Basket : nouveaux formats, streaming et réseaux sociaux... Comment la NBA se réinvente pour contrer une baisse d'audience TV
28%. C'est la perte d'audience télévisuelle de la NBA cette saison par rapport à la même date l'an passé sur ESPN, l'un des deux principaux diffuseurs télé, rapportait en novembre, Front Office Sports, spécialisé dans le business sportif. Depuis 2012, la chute atteint même 48%. Un déclin important et une situation paradoxale : la ligue américaine perd en intérêt à la télévision, mais ses contenus explosent sur les réseaux sociaux.
Comment l'expliquer ? La raison tient notamment au sportif, avec une exagération du tir à trois points, un calendrier très dense ou une défense pas toujours au rendez-vous. Mais elle tient aussi aux nouveaux modes de consommation du produit, qui ont glissé du tube cathodique au smartphone à grande vitesse.
Trois points, cadence, défense
Sur le plan sportif, un des griefs principaux provient de l'orientation du jeu vers une orgie de tirs à trois points, ce que déplore notamment Shaquille O'Neal. "Nous regardons sans cesse la même chose. Tout le monde joue de la même manière. Stephen Curry et les autres ont tout cassé. Ça ne me dérangeait pas que Golden State tire autant à trois points, mais tout le monde n'est pas un shooteur à trois points. Donc pourquoi tout le monde a la même stratégie ? Je pense que c'est ce qui rend le jeu ennuyeux", avait lancé le mythique pivot des Lakers en novembre.
En 2010-2011, les trois points représentaient en moyenne 18% des tirs tentés par une équipe dans un match. En 2024-2025, ce chiffre est monté à 37,5%, et même 49% pour le champion, Boston, qui prend presque un tir sur deux derrière l'arc. "C'est une sorte de flèche qui monte constamment depuis 30 ans, remarque George Eddy, commentateur historique de la NBA pour Canal+, qui rappelle que chaque époque a eu sa tendance avant de se résorber. En NBA, on copie ceux qui gagnent. Comme Golden State a gagné quatre titres avec un jeu basé essentiellement sur le trois points, tout le monde s'est dit qu'il fallait appliquer ça."
La défense, très présente en playoffs mais parfois moins en saison régulière, divise également les observateurs. "La NBA est aujourd'hui trop centrée sur l'argent et pas assez sur la dureté à l'ancienne. Le produit et les joueurs doivent être meilleurs. Aucune excuse", tranche l'ancien coach des Denver Nuggets, George Karl. "Le problème n'est pas que les défenses ne défendent pas, c'est que les attaques sont devenues trop fortes. Il faudrait trouver des moyens pour ne pas laisser le jeu se réduire uniquement au double pas et aux trois points", analyse de son côté George Eddy.
La cadence frénétique (82 matchs par équipe sur six mois, avant les playoffs) fait débat depuis longtemps. La répétition peut brouiller l'importance de chaque rencontre tout en accentuant le risque de blessures pour les joueurs. "Le gros souci avec la NBA, c'est que l'argent influence toutes les décisions, donc on a trop de matchs à forte intensité et trop de joueurs blessés. La saison est trop ramassée, et ensuite il y a les compétitions internationales. Tout ça n'est pas harmonisé", juge George Eddy.
L'internationalisation de la ligue a, elle, eu un effet double : augmenter sa visibilité dans le monde, et donc amener plus de joueurs internationaux. Ceux-là mêmes qui, aujourd'hui, damnent le pion aux stars américaines vieillissantes, vectrices d'audience aux Etats-Unis pendant la dernière décennie. Giannis Antetokoumnpo ou Victor Wembanyama sont désormais autant les visages de la ligue que LeBron James ou Stephen Curry. Et les Etats-Unis fouillent encore pour trouver leurs successeurs.
Une offre éclatée pour un public moins assidu
Ces baisses d'audience, à relativiser puisque les matchs de Noël ont attiré un nombre record depuis cinq ans, sont-elles le signe d'une NBA qui peine à adapter sa formule ? Pour Arnaud Simon, président d'In&Out Stories, société de conseil auprès des médias et des ligues sportives, les modes de consommation sont une des principales raisons de ce glissement. "Aujourd'hui, on est bombardé d'opportunités : Netflix, HBO, Disney et même Twitch, très populaire chez les jeunes générations. On a tout simplement moins de temps de passion disponible pour tout consommer, estime le spécialiste.
"L'offre est beaucoup plus fragmentée. Donc, le fait de consommer des résumés courts, des temps forts, ça devient une façon de compléter la consommation en direct."
Arnaud Simon, spécialiste des ligues sportivesà franceinfo: sport
La naissance d'une petite sœur version streaming pour les plateformes classiques (ESPN+ pour ESPN, Peacock pour NBC, Prime pour Amazon) le confirme : les chaînes dites "classiques" ne veulent pas rater le train en marche. Un train que la NBA a déjà fait partir depuis une décennie avec son "League Pass", qui permet de suivre les matchs à la carte ou en replay. "Vous avez un passage des modes linéaires télé aux plateformes streaming. Forcément, vous perdez du monde en route parce que vous aviez des abonnés du câble depuis 30 ans qui ne se réabonnent pas automatiquement à des plateformes de streaming de sport", relève Arnaud Simon.
La NBA, peu regardante sur l'utilisation de ses images sur les réseaux sociaux, en a fait une politique marketing : la diffusion du produit n'est pas payée, mais il est plus vu, et attire donc plus de fans potentiels. "C'est très intelligent de la part de la NBA de rendre son produit accessible au maximum de monde. Les réseaux sociaux sont un produit d'appel, pas une destination définitive. C'est une façon de connecter émotionnellement soit un fan existant, soit un consommateur qui ne l'est pas encore, pour l'amener à intégrer l'écosystème NBA", estime le spécialiste.
"On donne trop d'importance aux highlights, aux gestes spectaculaires. C'est du tape-à-l’œil, du court terme. C'est une sorte de gratification immédiate pour la jeune génération du zapping, qui ne veut pas prendre le temps de regarder un match entier."
George Eddy, commentateur de la NBA sur Canal+à franceinfo: sport
Pour autant, la NBA fait toujours recette : alors que ses audiences TV chutent, elle vient de signer un contrat juteux de 76 milliards de dollars (près de 73 milliards d'euros) avec ses diffuseurs TV pour une prochaine période de... 11 ans. Comment ? "Je pense qu'il y a eu un emballement du fait de la guerre du streaming. Amazon Prime, ESPN+, Peacock, c'est tellement essentiel pour eux de réussir ce basculement de la télé linéaire au streaming qu'ils sont dans une sorte d'urgence de ne pas perdre les produits forts", ajoute Arnaud Simon.
Un produit qui sait se renouveler
Reste que la NBA l'a bien compris : si elle a su prendre le virage technologique plus vite que beaucoup d'autres ligues, elle ne peut pas se reposer sur ses lauriers. "La NBA prouve que la baisse des audiences est peut-être beaucoup plus structurelle, liée à la fragmentation de la consommation que directement liée au produit, même s'il faut tout le temps se bagarrer pour le faire bouger. Mais la NBA est en capacité de le faire. Je suis un peu plus inquiet pour des sports non américains qui sont un tout petit peu plus lents dans leur capacité à réagir. Là, il y a des risques de perdre une partie de nouvelles générations en route", prévient Arnaud Simon.
Alors la ligue innove en permanence. Après le play-in, antichambre des playoffs, elle a développé depuis deux ans la NBA Cup, une coupe en pleine saison, à un moment où la NFL a les faveurs du public américain. "Comme les matchs comptent pour la saison régulière, ils ont trouvé le moyen que les joueurs soient doublement motivés, puisqu'il y a 500 000 dollars [près de 480 000 euros] par joueur pour le vainqueur. Donc les matchs de la NBA Cup étaient encore meilleurs que ceux de saison régulière", relève George Eddy.
Elle s'attaque désormais à un de ses formats phares : le All-Star Game. Auparavant match immanquable pour voir les stars s'affronter dans un cadre amical, elle en est devenue la caricature, au point de forcer la NBA à essayer, presque chaque année, un nouveau format. "Ils ont laissé faire, et maintenant c'est devenu difficile à gérer. Il faut qu'il y ait un peu plus de sérieux parce qu'un sport collectif ne peut vraiment exister que quand il y a de l'opposition", estime Jacques Monclar, ancien joueur et coach désormais consultant sur beIN sports. Le nouveau format, avec trois équipes de huit joueurs, sera au banc d'essai mi-février.
L'internationalisation de la NBA va, elle, prendre encore une autre dimension jeudi et samedi, avec la venue de sa nouvelle coqueluche, Victor Wembanyama, chez lui en France. Et devrait une nouvelle fois prouver que l'intérêt à l'international pour le produit NBA, lui, ne décline pas.