L’œil de l’INA : Bertrand Blier ou le parcours d’un iconoclaste devenu un classique

Bertrand Blier a toujours préféré s’exprimer par des images que par des mots improvisés. Ses confidences dans les médias sont demeurées rares. INA-Madelen a placé sur son site un documentaire L’iconoclaste impénitent dont nous vous proposons de découvrir un court extrait. Le scénariste confie sa préférence pour les personnages qu’il considère comme des anti-héros. C’est à travers eux qu’il a construits des films personnels où se mêle, dans les dialogues, un mélange d’humour et d’insolence, voire de provocation. 

Comment en est-il arrivé là ? Avoir le cinéma « à la maison » avec Bernard Blier comme père a énormément compté dans sa découverte de l’univers et des coulisses du septième art. Dès ses jeunes années, il a régulièrement côtoyé des metteurs en scène et des acteurs venus dîner à la maison. Le déclic s’est produit lors d’une conversation avec Henri-Georges Clouzot. La façon dont le réalisateur de Quai des orfèvres a évoqué sa passion a eu une véritable influence sur son désir de reprendre, à sa façon, le flambeau familial. 

Après des études littéraires, il devient, en 1960, l’assistant de Georges Lautner, le temps du tournage du Monocle noir avec Paul Meurisse. Bertrand Blier va reconnaître plus tard qu’il doit ce premier emploi à une demande amicale de son père auprès du metteur en scène, et préciser que c’est la seule fois de sa vie où il a bénéficié d’un piston. 

Deux ans plus tard, il signe un documentaire Hitler, connaît pas dans lequel il interroge 11 adolescents sur leur vision de l’amour et du travail et la façon dont ils envisagent l’avenir en un temps que l’on baptisera plus tard « les trente glorieuses ». En 1967, il se lance pour la première fois dans l’aventure de la fiction avec Si j’étais un espion. Malgré la présence de Bernard Blier en tête d’affiche, le film est un échec . Le scénariste-metteur en scène comprend alors qu’en l’absence de moyens financiers conséquents, concurrencer James Bond sur son propre terrain est mission impossible. 

Au lendemain de mai 68, convaincu qu’il est urgent de lever certains tabous, il commence à écrire un roman intitulé Les valseuses. Quelques semaines seulement après sa sortie, des producteurs de cinéma surenchérissent pour acheter les droits d’adaptation à l’écran. Georges Lautner propose de réaliser le film mais, en dépit de l’amitié qu’il lui porte, Bertrand Blier refuse : cette histoire, c’est son bébé et il ne laissera à personne d’autre le soin de la transposer en images. Il découvre Patrick Dewaere, débutant au Café de la Gare, puis fait, grâce à Coluche, la connaissance de Miou-Miou. Il rencontre enfin Gérard Depardieu, alors inconnu, qui lui met la pression. Il veut jouer Jean- Claude : c’est à prendre et pas à laisser ! Blier cède et ne va jamais le regretter. Si, à la sortie du film, les critiques se déchaînent contre ce qu’ils considèrent comme des images vulgaires et scandaleuses, le public répond présent à ce long métrage novateur. On va enregistrer près de six millions d’entrées. 

La suite du parcours est constituée d’un mélange de triomphes et de semi-réussites, voire d’échecs immédiatement oubliés pour passer à autre chose. À la reconnaissance du public va s’ajouter, au fil des décennies, celle des professionnels. Buffet froid et Notre histoire reçoivent un César du meilleur scénario tandis que Trop belle pour toi  lui vaut ceux du meilleur scénario, du meilleur réalisateur, et du meilleur film, ainsi qu’un Grand Prix au Festival de Cannes. Dans son parcours, la consécration suprême demeure toutefois cet Oscar du Film Étranger obtenu en 1978 pour Préparez vos mouchoirs. L’idée était née, un après-midi, en écoutant un Concerto pour clarinette de Mozart. Des personnages et leurs réactions autour de ce classique avaient commencé à se bousculer dans sa tête. Trois heures plus tard, il avait couché sur le papier les grandes lignes de leur parcours. Dans le chalet à la montagne, où il passait quelques jours, il n’imaginait toutefois absolument pas que ce point de départ allait le propulser vers les sommets.