« Notre peuple restera inébranlable et ne quittera pas sa patrie » : le retour des Palestiniens, un bras d’honneur à Donald Trump

Accompagné de plusieurs journalistes à bord de l’Air Force One dimanche 26 janvier, l’avion présidentiel, Donald Trump s’est lancé dans une déclaration dont on ne sait toujours pas s’il s’agit d’une affirmation réfléchie ou d’un soliloque. Quoi qu’il en soit, les idées émises sont assez graves et lourdes de conséquences pour provoquer des réactions inquiètes.

Le président américain, moins d’une semaine après sa prise de fonction, a comparé la bande de Gaza dévastée à un « site de démolition », évoquant le transfert d’« environ 1,5 million de personnes ». Il a estimé qu’il était temps de « nettoyer » le territoire assiégé, exhortant les dirigeants jordaniens et égyptiens à accueillir les Palestiniens de Gaza, de manière temporaire ou permanente.

« Le peuple palestinien n’abandonnera jamais sa terre »

Dès le lendemain, les Gazaouis déplacés dans le Sud, à la frontière avec l’Égypte, infligeaient un véritable camouflet au dirigeant de la première puissance mondiale. Des centaines de milliers d’entre eux se massaient en lisière du « corridor de Netzarim », qui coupe la bande de Gaza en deux, de la frontière israélienne jusqu’à la mer, au sud de la ville de Gaza, attendant le bon vouloir de l’armée occupante.

Lundi matin, près de 200 000 personnes avaient déjà pris la route. La scène aurait dû se produire samedi, selon l’accord de trêve entre Israël et le Hamas. Mais un « désaccord » portant sur la libération d’une otage israélienne civile, et sur la remise aux autorités de Tel-Aviv d’une liste stipulant le statut de tous les otages, vivants ou morts, avait bloqué le processus.

L’Autorité palestinienne estime que ce plan « constitue une violation flagrante des lignes rouges contre lesquelles nous avons constamment mis en garde. Nous soulignons que le peuple palestinien n’abandonnera jamais sa terre ni ses lieux saints, et nous ne permettrons pas la répétition des catastrophes (Nakba) de 1948 et 1967. Notre peuple restera inébranlable et ne quittera pas sa patrie ».

Un plan rejeté par l’Égypte et la Jordanie

Pour le Hamas, « le retour des déplacés est une victoire pour notre peuple et signe l’échec et la défaite des plans d’occupation et de déplacement », alors que Djihad islamique relève que « ce retour est une réponse à tous ceux qui rêvent de déplacer notre peuple ».

Ghassan Abu Sitta, chirurgien britannico-palestinien, recteur de l’université de Glasgow, s’était rendu à Gaza au début de la guerre et avait travaillé, avec Médecins sans frontières, à l’hôpital Al Shifa. Sur son compte X, il note : « Les Palestiniens retournent dans leurs maisons du nord de Gaza, sachant très bien qu’elles sont détruites. Les colons ne comprendront jamais la relation entre les peuples autochtones et leur terre. »

Le plan de Donald Trump ne convient pas plus aux deux pays directement concernés, les deux seuls du monde arabe à avoir signé un accord de paix avec Israël (les accords d’Abraham paraphés par le Maroc, le Soudan, Bahreïn et les Émirats arabes unis ne représentent qu’une normalisation).

Dans un communiqué, le ministère égyptien des Affaires étrangères a réaffirmé « le soutien constant de l’Égypte à la résilience du peuple palestinien sur sa terre ». Amman a fait savoir que son « rejet du déplacement des Palestiniens est ferme et ne changera pas. La Jordanie est pour les Jordaniens et la Palestine est pour les Palestiniens ».

Une idée qui plaît à l’extrême droite israélienne

Donald Trump prêche-t-il le faux pour avoir le vrai ? « L’idée que tous les Palestiniens vont partir et aller ailleurs, je ne pense pas que ce soit très réaliste », a reconnu sur CNN l’un de ses plus fervents soutiens, Lindsey Graham. « Je ne sais pas de quoi il parle, a-t-il dit. Mais allez parler à MBS (le prince saoudien Mohammed ben Salmane – NDLR), allez parler aux Émirats arabes unis, allez parler à l’Égypte. Quel est leur plan pour les Palestiniens ? Veulent-ils qu’ils partent tous ? »

Une chose est certaine, en lançant cette éventualité du grand ménage à Gaza, le locataire de la Maison-Blanche, une fois de plus, s’aligne sur les buts de Tel-Aviv. Les partenaires d’extrême droite du premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, ont longtemps prôné ce qu’ils décrivent comme l’émigration volontaire d’un grand nombre de Palestiniens et le rétablissement des colonies juives à Gaza.

Le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, qui est désormais, après la démission de son alter ego Itamar Ben Gvir par rejet de l’accord de cessez-le-feu, un membre essentiel de la coalition gouvernementale de Netanyahou, a qualifié la proposition du président états-unien d’« excellente idée ».

L’ombre d’une nouvelle Nakba

On comprend pourquoi. Des groupes de défense des droits de l’homme, dont Amnesty International, ont déjà accusé Israël de nettoyage ethnique et de génocide, que les experts des Nations unies ont défini comme une politique conçue par un groupe ethnique ou religieux pour chasser la population civile d’un autre groupe de certaines zones « par des moyens violents et inspirant la terreur ».

C’est bien l’ombre d’une nouvelle Nakba, la catastrophe, qui plane sur les Palestiniens, de Gaza comme de Cisjordanie. En 1948, 700 000 Palestiniens avaient dû fuir ce qui est maintenant Israël et n’ont jamais pu rentrer chez eux. Idem en 1967, lorsque Israël s’est emparé de la Cisjordanie et de la bande de Gaza : 300 000 Palestiniens supplémentaires ont fui, principalement vers la Jordanie.

Au-delà des déclarations, Le Caire et Amman ont-ils les moyens de résister à la volonté états-unienne ? Les droits de douane américains – l’un des outils économiques préférés de Trump – ou les sanctions directes pourraient être dévastatrices pour l’Égypte et la Jordanie. Les deux pays reçoivent des milliards de dollars d’aide américaine chaque année, et l’Égypte est déjà embourbée dans une crise économique.

Le président états-unien dispose d’un certain pouvoir d’influence sur la Jordanie, un allié fortement endetté mais stratégiquement important, et fortement dépendant de l’aide étrangère. Les États-Unis sont historiquement le plus grand fournisseur de cette aide. En 2022, ils se sont engagés à verser au moins 1,45 milliard de dollars par an à la Jordanie entre 2023 et 2029 dans le cadre du protocole d’accord de sept ans sur un partenariat stratégique.

On aurait cependant tort de penser que Donald Trump a lancé cette idée à la légère. C’est un signal clair aux pays arabes aussi bien qu’à l’Autorité palestinienne alors que le cessez-le-feu apparaît plus fragile que jamais.

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