Ces 5 jeunes créatrices francophones écrivent la mode de demain
MARIE ADAM-LEENAERDT
A l’évocation des origines de Marie Adam-Leenaerdt (née et résidant à Bruxelles), difficile de ne pas convoquer l’esprit des Six d’Anvers, ces créateurs belges d’avant-garde ayant révolutionné la mode dans le courant des années 1990. D’autant plus que la créatrice partage avec Martin Margiela, l’un des Six, le goût du détournement, elle qui transforme une nappe de table en robe plissée et s’est employée, pour sa dernière collection printemps-été, à revisiter le tee-shirt sous toutes ses formes. «Le point commun de ces créateurs, c’est qu’ils proposent une mode qui refuse de s’ancrer dans une tendance. J’aime aussi l’idée de jouer avec les codes d’une mode très réglementée, de les détourner, de repenser le vêtement afin qu’on le perçoive d’une autre façon. Si on ne se pose pas de questions et si on ne sort jamais les éléments de leur boîte, alors on ne peut pas avancer.» Les critiques la disent avant-gardiste, elle évoque «un bien grand mot», admettant qu’elle affine encore son esthétique, concentrée sur l’idée d’inventer quelque chose qui n’a pas été déjà fait dans la mode. Finaliste du prix LVMH 2024, nouvelle star de la Fashion Week parisienne - au cours de laquelle elle a déjà défilé trois fois - Marie Adam-Leenaerdt n’avait pourtant jamais vraiment envisagé de devenir créatrice, même si elle cultive depuis très jeune un «attrait pour la mode, le travail créatif et manuel.» Après des études à La Cambre, toujours à Bruxelles, elle rejoint les studios de Balenciaga sous l’égide de son directeur artistique Demna, y découvre un véritable esprit d’équipe, mais préfère y refuser un poste pour mieux lancer son propre label. «En y repensant, je me dis que j’étais sûrement un peu folle, mais je n’avais rien à perdre.»
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ALICE VAILLANT
Lauréate des Grands Prix de la création de la Ville de Paris 2023, double finaliste de l’Andam (2023 et 2024), plébiscitée par Aya Nakamura comme par Rihanna, acclamée à la Fashion Week… Depuis 2020, Alice Vaillant connaît un succès qui ne faiblit pas. «Ce sont des expériences qui m’ont beaucoup fait grandir et enrichie, admet celle qui «vit bien» cette popularité. C’est génial de voir que le travail paye!»
Rien ne prédestinait cette Parisienne à devenir l’une des chefs de file de la nouvelle garde créative. Elle a longtemps été danseuse classique, passant son temps entre l’Opéra de Paris et le marché Saint-Pierre, où elle se fournissait en tissus pour réaliser ses costumes de scène. Ce qui, elle l’avoue, lui a donné un certain goût du vêtement. Il y a aussi ces heures à attendre dans les coulisses de l’opéra, vêtue de tenues richement brodées sur lesquelles elle enfilait vêtements de sport et guêtres pour garder ses muscles au chaud. Mélange de matières et de couleurs qui l’inspire encore aujourd’hui. La danse reste le fil rouge qu’elle retravaille pour éviter d’être trop littérale. Ce qui explique la grande féminité de ses créations, la présence de la dentelle de Calais - sa signature - comme de tissus plus techniques. Et surtout l’envie de proposer une mode modulable, portable de jour comme de nuit, sexy, mais jamais vulgaire. Sa collection estivale intitulée Vaillante, en hommage à toutes les femmes qui portent sa marque - «une armée», dit-elle -, s’inspire du flamenco et des créations de Cristóbal Balenciaga, notamment dans les jeux de volumes.
JULIE KEGELS
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été intéressée par la mode et ses petits détails très spécifiques: la texture d’un tissu, une technique de couture…» Cependant, celle qui, toute petite déjà, consacrait ses exposés d’école à Paul Poiret ou Madame Grès, a suivi des études de science avant de pouvoir se tourner vers ses premières amours. Diplômée de la prestigieuse Académie royale des beaux-arts d’Anvers, Julie Kegels est, depuis 2024, à la tête de sa marque homonyme, pensée, de son propre aveu, «pour un large éventail de femmes. Qu’il s’agisse d’une jeune de 18 ans ou de sa grand-mère de 80 ans, d’une skateuse comme d’une dame bourgeoise, très élégante. Lors du processus de création d’une collection, je me demande toujours quel genre de fille pourrait porter mes vêtements, quel est son travail, si elle fait ses courses en grande surface ou au marché de son quartier, le genre de sport qu’elle pratique…»
Présentée à Paris en octobre dernier, lors de la Semaine de la mode, la collection printemps-été de la créatrice belge mettait ainsi à l’honneur une Européenne de famille huppée au style plutôt classique, dont le séjour à Los Angeles (et le séduisant surfeur rencontré) lui inspire une toute nouvelle garde-robe, mélange de chic parisien et de nonchalance californienne. «Je voudrais qu’en voyant mes créations, chacun ressente une émotion. Je n’aime pas travailler sur une marque sans relief: il faut qu’elle fasse battre votre cœur.»
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MERYLL ROGGE
Dans les inspirations de Meryll Rogge, il y a toute une galerie de personnages. Ses grands-mères, d’abord, dont l’une reproduisait à l’identique des robes Dior, et l’autre collectionnait les éditions spéciales du magazine Hola!, consacrées aux défilés. Son dentiste, ensuite, qui diffusait en continu dans son cabinet les émissions de Fashion TV. L’Américain Marc Jacobs et le Flamand Dries Van Noten enfin, qui lui ont successivement appris les ficelles du métier. La créatrice belge a pourtant fait des études de droit - «un peu par pression familiale» - avant d’entrer à l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers. Elle lance sa marque en mars 2020, «date plutôt absurde, deux semaines avant le confinement», mais ne se laisse pas déstabiliser: «C’est ce que je voulais faire depuis toute petite, même si, pendant longtemps, cela ne me semblait pas être un métier réaliste. Ça a toujours été là, en moi, mais je savais en sortant de l’école que j’avais d’abord besoin de faire mes preuves. J’avais aussi envie de travailler pour d’autres.»
Aujourd’hui, la jeune femme navigue en solitaire, à la recherche «d’une espèce de tension»: entre le masculin et le féminin ; entre la mode, l’art plastique et la photo ; entre les matières. Sa mode, qui se doit d’être «portable sans être ennuyeuse», selon ses propres mots, change au gré de ses inspirations. Pour le printemps-été 2025, elle est ainsi partie de son propre mariage, en Espagne, pour lequel elle avait imaginé plusieurs pièces. «J’ai commencé à designer de façon très libre, sans moodboard.» De là est née une collection complète, acclamée par la critique.
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PAULINE DUJANCOURT
Il y a dix ans, lors d’un voyage au Japon en famille, Pauline Dujancourt écrivait sur un morceau de papier espérer devenir un jour créatrice de mode. Une décennie plus tard, le petit papier toujours en poche, la Française peut se targuer d’avoir réalisé son rêve. Depuis 2022, celle qui a fait ses classes auprès des créateurs britanniques Simone Rocha et Rejina Pyo, et de l’Américain Alexander Wang, repousse les limites de la maille au sein de sa propre griffe. «Au départ, je trouvais ça lourd, un peu vieillot, pas très contemporain. Mais mes premières expériences m’ont permis de comprendre que j’avais une vraie passion pour elle… Je me suis alors réconciliée avec ce matériau.»
Autodidacte, la jeune créatrice se forme à force de vidéos sur Internet, avec deux aiguilles, du fil, et beaucoup de son temps libre. Aujourd’hui, le tricot à la main est le cœur de sa marque qui propose des pièces hybrides où se mêlent maille épaisse, bordures en crochet et tissus plus légers (organza, soie, tulle, dentelle…). «J’ai envie de montrer quelque chose qui, sans être abîmé, n’est pas parfaitement fini, tombe de façon asymétrique, a souvent des bords francs… Il y a une vraie dualité dans mes créations», révèle-t-elle. Installée à Londres, Pauline Dujancourt peut compter sur un réseau de tricoteuses fidèles, entre l’Angleterre, la France et le Pérou, où est par ailleurs sourcé l’alpaga qu’elle utilise dans ses collections. Un réseau qu’elle rêve de faire grossir, pour «perpétuer cet esprit artisanal qui est le centre de tout».