L’écrivain à succès et ancien homme d’affaires Paul-Loup Sulitzer est décédé jeudi à l’âge de 78 ans à l’Ile Maurice où il vivait depuis plusieurs mois. « Il est décédé ce matin à l’hôpital des suites d’un AVC », a indiqué Olivia Sulitzer, précisant que son père, auteur prolifique de thrillers politico-financiers, avait été hospitalisé il y a plusieurs jours après une chute.
Sa santé était diminuée depuis plusieurs années contrastant avec l’image de businessman fringant qui avait fait sa réputation et son succès. Un notoriété qu’il devait à ses romans. Lorsque Paul-Loup Sulitzer publie Money, en 1980, il est surtout connu comme consultant financier de haute volée. Money est le premier titre de son œuvre prolifique. Traduit dans 43 langues, il se vend à 2,5 millions d’exemplaires et lui rapporte près de 5 millions d’euros.
Le héros de cette saga est un certain Franz Cimballi, dépouillé de son immense fortune reçue en héritage. Globe-trotteur, il arpente la planète, déjoue des pièges, combat ses ennemis mais reste fidèle à lui-même, décortique les mécanismes secrets des grandes opérations financières.« Money, et la suite de mes romans, visaient justement à décomplexer l’argent sans en faire un dieu, à vanter la liberté d’entreprendre. J’en avais assez de la dictature de l’intelligentsia vis-à-vis de la réussite financière. Je voulais parler de façon moderne du capitalisme, être un Balzac qui témoignait de son temps », expliquait, non sans ambitions, l’auteur. Cela lui vaudra d’être présenté comme l’inventeur du « western financier » ou encore du roman d’aventures de finance-fiction. Lui préfèrait se définir comme «l’écrivain du pognon» ou un «romancier économique».
Money donne surtout le coup d’envoi du fameux « système Sulitzer », qui consiste à mettre les techniques éprouvées du marketing au service de la vente des livres. Tout au long de sa carrière de romancier, Paul-Loup Sulitzer va réinvestir une bonne partie de ses copieux à-valoir et droits d’auteur dans la publicité de ses livres, à travers des spots à la radio ou à la télévision. «Je voulais toucher le grand public à l’image de Michael Jackson ou de Johnny Hallyday », affirmait-il.
Franz Cimballi, c’est un peu l’histoire de «PLS» - surnom de Paul-Loup Sulitzer donné par ses amis -, qui avait une revanche à prendre sur la spoliation de la fortune familiale. Lorsqu’il a dix ans, son père, Jules Sulitzer, homme d’affaires immigré juif de Roumanie, meurt, à cinquante-quatre ans. «Des problèmes familiaux nous ayant privés de l’héritage, nous nous retrouvions, ma mère malade, ma sœur et moi, sans un sou», racontera-t-il plus tard.
À seize ans, PLS quitte l’école. Il devient chef de chantier de travaux publics, part en Israël, revient en France où il fait fortune en vendant des gadgets, notamment des porte-clés. À vingt et un ans, il est le plus jeune PDG de France. La littérature, il n’y pense pas encore. Il investit dans l’immobilier, s’achète l’une des plus belles villas de Saint-Tropez, devient consultant financier tant en France qu’aux États-Unis et dans le monde. Une réussite digne de Money.
Cimballi, son héros, on va le retrouver dans plusieurs romans : Cash, Fortune, Duel à Dallas. On le verra au cinéma, incarné en 1991 dans un film. Il réapparaît en 2010 avec la publication de Money 2 et dans Le Chinois à roulettes (Éditions du Rocher). La veine est exploitée à fond. Mais le charme est rompu avec le public depuis que Bernard Pivot, en 1987, dans son émission « Apostrophes », a révélé le nom du journaliste-écrivain suspecté d’être la «plume» du romancier-homme d’affaires. Loup Durand, auteur lui-même de best-sellers, n’a jamais vraiment admis ce lien. PLS, de son côté, a toujours joué la carte du mépris. « Si c’était aussi simple de prendre un nègre, alors il y aurait beaucoup de best-sellers au monde. Loup Durand était un ami. Il est vrai que nous avions formé une équipe très soudée. Il participait à mes livres et moi aux siens », affirmait PLS. Après cette accusation, Le Roi rouge, son thriller paru en 2008, n’a pas dépassé les 20 000 exemplaires.
La consécration, si l’on peut dire, est venue du côté d’Alain Souchon. Dans sa chanson Foule sentimentale (1993) - « On nous Claudia Schiffer, on nous Paul-Loup Sulitzer… Oh, le mal qu’on peut nous faire !». Le chanteur dénonçait, à travers l’image de ces deux vedettes, la société de consommation. « Alain Souchon a beaucoup de talent, mais c’est un piètre philosophe. Si nous étions le mal, que dire alors du sida, de la pauvreté, de la violence dans le monde ?», ironisait à son propos PLS. Avant d’ajouter : «Au final, cette chanson a été une bonne affaire pour nous deux. Elle a reçu le prix de la chanson de l’année aux Victoires de la musique de 1994 et a comptabilisé un million d’albums vendus. Quant à moi, cela m’a fait une très forte publicité. Et puis, quel bonheur d’être associé à l’une des plus jolies femmes du monde. »
Après l’immense succès de ses romans «économiques», Paul-Loup Sulitzer met à nouveau en scène les grands de la finance internationale et notamment les banquiers soviétiques dans Popov. Ensuite, il s’intéresse à Helena Rubinstein, la reine des cosmétiques, avec Hannah. Il publie aussi des essais - Crédit lyonnais. Cette banque vous doit des comptes - et des ouvrages plus personnels - Régime Sulitzer, dans lequel il détaille le régime qui lui a permis de perdre vingt kilos. Dans les années 2000, l’homme connaît des problèmes de santé et un divorce coûteux. Le succès littéraire s’est ralenti. Mais il continuait à publier. Pour conjurer le sort qui l’avait laissé, un jour, sans le sou.