Présidentielle américaine : vers une bataille judiciaire entre le camp de Trump et de Harris
Au-delà du vote en lui-même, une âpre bataille judiciaire a déjà commencé en coulisses entre le camp de Donald Trump et celui de Kamala Harris pour remporter l’élection présidentielle américaine de ce 5 novembre.
"Donald Trump et ses partisans n’ont jamais accepté leur défaite de 2020 et ils considèrent que la précédente élection leur a été volée", souligne à l’antenne de France 24 Corentin Sellin, professeur agrégé d'Histoire, spécialiste des États-Unis. "Aussi, Donald Trump a décidé de préparer cette fois-ci, en amont, une contestation juridique très intense de l’élection".
Après sa défaite il y a quatre ans, Donald Trump avait engagé une soixantaine de procédures judiciaires dans plusieurs États pour contester les résultats, alléguant une fraude généralisée. Mais aucune n'avait abouti. Cette expérience a conduit son équipe à affiner son approche pour 2024, selon Olivier Richomme, expert en droit électoral et professeur d'Histoire américaine à l'Université Lyon 2. "Trump dispose d'une armée d'avocats, coordonnée par son conseiller politique Stephen Miller", explique le chercheur. "Ils ont déjà entamé des poursuites bien avant l'élection et ont l'intention de continuer après."
140 millions de dollars pour financer la bataille judiciaire
Aux États-Unis, ce sont les États qui décident de l’organisation des élections et chacun dispose de ses propres règles. D’où la possibilité de multiplier les recours. Parmi les actions engagées, en Pennsylvanie, les républicains ont tenté de faire proscrire le vote par correspondance pour les militaires revenants de l’étranger. Tandis que dans le Nevada, ils ont voulu faire interdire des bulletins postaux retardataires.
La plupart du temps, ces recours sont rejetés par la justice, mais ils s’inscrivent dans une stratégie du parti de Donald Trump, explique à France info l’avocat américain Henry Chalmers. Entre 2020 et août 2024, plus de 120 actions en justice ont été intentées par le parti républicain dans 26 États afin de contester certaines règles électorales.
S’inscrivant dans la même stratégie, en avril, les conservateurs américains ont lancé une initiative inédite par son ampleur dans l’histoire des États-Unis : le programme "d'intégrité électorale". Un projet financé à hauteur de 140 millions de dollars par "un réseau secret de donateurs républicains et de milliardaires conservateurs", révèle le Wall Street Journal qui cite plusieurs noms.
Ce programme, poursuit le journal américain, soutient une cinquantaine de groupes "qui ont passé au crible les inscriptions sur les listes électorales à une échelle industrielle et se sont efforcés de trouver des moyens pour ralentir le décompte des voix, de noyer les responsables électoraux locaux sous la paperasse et les poursuites judiciaires, et d'élire des politiciens, au niveau local et national, partageant les mêmes idées, afin qu’ils soutiennent les efforts visant à contester le vote".
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La multiplication des recours peut en outre permettre aux républicains de gagner du temps et de favoriser ainsi la saisine par la Chambre des représentants, estime l’avocat Henry Chalmers interrogé par France info. "Je pense que la stratégie du camp Trump est de créer tellement de querelles judiciaires que la Chambre des représentants récupère l’élection". En cas d’égalité parfaite entre les deux candidats, la Constitution prévoit que la Chambre des représentants tranche. Or cette instance est dominée par les républicains.
Le doute instillé dans la tête des électeurs
En parallèle, sur le terrain, le candidat Donald Trump s’est efforcé depuis le début de la campagne de jeter le doute sur le processus électoral, auquel il participe pourtant, en refusant de dire explicitement s'il accepterait le résultat de l'élection présidentielle de novembre. Lors d’un débat en juin face à Joe Biden (avant son désistement en faveur de Kamala Harris), le milliardaire avait alors répondu qu’il ne se plierait au résultat des urnes que si l'élection est "honnête, légale et juste".
Lors de ses meetings également, Donald Trump a exhorté ses partisans à se préparer à une victoire, répétant à l’envie qu’une défaite serait le fait de fraudes. Samedi, lors d’un rassemblement devant ses partisans à Greensboro, en Caroline du Nord, il les a encouragés à "garder les yeux ouverts" parce que ces gens [les démocrates] veulent tricher, et ils trichent".
Utilisant les réseaux sociaux, le candidat n’a pas manqué non plus de relayer des allégations d'irrégularités. Fin octobre, il s’est fait l’écho d’une fake news d’origine russe sur une prétendue fraude électorale sur des bulletins de vote anticipé en Pennsylvanie, l’un des États clés du scrutin.
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Des accusations qui ont fait réagir les autorités locales. "En 2020, Donald Trump a attaqué nos élections à maintes reprises. Il essaie maintenant d'utiliser le même scénario pour attiser le chaos, mais écoutez-moi bien : nous aurons à nouveau des élections libres et équitables, sûres et sécurisées - et la volonté du peuple sera respectée.", a voulu rassurer sur X le gouverneur démocrate de Pennsylvanie, Josh Shapiro.
Des enquêtes ont montré que la fraude électorale est en fait assez rare. Un audit complet des élections dans l'État américain de Géorgie, publié le mois dernier, avait révélé que seuls 20 "non-citoyens" avaient tenté de s'inscrire sur les listes électorales, sur un total de 8,2 millions d'électeurs inscrits ; 156 autres ont été signalés en vue d'une enquête plus approfondie.
Mais le doute a déjà été instillé dans la tête des électeurs acquis à Donald Trump, explique Olivier Richomme. Les années passées par l’ex-chef d’État à remettre en cause le processus électoral ont causé des dommages irréparables dans la confiance du public. "Nous constatons qu'une partie croissante de l'électorat se méfie des élections". Et désormais c’est une grande partie du parti républicain qui reprend sa rhétorique.
Près de la moitié des candidats républicains au Congrès ou à des postes à responsabilité à l'échelle locale remettent publiquement en question l'intégrité des élections. À l’instar de Brian Babin, élu à la Chambre des représentants de l'Illinois, qui a récemment publié un message sur X, affirmant que "les États démocrates refusent de nettoyer les listes électorales, comptent les étrangers dans les recensements et utilisent les frontières ouvertes de Harris pour remplacer les électeurs américains afin de détenir une majorité perpétuelle".
Les démocrates se préparent
Face aux fakes news et à l’avalanche de procédures juridiques en cours et à venir, les démocrates ont eux aussi embauché une équipe de milliers d'avocats pour répondre aux contestations déposées par les équipes de Donald Trump.
Toutefois, en cas de victoire du républicain, ils ont fait savoir qu'ils s'abstiendraient de remettre en cause les résultats. Comme le souligne Olivier Richomme, "ce n'est pas dans la tradition des démocrates, et ils ont fait campagne contre de telles actions lorsque Trump le faisait. Ils ont clairement fait savoir qu'ils pensent que le système électoral fonctionne de manière efficace".
Mais quel que soit le résultat, cette élection aura probablement un impact significatif sur les institutions démocratiques américaines, note le chercheur qui estime que les dommages causés par la rhétorique de Donald Trump risquent de perdurer longtemps après le dépouillement des votes.
Cet article a été adapté depuis l’anglais. Retrouvez l’original ici.