Luis Enrique, l'intransigeant chef suprême d'un PSG machine à gagner
"J'espère vous rendre cette confiance avec des trophées importants." Dans un français encore hésitant, Luis Enrique l'avait promis dès sa première apparition devant la presse en tant qu'entraîneur du PSG : s'il venait dans la capitale française, c'était pour faire passer un cap au club et l'emmener conquérir de nouveau sommets.
Deux saisons plus tard, force est de constater que l'Espagnol a tenu sa promesse : si ses deux triplés Ligue 1 – Coupe de France et Trophée des champions sont le minimum attendu pour un club avec les moyens du PSG, version qatarie, c'est en Europe que se mesure le mieux son empreinte : une demi-finale pour sa première saison et une finale à Munich samedi 31 mai face à l'Inter Milan pour entrer dans la légende du club parisien.
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Le PSG de Luis Enrique
Après le PSG de Zlatan, puis celui de Neymar, Mbappé et Messi, il y a désormais le Paris de Luis Enrique : "Je n'avais jamais imaginé entraîner le PSG car leur politique était d'attirer les plus grandes superstars. Mais là ils veulent changer", confiait-il lors de son entrée en fonction à l'équipe de documentaristes espagnols qui l'a suivi pendant sa première saison sur le banc parisien.
En effet, las des humiliations européennes malgré les grands moyens déployés, le président du PSG, Nasser Al-Khelaïfi et Luis Campos, le directeur sportif, ont nommé à la tête de l'équipe, Luis Enrique, en juillet 2023, l'homme qui a infligé au club "la remontada" de 2017. Ils savent qu'ils confient les clés du club à un homme d'expérience, de caractère mais aussi de principes.
L'Asturien ne s'imagine que gagner avec la manière. Et pas n'importe quelle manière : la sienne, à savoir un jeu de possession, offensif, privant l'adversaire de ballon, et un pressing de tous les instants à la perte de celui-ci. Deuxième principe : aucune tête ne doit dépasser. Chez Luis Enrique, il n'y a pas de superstar, il n'y a que l'équipe.
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Des principes qui n'ont pas fonctionné partout où il est passé. Au Barça, épaulé par la MSN (Messi-Suarez-Neymar), Luis Enrique avait remporté cinq titres dont la Ligue des champions 2015. La formule avait moins pris avec l'AS Rome (2011-2012) ou la sélection espagnole (2018-2022). Avec la Roja, l'aventure s'était même terminée par une humiliation en règle : sorti par le Maroc en huitième de finale aux tirs au but alors qu'il clamait que ses joueurs avaient préparé le scénario en tirant 1000 penalties chacun lors de l'année écoulée. Résultat : 0 tir inscrit lors de la séance, grosse claque pour ses grands principes.
Une relation compliquée avec Mbappé
A Paris cependant, la sauce catalane de Luis Enrique prend. Premières victimes de sa révolution : Neymar et Marco Verratti qui se voient indiquer la sortie en raison d'une hygiène de vie douteuse. Problème suivant : Kylian Mbappé, dont le statut est peu soluble avec les principes de Luis Enrique et qui, de plus, est sur le départ.
"J'aurais aimé entraîner le meilleur joueur du monde pendant plusieurs années. Et le meilleur actuellement c'est Mbappé. Mais si je ne l'ai pas, il se passera rien"; assènera-t-il. "Si les stars suffisaient à gagner des titres, le PSG aurait déjà 8 LDC".
Entre les deux hommes, les relations seront compliquées. Luis Enrique n'hésitera jamais à tancer Mbappé, notamment pour le pousser à s'impliquer dans le travail défensif. Les rapports, supposés conflictuels, alimenteront la presse tout au long de l'année, même si l'Espagnol défendra toujours publiquement son joueur.
Alors que le PSG veut absolument recruter un 9 pour pallier au départ de Mbappé, à l'été 2024, Luis Enrique ne veut pas en entendre parler. Ses arguments sont passés à la postérité : " Si je m’appuie sur mon expérience, il vaut mieux qu’il y ait quatre [joueurs] qui marquent 12 buts, car cela fera 48 buts et c’est mieux que 40."
A la veille de la finale, les comptes sont bons : Ousmane Dembélé (33), Bradley Barcola (21), Gonçalo Ramos (18) et Désiré Doué (13) ont déjà dépassé la barre fixée tandis que le nouveau venu de l'hiver Khvicha Kvaratskhelia est dans les temps avec déjà six buts.
Ousmane Dembélé replacé et transfiguré
Intransigeant au quotidien, l'espagnol place le collectif au-dessus de tout. Il affiche une certaine proximité avec les joueurs, n'hésitant pas à les taquiner, tout en gardant une vraie distance. Il ne justifie pas ses décisions mais les assumes. S'il se refuse à humilier, il dit les choses, parfois crument, comme lorsqu'il debriefe Mbappé sur ses efforts défensifs lors du quart de finale aller contre le FC Barcelone, en 2024 : "C'est… Catastrophique."
"Faire cohabiter des grands joueurs avec Luis Enrique, c'est difficile", souligne une source du club auprès de l'AFP. Les tensions avec Ousmane Dembélé, début octobre, nées d'un retard à l'entraînement, menaçaient de gâcher la saison. Le joueur a été privé de déplacement à Londres pour affronter Arsenal en C1, puis tancé publiquement après son exclusion à Munich, fin novembre.
L'attaquant des Bleus a, par ailleurs, décrit, en avril, la pression constante mise par l'entraîneur : "Le coach nous a rabâché: 'si tu presses pas, défends pas, quelqu'un va prendre ta place', donc on défend tous".
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Il reste l'entraîneur qui a su tirer le meilleur d'"Ouz", en le replaçant en faux 9, à partir de décembre 2024. Dembélé est désormais le dépositaire du jeu parisien, à la fois pour construire et conclure les actions, lui qui a souvent péché à la finition. Depuis, le numéro 10 empile les buts et les passes décisives.
Fort avec les forts, il sait aussi être faible avec les faibles. L'Asturien ne cherche jamais à enfoncer un joueur en difficultés et sait même offrir une attention particulière à ceux qui en ont besoin, accompagné de son adjoint et psychologue Joaquin Valdez.
Il sait aussi aller au feu pour ses joueurs, notamment devant la presse. Devant les journalistes avec qui il entretient une relation tumultueuse, il se complait à jouer le paratonnerre en concentrant les critiques. Il aime être à contrecourant : affirmer que tout va bien quand son équipe passe par une phase compliquée ou au contraire faire redescendre tout le monde sur terre quand le PSG marche sur l'eau. Il ne se prête d'ailleurs jamais à l'exercice médiatique de gaieté de cœur : "Si on me propose de gagner 25 % de moins et de ne jamais avoir à apparaître devant les médias, je signe tout de suite."
Sportif infatigable
Pour ce bosseur infatigable, seul le football compte, avec tous ses paramètres, même les plus insignifiants. À la Roma, il avait fait campagne pour supprimer les Cornettos et les Capuccino jugés trop généreux en calories. À Paris, il a passé les premiers mois à dormir au Camp des loges, pour comprendre toutes les arcanes de fonctionnement du camp d'entraînement du PSG et suggérer des améliorations : nouvelles machines, nouvelles données… Il aime tellement le football qu'il se rend aussi parfois en personne superviser les matches des équipes de jeunes, pour jauger le potentiel des titis.
Si il peut se permettre d'être aussi exigeant, c'est sans doute parce qu'il place le curseur très haut pour lui-même. Juste après avoir mis fin à sa carrière de joueur, en 2004, loin de se laisser aller, il s'était mis à la course à pied et au triathlon. Il a notamment couru le marathon de Florence en moins de 3 heures, en 2007, participé au Marathon des sables (plus de 200 km dans le désert ainsi qu'à l'Absa Cape Epic, une course de VTT de 658 km et 15 500 m en Afrique du Sud. Parmi ces manies, le besoin de faire de l'exercice toutes les 30 minutes, de ne prendre qu'un seul repas par jour pour gagner du temps et de marcher pied nu pour être connecté à la nature.
Autant dire que l'image de Luis Enrique, attablé avec une bière et une planche après une sortie à vélo avec le maillot de la Groupama-FDJ avait surpris tout le monde, tant le caractère du bonhomme semble loin de l'épicurisme. Pourtant, Luis Enrique sait aussi croquer la vie à pleine dents. D'ailleurs, il n'affirmera jamais qu'un match est une "question de vie ou de mort".
En cause : un deuil personnel qui a frappé sa famille. En 2019, l'Espagnol a perdu sa fille de 9 ans, Xana, touchée par une tumeur osseuse maligne. Avec sa femme, son fils et sa fille, ils ont fait front ensemble et ont décidé de perpétuer la mémoire de "Xanita", avec la création d'une fondation afin de venir en aide aux familles défavorisés confrontées à cette épreuve.
Malgré cette épreuve, Luis Enrique se définit comme un incurable optimiste. L'an dernier, à la veille de la demi-finale retour capitale, il avait affirmé que la seule phrase qu'il connaissait en Français était : "On va gagner !" Une méthode Coué qui ne demande qu'à faire une dernière fois ses preuves samedi.