Vivre dans l’angoisse en travaillant pour nourrir ses concitoyens

Gérard Le Puill
En 2019, l’INSEE indiquait que, le nombre d’exploitants agricoles en France était tombé à 400.000, contre 1,6 millions en 1982. Des prix agricoles trop bas rendent les installations de jeunes paysans de plus en plus difficiles et font reculer notre souveraineté alimentaire tandis les incertitudes économiques et climatiques rendent l’exercice de la profession de plus en plus angoissant.

Nos avons donné un panorama des difficultés du monde paysan dans nos quatre précédents articles publiés cette semaine. En France, la filière des vins et spiritueux a dégagé un excédent commercial 14,3 milliards d’euros en 2024. Bien que positif, ce chiffre ne signifie pas qu’elle se porte bien. Dans la filière des céréales, le dernier chiffre connu faisait état d’un excédent de 7,3 milliards d’euros en 2023. Ce chiffre sera en forte chute sur 2024, en raison de la chute des cours et de la réduction des volumes exportés. Produire des boissons et des denrées alimentaires alors que les prix mondiaux fluctuent en forte baisse quand l’offre dépasse la demande rend la vie des producteurs de plus en plus difficile. Les premières victimes sont les paysans. Des entreprises commerciales peuvent aussi voir leur chiffre d’affaire chuter sensiblement. Quand elles le peuvent, elles en profitent alors pour faire payer la note aux salariés en procédant à des licenciements et à du chômage partiel (1). Avant même les annonces successives décidées par Donald Trump sur les droits de douane au début de cette année, la Chine avait pris des dispositions pour réduire ses achats de cognac exportés depuis la France afin de protester contre les décisions européennes visant à réduire les importations de voitures électriques chinoises sur le vieux continent.
Les Français boivent de moins en moins de boissons naguère qualifiées de « digestifs » parmi lesquelles figurent le cognac , l’armagnac et ce qui reste encore du calvados, un alcool provenant de la distillation du cidre. Seulement 3% du cognac produit en France est bu par les Français et tout reste est disponible pour l’exportation. Au quatrième trimestre de 2024, le groupe Rémy Cointreau a vu ses ventes de cognac reculer de 32,8% en raison du recul des importations chinoises. Afin de faire des économies, Rémy Cointreau a mis les deux tiers de ses 390 salariés du département de la Charente en chômage partiel à raison d’une semaine par mois jusqu’la fin du mois de juin 2025, voire au-delà.

Quand LVMH supprime 1000 emplois chez Moët-Hennessy

Le cognac est aussi, avec le champagne, l’une des activités de Moët-Hennessy du groupe LVMH de Bernard Arnault, l’homme le plus riche de France.  En page 21 du quotidien « Les Échos »  du 2 mai , un petit encadré publiait cette information : « Le groupe LVMH (propriétaire des « Echos ») envisage de supprimer autour d’un millier de postes sur les 9.400 que compte Moët-Hennessy , qui rassemble les marques de champagne, de vins et de spiritueux du géant de luxe , selon les informations de La Lettre confirmées jeudi à l’AFP par la division , qui ne donne cependant pas de chiffres » .
Pour Rémy Cointreau comme pour Moët-Hennessy, la variable d’ajustement est d’abord recherchée via le chômage partiel et les suppressions d’emplois. Le 2 mai aussi, en page 2 du même quotidien «Les Échos », on pouvait lire ce constat de la journaliste Nathalie Silbert : Principal moteur de l’activité, puisqu’elle représente plus de la moitié du PIB, la consommation des ménages est, quant à elle, restée étale. En dépit du net recul de l’inflation, en mars, les dépenses en biens des Français ont chuté de 1% en volume, retombant à « leur plus bas niveau depuis novembre 2024 » indique L’INSEE (…) En ce début d’année, le commerce extérieur, qui avait tiré l’activité en 2024 a, lui aussi, cessé de soutenir la croissance. Sa contribution a été négative de 0,4 points au premier trimestre avec des exportations en repli de 0,7% et des importations de nouveau en hausse de 0,4%. De même, à l’heure des restrictions budgétaires, la demande publique n’a quasiment plus augmenté (+0,1%) ».

Droits de douane et aléas climatiques fragilisent les vignerons

Tout comme les producteurs de fruits, les vignerons sont de plus en plus nombreux à subir des dégâts imputables aux gelées printanières tardives et aux orages de grêle, parfois plusieurs années de suite. Ce fut encore le cas cette semaine dans plusieurs zones viticoles du sud de la France. Un excellent vigneron du Bordelais, producteur dans le Blayais, nous annonçait l’an dernier qu’il était obligé de déposer le bilan après plusieurs années de réduction de ses récoltes pour cause d’intempéries. Une vigneronne alsacienne nous a indiqué l’an dernier qu’elle n’avait rien à vendre faute de récole en 2023, suite à des gelées printanières. Le 3 mai dernier, 250 hectares de vignes ont été victimes d’orages de grêle dans le seul département des Pyrénées Atlantique où sont implantées les appellations Jurançon en vins blancs et Madiran en rouge.
Selon une enquête publiée le 15 avril dernier par l’Agence de la transition écologique connue sous le sigle ADEME, les agriculteurs seraient en France les professionnels les plus « éco-anxieux » toutes professions confondues. Faut-il s’en étonner alors que les prix de vente de leurs produits ne tiennent pas compte de l’évolution des coûts de production , que les catastrophes climatiques peuvent détruire toute un récolte en quelques heures, que les prédateurs peuvent attaquer les troupeaux à tout moment et que des maladies contagieuses comme la Fièvre Catarrhale Ovine (FCO) frappe les ovins , les caprins et les bovins tandis que la « grippe aviaire » très contagieuse s’abat sur les volailles non vaccinées?
Laisser la loi de l’offre et de la demande au niveau mondial faire évoluer les prix payés à nos paysans revient à faire reculer notre souveraineté alimentaire déjà gravement mise en cause dans des filières comme le poulet, la viande ovine, les fruits et légumes, voire les viande bovines et porcines dans les toutes prochaines années.

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