Ukraine-France : comment les joueurs ukrainiens participent à leur manière à la guerre contre l'invasion russe

Affronter l'Ukraine pour lancer sa campagne de qualification pour la prochaine Coupe du monde n'a rien d'un match contre les autres. Si les Bleus retrouvent un adversaire qu'ils rencontrent régulièrement, la rencontre prévue à Wroclaw, vendredi 5 septembre, est la première depuis l'invasion russe en février 2022, raison pour laquelle elle est délocalisée en Pologne.

Dans le monde du sport, et plus particulièrement dans le football, tout ce qui ne relève pas du match du jour est esquivé ou mène à l'ouverture d'un robinet d'eau tiède en conférence de presse. Mais il était évidemment impossible de ne retenir que le fait sportif et d'occulter la guerre, qui a des conséquences directes sur les performances de la sélection ukrainienne, lors de celle de la veille de match, jeudi. "C'est très difficile. Le but c'est de représenter le pays. Les joueurs sont les porte-drapeaux de l'Ukraine. Pour certains, c'est dur, leur famille est toujours en Ukraine", a sobrement expliqué le sélectionneur Sergueï Rebrov à la veille du match, interrogé sur le fait de jouer au football en temps de guerre.

Ambassadeurs, porte-paroles et mécènes de guerre

Même s'il doit répondre à la même question à chaque fois que son équipe rencontre un nouvel adversaire. Sergueï Rebrov prend le temps de le faire et estime ce temps nécessaire. "On doit en parler. Je sais que certaines personnes en ont marre des nouvelles de la guerre mais on continue de se battre et nous avons besoin de votre soutien (...). Nous nous battons pour toute l'Europe", appuyait-il l'an dernier, au moment où ses joueurs lançaient leur Euro 2024. Chaque événement sportif majeur est une tribune que les sportifs ukrainiens entendent bien utiliser pour porter leur voix et médiatiser leur cause. 

Les revirements diplomatiques des derniers mois ont rendu la quête d'alliés et de soutiens encore plus importante. "Chaque joueur ukrainien a compris qu'il est une sorte d'ambassadeur de l'Ukraine, qu'il joue avec son club ou avec le maillot de la sélection. C'est encore plus fort pour ceux qui évoluent à l'étranger dans les grands championnats. Ils ont tous dû devenir plus habiles médiatiquement. Avant, certains s'exprimaient encore en russe devant les médias, aujourd'hui la majorité d'entre eux maîtrisent au moins une langue étrangère", explique Andrew Todos, journaliste britanno-ukrainien spécialiste de l'actualité du football ukrainien.

Le joueur dont la voix porte le plus est sans conteste Oleksandr Zinchenko, qui évolue en Premier League depuis huit ans, d'abord sous les couleurs de Manchester City, puis avec Arsenal et maintenant Nottingham Forest. Moins de deux semaines après l'invasion russe [le 24 février 2022], il avait donné une interview pleine d'émotion à la BBC, dans laquelle il avait laissé couler quelques larmes. "J'ai un million et demi de followers sur Instagram (2,4 millions désormais). Je me dois de donner la vérité sur ce qui se passe en Ukraine", avait-il appuyé dans une discussion avec l'ex-star anglaise Gary Lineker.

Zinchenko est l'ambassadeur de United24, la principale association caritative et plateforme officielle de levées de fonds, liée au gouvernement ukrainien, qui a collecté plus d'1,8 milliards de dollars au 1er août 2025. Andrey Shevchenko, le Ballon d'or 2004 et actuel président de la Fédération de foot ukrainienne, donne aussi de sa personne pour United24 en même temps qu'il essaie de faire grandir son influence au sein des instances européennes du foot. En janvier dernier, il a tenté, en vain, de récupérer un siège au Comité exécutif de l'UEFA, se faisant doubler par le candidat israélien. "Ces derniers jours, nous avons reçu des signaux clairs indiquant que, pour des raisons politiques, ni l'Ukraine ni moi-même n'étions les bienvenus à la tête de l'UEFA", a regretté "Sheva" dans un communiqué.

Le Mondial pour développer le soft power ukrainien ?

Tous les joueurs de football ukrainiens sont concernés à des degrés divers par l'invasion russe. "Plus de 200 membres de la communauté du football ont perdu la vie" au cours du conflit, a appuyé Andrey Shevchenko dans une interview au journal italien Il Messaggero en janvier. Appelé pour affronter les Bleus, le troisième gardien Dmytro Riznyk a perdu son frère, comme un autre international, le défenseur Oleksandr Tymchyk, absent pour cause de blessure.

Oleksandr Zinchenko, le président ukrainien Volodymyr Zelensky et Andrey Shevchenko posent avec des maillots de la sélection nationale le 30 mai 2023 à Kiev. (HANDOUT / UNITED24)
Oleksandr Zinchenko, le président ukrainien Volodymyr Zelensky et Andrey Shevchenko posent avec des maillots de la sélection nationale le 30 mai 2023 à Kiev. (HANDOUT / UNITED24)

De leur côté, les joueurs s'engagent à leur façon quand ils ne décident pas de prendre les armes. Ils sont condamnés à mener une vie paradoxale car tiraillés. Certains, comme Zinchenko, ont assuré être prêts à prendre les armes s'ils sont appelés à le faire. Ceux évoluant à l'étranger alertent sur la situation de leur pays, et participent, comme les joueurs appartenant à des clubs ukrainiens, à des cagnottes pour l'achat de matériel militaire. "Les gens qui leur disent d'aller faire la guerre plutôt que de jouer au football sont des guerriers de canapé, qui ne se battent pas non plus sur le front, rapporte Andrew Todos. En Ukraine, les gens regardent un peu de football parce que cela leur offre un peu de répit. Les matchs sont une forme de facteur d'unité, surtout ceux de la sélection nationale malgré le déclin du foot ukrainien".

Depuis 2022, les performances de l'équipe nationale ne décollent pas. L'Euro 2024 a été vécu comme un gros raté. L'Ukraine n'a pas réussi à sortir d'une poule comprenant la Belgique, la Roumanie et la Slovaquie (dernier du groupe à la différence de buts). Quant aux clubs, le Shakhtar Donetsk et le Dynamo Kiev ont reculé dans la hiérarchie européenne. Pour la première fois depuis vingt ans, aucun représentant ukrainien ne disputera la Ligue des champions. 

Mais il ne faut pas pour autant sous-estimer cette sélection ukrainienne. Lors de l'annonce de sa liste, Didier Deschamps a estimé que la campagne de qualifications débutait par le match "le plus difficile" du calendrier. Son homologue Sergueï Rebrov pourra compter sur le défenseur parisien Illia Zabarnyi, mais pas sur Andriy Lunin, le gardien du Real Madrid faisant partie de l'équipe championne du monde des moins de 20 ans en 2019, ni sur le défenseur Vitaliy Mykolenko, blessé. La première place du groupe semble promise aux Bleus, mais l'Ukraine peut espérer une qualification pour les barrages, avec en ligne de mire le Mondial en Amérique, qui formerait une estrade idéale pour médiatiser la cause ukrainienne.