Fabien Devide : «Sur la scène esport, en France, on a quasiment les meilleurs joueurs du monde sur chaque jeu»

Que cela vous inspire-t-il de voir que les Championnats du monde 2025 de Rocket League et de Fortnite auront lieu en France, à la LDLC Arena de Lyon ?
Fabien «Neo» Devide : Je ressens la même chose qu’en 2023, quand la France a organisé le Major de Counter-Strike à l’AccorHotel Arena, à savoir que cela met un terme à une anomalie, en particulier sur Rocket League. La France dispose des meilleurs joueurs du monde, avec trois équipes très performantes (Vitality, Karmine Corp et Gentle Mates). On sait qu’on a un public capable de venir en nombre, de faire beaucoup de bruit, avec des associations et des clubs de supporters parmi les mieux développés au monde, et on n’a jamais eu un seul tournoi, même mineur, en France. Du coup, c’est vrai que pendant longtemps on se demandait : mais pourquoi on n’arrive pas à obtenir l’organisation de ce type d’événements ? Et là, que cela survienne au moment où les trois équipes françaises sont les plus fortes et les plus capables de le gagner, c’est finalement une belle coïncidence. Cela permet de faire table rase du passé et de la frustration de ne pas les avoir eus avant, pour se concentrer sur cette belle reconnaissance de l’écosystème esport français. A nous maintenant de rendre ce moment particulier et hors du temps, comme cela avait pu être le cas à l’AccorHotel Arena sur le Major Counter-Strike.

Regrettez-vous justement que cet événement n’ait pas lieu à Paris, à l’AccorHotel Arena, comme cela avait été le cas pour le Major Counter-Strike ou la finale des Championnats du monde de League of Legends en 2019 ?
À titre perso et pour la superstition, bien sûr que je le regrette parce que j’avais mon rituel d’avant-match. C’est sûr que quand tu gagnes un titre, tu as un travail de projection mentale qui est beaucoup plus facile à réaliser, surtout pour des grands champions. D’avoir déjà vécu ça côté staff, d’avoir des joueurs qui sont encore dans l’équipe et de pouvoir faire du partage d’expérience avec nos joueurs actuels, pour leur dire comment ils l’ont vécu, comment ils l’ont préparé, ça aurait été effectivement un gain de temps et un raccourci extraordinaire. Maintenant, ça reste en France, ça reste un tournoi majeur, ça reste une préparation particulière, donc on a quand même des atouts à faire valoir. Mais oui, je pense que notre histoire avec l’AccorHotel Arena est exceptionnelle, et à chaque fois qu’il y aura un tournoi dans cette salle, cela aura toujours une saveur particulière pour nous, chez Vitality.

Comment expliquez-vous la domination de la France sur le jeu Rocket League ?
Je pense déjà qu’on a un pays avec l’un des QI esport les plus développés au monde. On a quasiment les meilleurs joueurs sur la plupart des jeux. Cela peut simplement se discuter sur League of Legends avec une domination sud-coréenne et chinoise, mais sinon, on voit qu’il y a toujours un Français qui est champion du monde quelque part. Ce qui est étonnant, c’est qu’on le fait par une appétence naturelle, et non pas parce que l’école nous y a conduits ou qu’on a cette culture-là. Au contraire même, je pense que c’est encore beaucoup trop sous-développé, et encore un petit peu tabou dans les organes dits officiels. Pourtant, on est une discipline qui existe depuis 20 ans, Vitality est là depuis 12 ans, et on se rend compte qu’au fil des années, on continue d’inspirer, de donner envie à des gamins d’en faire un métier, et la France a toujours été précurseur là-dedans avec les exemples d’ElkY sur le premier Starcraft ou Kaydop qui a été l’exception française, c’est-à-dire le premier joueur à rejoindre une équipe internationale et à gagner les Championnats du monde sur un jeu qui était à l’époque encore obscur, à savoir Rocket League. Cela a créé une sorte de curiosité nationale auprès d’autres joueurs qui se sont sentis inspirés par ces parcours, et qui se sont dit : s’ils en sont capables, pourquoi pas moi aussi ? Il faut toujours un grand champion, un athlète d’exception qui réalise l’impossible pour en inspirer d’autres, comme ça a pu être le cas au basket en NBA.

Si demain les trois locomotives françaises étaient amenées à quitter le jeu, ce serait un énorme trou dans la raquette pour le futur de ce jeu, bien qu’il soit une véritable mine d’or.

Fabien «Neo» Devide

Une telle domination de la France dans Rocket League peut-elle cependant un jour poser problème et engendrer un désintérêt dans d’autres pays ?
C’est vrai qu’on a une bulle de joueurs très dominateurs et concrètement, le joueur français aujourd’hui coûte extrêmement cher. Les audiences européennes et mondiales sont drainées uniquement par le public et les clubs français, ce qui engendre une dépendance européenne et presque mondiale de la bonne santé de nos clubs. D’un point de vue économique, un modèle comme Rocket League n’est pas encore tout à fait mature. Les clubs aujourd’hui ne génèrent pas assez de profits et subissent des pertes, ce qui pose des questions d’arbitrage. Si demain les trois locomotives françaises étaient amenées à quitter le jeu, ce serait un énorme trou dans la raquette pour le futur de ce jeu, bien qu’il soit une véritable mine d’or. Pour moi, à l’instar d’un Street Fighter qui est très facile à comprendre et à suivre même pour un profane, Rocket League est du même tonneau. Vous avez trois voitures qui jouent au football dans un dôme et qui doivent marquer le plus de buts possibles. Demain, vous mettez ça dans un bar, tout le monde serait capable de le suivre et de vibrer pour un match. C’est dommage, quand on a un jeu qui est facile d’accès et qui a un potentiel grand public, de ne pas réussir à trouver finalement un modèle beaucoup plus viable économiquement.

Comment le patron Vitaly fait-il pour aller chercher une troisième étoile de championne du monde sur Rocket League, après 2019 et 2023 ?
Déjà, on renforce l’effectif. Après 2023, on avait fait confiance à l’équipe championne du monde et on avait reconduit l’effectif à l’identique, mais malheureusement, comme en football, c’est très compliqué de gagner deux fois d’affilée les championnats du monde sans faire de changement. L’année dernière, l’équipe l’année a eu des bons résultats, mais pas assez bons pour prétendre à cette troisième étoile. Du coup, quand on a le meilleur joueur du monde avec Zen, qui est vraiment un talent générationnel hors normes, on sait qu’il faut lui donner les meilleurs coéquipiers, ce qu’on a fait avec les arrivées de «Monkey Moon» et «Exo TiiK» (Ndlr : qui s’étaient imposés en 2024 dans les rangs de BDS, une structure suisse). On a recréé une super team, mais on sait très bien que cela fait toujours peur sur la gestion de l’ego. Là, je trouve qu’on a vraiment un bon équilibre sur les positions, donc il va falloir mettre tout ça en place et bien préparer ces Championnats du monde comme on avait su bien préparer le Major à Paris. On va rentrer dans de l’orfèvrerie, c’est-à-dire gérer les plannings, le choix des tournois, les moments de récupération, ne pas trop forcer en début de saison… Il y a plein de choses qui rentrent en compte pour que les micropourcentages ou les centièmes de seconde qui compteront à la fin de l’année soient là.

Vous parlez d’équilibre. La meilleure équipe est-elle forcément l’addition des trois meilleurs joueurs du monde ?
Non, c’est une équipe qui comprend ce qu’elle doit faire sur le terrain, qui a une identité de jeu propre à elle, qui se concentre sur ce qu’elle peut contrôler. C’est sûr que sur un jeu mécanique comme Rocket League, cela aide d’avoir des joueurs extrêmement forts et je pense qu’on n’a pas d’anomalie, mais si on devait faire poste pour poste, c’est sûr que peut-être des joueurs à droite à gauche seraient légèrement meilleurs, mais ce n’est pas ça qui va te faire gagner les matchs à la fin. Rocket League, plus que d’autres, est un jeu extrêmement mental.

Pour Vitality, que représente Rocket League ? 
On a rejoint Rocket League lors de la saison 4 et aujourd’hui, on est quasiment l’équipe la plus vieille et la plus historique du jeu. On est la seule équipe avec BDS à avoir gagné deux fois les championnats du monde, donc c’est un jeu qui est particulier pour nous parce qu’on y a vécu de très belles émotions, et que pour l’ensemble de la scène mondiale, on est une des plus belles équipes. On pourrait être considéré comme le Real Madrid sur ce jeu-là. Donc forcément il a une saveur particulière, surtout pour nos fans et pour moi. Maintenant, on est une équipe Counter Strike, on l’a toujours revendiqué, notre locomotive c’est Counter Strike, ça ne changera pas, mais Rocket League est très proche derrière, et ça compte pour nous aujourd’hui d’avoir ce degré d’excellence et d’ambition sur ce type de jeu. Et comme Zywoo est notre Wembanyama ou notre Antoine Dupont sur Counter Strike, Zen est son pendant sur Rocket League.