Coupure d’électricité massive en Espagne : entre la péninsule ibérique et la France, une forte interconnexion électrique

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La péninsule ibérique dans le noir. Une panne d’électricité massive a frappé l’Espagne et une partie du Portugal ce lundi 28 avril, perturbant les réseaux téléphoniques, les transports ou encore les systèmes de paiement. Le sud de la France a été temporairement touché, avec «des foyers privés d’alimentation électrique pendant quelques minutes dans le Pays basque», rapporte RTE. Le gestionnaire du réseau électrique promet toutefois qu’il n’y a «aucune contagion» à craindre de cet incident, le réseau français étant «sécurisé».

En attendant la fin de l’enquête sur les causes exactes de la coupure, la filiale d’EDF précise qu’elle est mobilisée pour «porter assistance au gestionnaire du réseau espagnol» et que «700 MW de consommation espagnole ont déjà été réalimentés par RTE». «RTE est en capacité d’augmenter son aide à l’Espagne à 950 MW dès que le réseau ibérique sera en capacité technique de l’accueillir», ajoute-t-elle. Ce secours rapide et massif apporté par le gestionnaire français illustre à quel point les systèmes électriques des différents pays européens sont aujourd’hui largement connectés.

La France, ce «carrefour électrique»

La plupart des pays d’Europe continentale font ainsi partie d’un vaste réseau synchrone, le deuxième plus grand au monde, qui partage la même fréquence de 50 Hz. En clair, l’idée est de mutualiser les capacités de production en tirant parti des complémentarités entre les mix énergétiques nationaux. Cela permet au Vieux Continent de sécuriser ses approvisionnements, de réduire les coûts et d’augmenter la part des énergies décarbonées. La France joue un rôle de «carrefour électrique» dans ces échanges européens du fait de sa position «à l’intersection de plusieurs péninsules électriques (péninsule ibérique, Italie, Grande-Bretagne)», mais aussi grâce à ses «importantes capacités de production installées», explique le bilan électrique 2024 de RTE. Grâce au nucléaire, à l’hydraulique et à d’autres renouvelables, le mix français est «dans l’ensemble plus compétitif que celui de la plupart de ses voisins».

La France est d’ailleurs exportatrice nette d’électricité vers les six voisins avec lesquels elle est interconnectée, et a enregistré en 2024 le solde exportateur net le plus élevé de son histoire : 89 TWh. Elle exporte en priorité à l’Allemagne et la Belgique (31,3 TWh), l’Italie (22,3 TWh), la Grande-Bretagne (20,9 TWh) et la Suisse (17,4 TWh). L’Espagne figure en sixième position avec 9,4 TWh importés, mais elle est en revanche, et de loin, le premier exportateur vers la France (6,6 TWh).

Ces dernières années, la France et l’Espagne ont largement augmenté leurs interconnexions. Les deux pays ont ainsi presque doublé le volume total de leurs échanges en dix ans (16 TWh en 2024 contre 9,4 en 2014). Si la France était globalement exportatrice jusqu’au milieu des années 2010, les échanges se sont progressivement équilibrés à mesure que le mix espagnol devenait plus compétitif. «Entre 2014 et 2024, le parc de production éolien espagnol est passé de 22 GW à près de 32 GW ; le parc de production solaire de 7 à 31 GW», précise RTE. Cela a conduit à une diminution du solde exportateur net français (-5,9 TWh) entre 2002 et 2024 sur cette frontière. En 2023, le bilan annuel des échanges était tout proche de l’équilibre, et la France était même légèrement importatrice (-1,8 TWh). En 2024, le solde est légèrement en faveur de la France (+2,8 TWh).

Le projet faramineux du golfe de Gascogne

«Les mécanismes régissant les échanges sur la frontière franco-espagnole sont de plus en plus coordonnés et flexibles, et les échanges, donc, de plus en plus fluides», se félicite RTE. Le gestionnaire explique également que l’augmentation des échanges a été facilitée par l’intégration des marchés et la construction de nouvelles infrastructures de transport, à l’instar de l’interconnexion à courant continu Baixas (Pyrénées Orientales, France) – Santa Llogaia (Catalogne, Espagne) en 2015. Cette ligne à haute tension à travers les Pyrénées, d’une longueur de 64,5 km, a permis de «doubler la capacité d’échange de 1400 à 2800 MW» selon l’opérateur INELFE. Avant 2015, les deux pays étaient reliés par deux lignes de 400 kV (Argia – Hernani et Baixas – Vic) et deux lignes de 225 kV (Argia – Arkale et Pragnières – Biescas). La capacité d’échange était alors de 1400 MW.

Depuis 2023, INELFE œuvre à une autre ligne à haute tension, celle du golfe de Gascogne, longue de 400 km et enfouie dans le sol au fond de l’Océan entre le poste de Cubnezais (près de Bordeaux) et le poste de Gatika (près de Bilbao). Un projet faramineux qui doit doubler les capacités d’échanges d’électricité entre la France et l’Espagne pour les porter à 5 000 MW. «C’est-à-dire de quoi alimenter 5 millions de foyers environ», précise RTE. Les deux pays ont des consommations d’électricité «contracycliques», explique RTE. L’Espagne importe beaucoup d’électricité française en été en raison de l’utilisation massive de climatisation. À partir de mi-novembre, c’est la France qui importe de l’électricité espagnole pour la période de chauffage, profitant d’une «production éolienne extrêmement élevée dans toute la péninsule ibérique».

Et le Portugal dans tout ça ? Via une approche par «traçage des flux» qui prend en compte un périmètre européen élargi à 15 pays, RTE explique qu’il est légitime de considérer qu’«une partie de l’électricité échangée entre la France et l’Espagne est attribuable à de la production au Portugal». Le Portugal est même le premier pays non-frontalier parmi ceux qui importent de l’électricité depuis la France, avec 6% du volume total (5,5 TWh), soit plus que les exportations françaises vers l’Espagne (3%). «Cela indique que l’Espagne joue fréquemment le rôle de pays de transit entre la France et le Portugal», conclut le gestionnaire.