Pour le judo français, Paris 2024 est à la fois déjà si loin et… toujours si proche
Luka Mkheidze, Joan-Benjamin Gaba, Aurélien Diesse, Teddy Riner, Clarisse Agbégnénou, Romane Dicko… Mi-janvier, la nouvelle manager des équipes de France, Frédérique Jossinet, était presque gênée en énumérant la liste des différents forfaits pour le Paris Grand Slam qui se tiendra ce week-end à l’AccorHotel Arena de Bercy. Des renoncements qui venaient en plus s’ajouter à ceux, déjà entérinés, d’autres médaillées des Jeux olympiques 2024, à savoir le trio Amandine Buchard-Sarah-Léonie Cysique et Madeleine Malonga.
Une hémorragie qui n’a cependant rien de surprenante aux yeux de la vice-championne olympique de 2004 à Athènes : «Il y a des forfaits d’ordre médical, et d’autres qui sont plus contextuels, dus à une reprise tardive post-JO – ce qui est bien normal - ou à de petits soins. Il y a une volonté d’être précautionneux avec chacun. Avec l’enchaînement entre Tokyo en 2021 et Paris en 2024, ceux qui ont vécu les deux éditions ne se sont pour ainsi dire pas arrêtés pendant trois ans et il est logique de souffler maintenant. Du coup, on s’est adapté et il faut savoir être intelligent. Trois ans et demi nous séparent de Los Angeles et ce sera une période très dense, qu’il faut bien planifier.» Et pour aller dans son sens, Joan-Benjamin Gaba ajoutait : «Il ne faut pas se tromper d’objectif. Le mien cette année, ce seront les Championnats du Monde en juin et dans ma préparation, ce Paris Grand Slam ne tombe pas correctement. Je viens de reprendre et je dois continuer de travailler pour récupérer le niveau que j’avais juste avant les Jeux pour arriver sur le Mondial en pleine forme.»
Quand je dispute une compétition, c’est pour la gagner, pas pour savoir où j’en suis, encore plus quand c’est à Paris.
Joan-Benjamin Gaba
Hors de question, également, pour le médaillé d’argent en individuel de Paris 2024 chez les moins de 73kg d’envisager ce Paris Grand Slam comme un test grandeur nature pour se situer. «Quand je dispute une compétition, c’est pour la gagner, pas pour savoir où j’en suis, encore plus quand c’est à Paris», précise-t-il, déterminé. Le tournoi parisien ne diffusera donc que de légers effluves de Paris 2024 grâce aux présences de Shirine Boukli, de Maxime-Gaël Ngayap Hambou ou de Marie-Eve Gahié. «C’est vraiment un Grand Slam particulier car il est à la maison et cela fait du bien de retrouver Paris», confie cette dernière. «Je me sens prête. Je n’ai pas eu à combattre en Ligue des Champions pour ma reprise il y a un mois donc j’ai hâte de le faire cette fois, de retrouver la compétition réellement. L’après-JO était assez mitigé. La victoire par équipes m’a fait plaisir, mais elle n’a pas couvert la déception de l’individuel. J’ai connu une période difficile où il m’a fallu prendre le temps de digérer. Je me suis plutôt éloignée de ceux qui m’aimaient et du monde du judo, car j’avais besoin de me retrouver seule.» Avant de revenir progressivement à l’entraînement, puis en équipe de France.
Du côté de l’Insep où le staff a été modifié en profondeur. Le signe qu’après des Jeux à dix médailles – un record – mais avec seulement deux titres (Teddy Riner et le par équipes), il était nécessaire d’effectuer des changements pour redynamiser l’ensemble du secteur de haut niveau. «Oui, on était arrivé à la fin de quelque chose», admet Stéphane Nomis, le président de la fédération française de judo. «Je rappelle qu’aux Jeux Olympiques de Paris, il y a eu onze pays différents qui ont décroché un titre olympique. C’est énormissime sur 14 catégories possibles. Le judo évolue, il se modernise et j’avais besoin de mettre du sang neuf dans cette équipe pour redynamiser et apporter des nouvelles choses au judo français. Et j’espère qu’ils vont nous montrer qu’ils sont à la hauteur.» «On a eu des choix à faire, on les assume», ajoute Frédérique Jossinet. «Il y a des profils qui nous quittent aujourd’hui et qui ont été vraiment de très bons entraîneurs. On les remercie pour leur excellent travail, pour tout ce qu’ils nous ont apporté. Mais c’est le haut niveau et on a décidé qu’il fallait aussi se renouveler. On part sur une olympiade pleine, à quelques mois déjà passés près, dans une nouvelle dynamique.»
L’épineux cas Ludovic Delacotte
Concrètement, l’équipe masculine passe sous la direction de Daniel Fernandes – qui remplace Baptiste Leroy parti au PSG Judo à l’issue des Jeux –, avec deux adjoints : Franck Chambily et Ludovic Delacotte. Pour ce dernier, se posera la question du maintien, ou non, de sa collaboration avec Clarisse Agbégnénou. «C’est une question», n’élude pas Jossinet. «On a déjà eu une réunion avec Clarisse et on doit encore en parler. Il y aura un accompagnement spécifique, du décloisonnement, de la transversalité, c’est un vrai enjeu. Ce sera du décloisonnement garçons-filles mais aussi jeunes-seniors. On va se poser sereinement avec Clarisse comme avec Teddy, on va poser un projet, entendre ses besoins. Il peut y avoir un accompagnement spécifique avec certains coaches ou autres avec qui elle a déjà fonctionné jusqu’à aujourd’hui, on n’est pas fermés. Mais ça nécessite un cadre de départ.» Stéphane Frémont occupera, lui, un poste d’entraîneur national et responsable de l’analyse de la performance, de la concurrence et de la compétitivité.
«L’évidence» Lucie Décosse
De son côté, Lucie Décosse prend en charge le secteur féminin, en lieu et place de Christophe Massina, qui avait annoncé son désir de partir avant même Paris 2024. Un choix ô combien logique pour Jossinet : «Je ne parle pas de son parcours d’athlète, on le connaît (championne olympique en 2012 et triple championne du monde). Elle est passée par des fonctions d’entraîneur à plusieurs niveaux. Elle s’est notamment occupée des seniors et il y a trois ans, quand Christophe Massina a été nommé responsable des féminines, elle a désiré basculer comme entraîneur chez les moins de 23 ans. Avant sa décision de quitter la fonction d’encadrement national. Elle s’est formée pendant un an, elle a pris de la hauteur. Elle a évolué dans son approche et sa finesse sur l’accompagnement à la performance des athlètes, sur sa façon de travailler aussi, y compris en collaboration avec les clubs. Je pense que c’est son moment. On a beaucoup discuté, on a beaucoup échangé. Et quelque part, pour moi, j’ai envie de vous dire que c’est presque une évidence.»
Lucie Décosse s’appuiera, elle aussi, sur deux adjoints, Kilian Le Blouch et Jane Bridge (une ancienne championne du monde britannique qui travaillait précédemment avec la Fédération suédoise). Une nomination visiblement bien accueillie par les athlètes, à commencer par Marie-Eve Gahié qui confiait au sujet de celle qui brilla sur les tatamis en moins de 63 puis 70kg : «Elle était en équipe de France il y a quelque temps. À mon grand désespoir, elle l’a quittée et elle m’a beaucoup manqué. Je l’admire en tant qu’athlète et je m’entends très bien avec elle. J’ai confiance en elle sur ce poste-là, sur les missions qu’elle aura, sur la manière avec laquelle elle va nous gérer. Même si on n’est pas non plus facile à vivre et ce n’est pas parce que je l’admire que je vais me laisser faire. Je ne suis pas un petit soldat non plus. Mais j’ai vraiment confiance en elle.» Une opinion partagée par Audrey Tcheuméo : «Lucie peut apporter de la sérénité. On a tous besoin de quelqu’un qui nous cadre et qui nous apaise en même temps. Elle sait rester calme dans la tempête.»
On a des entraîneurs avec des caractères différents qui sont aussi eux-mêmes d’anciens champions, donc cela devrait bien coller.
Stéphane Nomis
«Je pense qu’on a mis en place une équipe homogène, avec chacun des compétences différentes», conclut un Stéphane Nomis confiant en l’avenir. «Moi, j’aime bien cela car ils peuvent s’adapter à tous les types de personnalités. On a des champions, et ce n’est jamais facile d’entraîner des champions. Ils ont tous des gros caractères. Et là, on a des entraîneurs avec des caractères différents qui sont aussi eux-mêmes d’anciens champions, donc cela devrait bien coller. Je pense que c’est une belle équipe. C’est vraiment différent de ce qu’on a fait jusqu’à aujourd’hui.» Reste à voir ce que cela donnera jusqu’aux Jeux de Los Angeles en 2028. Avec, donc, une première étape à Paris ce week-end qui ne sera pas déterminante, vu la longue liste des absents, mais qui pourrait donner quelques indicateurs intéressants pour la suite.
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