d'élégance et de sensualité mais aussi d'humour, d'impertinence et d'extravagance.

Ces pièces uniques – réalisées par des artisans et rarement vues – mettent en évidence les éléments de la culture italienne reflétant la richesse de leurs inspirations, puisées dans l'histoire de l'art italien, l'architecture, l'artisanat, les cultures régionales, la musique, l'opéra, le ballet, le cinéma, les traditions folkloriques, le théâtre et la dolce vita.

Suivez le guide, salle après salle pour cette époustouflante visite.

Fait main

Le choc visuel est immédiat dès la première salle du parcours : derrière l'imposant rideau de velours noir, au centre de la salle – dont les murs sont recouverts jusqu'au plafond d'une accumulation de tableaux aux encadrements dorés – un grand podium sur lequel trônent des modèles montrant l'amour de Domenico Dolce et Stefano Gabbana pour les artisans du "fatto a mano" italien.

Le fait main, dans la haute couture, renvoie aux techniques traditionnelles de différentes régions italiennes : les teintes des majoliques (faïences) de Capri sont évoquées dans des broderies chatoyantes, tandis que des lunettes de soleil, des foulards et des pantalons courts rappellent l'époque de La Dolce Vita. La vannerie de roseau et les trulli (toits) des Pouilles sont transposés en broderies et textiles tressés. De complexes broderies représentent le Palazzo Vecchio ou la cathédrale de Florence. Ces broderies, dentelles et passementerie rehaussent la coupe des vêtements tandis que les formes et les effets de transparence révèlent le travail de structuration, de corseterie et de drapé réalisé par le tailleur.

"Du cœur à la main : Dolce & Gabbana", au Grand Palais, à Paris, janvier 2025. (CORINNE JEAMMET / FRANCEINFO CULTURE)

Architectural et pictural

Pour Stefano Gabbana architectes comme couturiers commencent par des croquis indiquant les volumes et les lignes générales. En haute couture, le croquis se fait avec une toile qui donne l'intention en 3D du modèle. Lorsque la structure est finalisée, le modèle est mis à plat. Avec ce patron, les tailleurs coupent le tissu choisi et assemblent le vêtement. Les ornements y sont ajoutés, de même que le projet architectural passe aux mains des décorateurs et des peintres.

L'architecture de la galerie du Palais Farnèse de Rome et les fresques d'Annibale Carracci décorant son plafond, évoquées dans l'installation vidéo projetée sur les murs de cette deuxième salle, constituent des références iconographiques de leurs vêtements. Et les créations exposées expriment toute leur admiration pour Botticelli, Léonard de Vinci, Raphael, Le Titien, Le Caravage...

"Du cœur à la main : Dolce & Gabbana", au Grand Palais, à Paris, janvier 2025. (CORINNE JEAMMET / FRANCEINFO CULTURE)

Rêve de divinités

Dans la troisième salle, changement d'ambiance, les habits créés par Domenico Dolce et Stefano Gabbana expriment la part de divin qui demeure en chaque être humain.

Leur collection automne-hiver 2019-20 s'inspire notamment des mythes immortalisés sur la céramique grecque attique. Les divinités sont exposées, ici, sur les marches d'un édifice évoquant le temple de la Concorde d'Agrigente.

"Du cœur à la main : Dolce & Gabbana", au Grand Palais, à Paris, janvier 2025. (CORINNE JEAMMET / FRANCEINFO CULTURE)

Art de la mosaïque

À multiples reprises, les créateurs ont été inspirés par l'art de la mosaïque avec ses motifs géométriques ou figuratifs. Dans la quatrième salle, l'atelier de verre Orsoni Venezia 1888 a créé une mosaïque composant une toile de fond scintillante pour les créations exposées.

Ainsi le défilé de la collection automne-hiver 2017-2018 de l'Alta Sartoria était présenté devant la cathédrale de Monreale en Sicile, en hommage à ce chef-d'œuvre mêlant influences arabes, normande et byzantine. Les tuniques et manteaux ornés de motifs complexes en patchwork rappellent la splendeur de ses mosaïques byzantines réalisées au XIIe siècle. Un autre défilé, celui de l'automne-hiver 2021-2022 d'Alta Moda présenté à Venise, est un hommage aux mosaïques byzantines de la basilique Saint-Marc et à son sol en volutes et motifs floraux.

"Du cœur à la main : Dolce & Gabbana", au Grand Palais, à Paris, janvier 2025. (CORINNE JEAMMET / FRANCEINFO CULTURE)

Traditions siciliennes

La salle suivante est un véritable choc coloristique avec ses carreaux, aux tonalités vives et géométriques, peints à la main. Domenico Dolce et Stefano Gabbana sont proches de la Sicile, terre de traditions ancestrales maintenues jusqu'à aujourd'hui. L'influence de la céramique et du char sicilien sur leurs collections d'Alta Moda et d'Alta Gioielleria, présentées à Palerme en 2017, est manifeste dans cette salle. On retrouve l'exubérance de leurs motifs réinterprétés sur les robes et sur les chars siciliens qui figuraient dans les processions et les cérémonies de mariage.

Aujourd'hui comme hier, ils sont ornés de motifs colorés, dont la création requiert les compétences de bûcherons, sculpteurs sur bois, forgerons et peintres. Les peintures décoratives révèlent la diversité iconographique des régions de Sicile. Ces personnages légendaires sont représentés sur les grandes robes à bustier et crinolines, tandis que les hautes coiffes de plumes s'inspirent des plumets ornant les chevaux attelés aux chars.

"Du cœur à la main : Dolce & Gabbana", au Grand Palais, à Paris, janvier 2025. (CORINNE JEAMMET / FRANCEINFO CULTURE)

Baroque blanc

Avec l'aspect sculptural de ces vêtements et l'exubérance de ces ouvrages en stuc, décoration intérieure et mode se rejoignent dans cette salle éloge du baroque blanc. Fascinés par le travail de l'artiste Giacomo Serpotta, les couturiers revisitent, en textile, la décoration intérieure en stuc en vogue aux XVIIe et XVIIIe siècles en Sicile. Cette technique est basée sur un mélange de chaux, de plâtre et de sable, étalé sur une armature de bois et de fil de fer, puis enduite d'un mélange de chaux hydratée, de gypse et de marbre réduit en poudre, afin de leur donner un éclat et une blancheur incomparables.

Dans les modèles, les figures baroques sont modelées avec du crin et de la ouate pour donner du volume puis recouvertes de satin duchesse et de mikado. Ces textiles sculptés reproduisent l'éclat et la brillance des stucs de Serpotta.

"Du cœur à la main : Dolce & Gabbana", au Grand Palais, à Paris, janvier 2025. (CORINNE JEAMMET)

Sacré et sensuel

Changement de décor dans la salle suivante, plongée dans le noir où flotte un doux et délicat parfum. Dans de nombreuses créations de Dolce & Gabbana, un motif de Cœur sacré brille, attirant l'attention par son éclat, qu'il soit brodé sur des vêtements ou sculpté en métal et en perles sur des sacs à main et les flacons du parfum Dévotion.

Leurs créations, œuvres d'art à porter, représentent cette quête d'excellence qui unit artisans et créateurs. Sous la protection du Cœur sacré et d'un autel, les modèles étincelants d'or évoquent la fusion du sacré et du sensuel, caractéristique de la théâtralité baroque. Les robes s'inspirent des personnages en contrapposto (pose du corps humain) sculptés en bois, en vogue aux XVIIe et XVIIIe siècles.

"Du cœur à la main : Dolce & Gabbana", au Grand Palais, à Paris, janvier 2025. (CORINNE JEAMMET)

Atelier sanctuaire

Une volée de marches plus loin, voici des robes noires. Cette couleur que portent traditionnellement les femmes de condition modeste en Italie est également la couleur du voile des vénitiennes ou celle de la veuve sicilienne. Mais pour le duo, c'est surtout la couleur de l'essentiel. Quelques mètres plus loin, on découvre la reproduction de leur atelier : lors de la visite presse des ouvrières de l'entreprise y cousaient des robes.

Les ateliers constituent un moteur essentiel pour les collections d'Alta Moda, d'Alta Sartoria et d'Alta Gioielleria. À la fois laboratoires de recherche à la pointe du progrès et gardiens des techniques artisanales traditionnelles, ils sont le sanctuaire de la maison de couture. C'est là que les idées et les dessins des couturiers prennent forme, interprétés par les maîtres artisans. Au cœur de Milan, 120 personnes y travaillent à la création de vêtements faits à la main, réalisés en exclusivité pour chaque client. Aux savoir-faire traditionnels, le duo a ajouté des techniques originales, comme la méthode du "collage" pour transposer des représentations de la nature ou de l'histoire de l'art sur des vêtements ou des techniques traditionnelles très anciennes comme la broderie au point de croix.

"Du cœur à la main : Dolce & Gabbana", au Grand Palais, à Paris, janvier 2025. (MARK BLOWER)

"Le Guépard"

Symbolisant la transition entre tradition et modernité, Le Guépard – film culte pour le duo – de Luchino Visconti se déroule en Sicile après le débarquement de Garibaldi, un des principaux artisans de l'unification de l'Italie. Il dépeint avec nostalgie la fin de l'ancienne aristocratie sicilienne cédant face à l'avènement d'un monde nouveau.

La galerie des miroirs du Palais Gangi à Palerme, où a été tournée la scène du bal, est réinterprétée ici dans un style contemporain. Dans les miroirs sans tain apparaissent des scènes du film : Alain Delon incarne Tancrède Falconeri, tandis que Burt Lancaster tient le rôle du prince Salina, valsant avec Claudia Cardinale (Angelica). Une robe d'Alta Moda, décorée avec l'image des guépards ornant le dallage du Palais, évoque le personnage d'Angelica face à une foule de prétendants.

"Du cœur à la main : Dolce & Gabbana", au Grand Palais, à Paris, janvier 2025. (CORINNE JEAMMET)

Opéra et ballet

Tour à tour, couturiers, metteurs en scène, scénographes, chefs d'orchestre et chorégraphes, l'opéra occupe une place prépondérante dans leurs collections comme les opéras La Traviata, Attila, Aida, Rigoletto et Don Carlo de Giuseppe Verdi ; Tosca, Madame Butterfly et Turandot de Giacomo Puccini ; Norma et Les Capulet et les Montaigu de Vicenzo Bellini ; Le Barbier de Séville de Gioachino Rossini...

Les modèles inspirés de l'opéra et du ballet sont répartis autour d'une table de banquet dans un décor évoquant un théâtre à l'italienne.

"Du cœur à la main : Dolce & Gabbana", au Grand Palais, à Paris, janvier 2025. (CORINNE JEAMMET)

Savoir-faire du verre

Les vêtements, miroirs et lustres qui se répondent ici dans un jeu de reflets, illustrent une autre de leur source d'inspiration. Dans leur collection d'Alta Moda, devant le Palais des Doges, à Venise, en 2021, défilent des créations ornées de broderies de cristal, une tradition verrière locale emblématique de la Sérénissime.

Les couturiers explorent aussi des matières dont les surfaces sont travaillées comme des miroirs ou qui évoquent l'éclat des lustres. Les broderies de verre et les vêtements argentés répondent, par leur éclat, aux créations des maîtres miroitiers Barbini et aux lustres de Barovier & Toso. À Murano, le travail du verre remonte au XIIIe siècle.

"Du cœur à la main : Dolce & Gabbana", au Grand Palais, à Paris, janvier 2025. (CORINNE JEAMMET / FRANCEINFO CULTURE)

Exposition "Du cœur à la main : Dolce & Gabbana", jusqu'au 31 mars 2025, Grand Palais, avenue Winston Churchill, 75008 Paris. Du samedi au mercredi de 10h à 19h30. Nocturnes les jeudis et vendredis de 10h à 22h.