Mixer à Notre-Dame de Paris, « le projet d’une vie » pour le DJ Michaël Canitrot
Il se présente parfaitement décontracté, le visage barré du sourire de ceux qui que la fierté porte. Samedi soir, Michaël Canitrot aura « l’immense honneur » de conclure le concert de la cérémonie de réouverture de Notre-Dame de Paris. Et par là même, d’apporter le bouquet final de la restauration de la cathédrale, cinq ans et demi après l’incendie. DJ passionné de musique et de patrimoine, qui depuis 2019 marie électro et monuments historiques avec son Monumental Tour, il entend mettre en valeur la merveilleuse architecture de la vieille dame avec ses sons et son dispositif lumière.
Ses prestations au Mont-Saint-Michel en septembre 2021, au premier étage de la tour Eiffel en décembre 2023 ou, plus récemment, à la cathédrale Notre-Dame de Laon, font de lui une référence dans le milieu des platines. Un virtuose dont l’imagination a dépassé les simples frontières de la musique pour y intégrer toute une valeur patrimoniale. Ses prestations ont convaincu les organisateurs de la cérémonie de samedi et le diocèse. Avec pour feuille de route de sublimer la tant attendue réouverture de ce lieu meurtri par les flammes, mais ressuscité par le formidable travail de l’Homme.
LE FIGARO. - Quand avez-vous appris que vous alliez mixer à Notre-Dame ?
Michaël CANITROT. - J’ai été contacté en début d’année par l’agence Publicis qui coordonne l’ensemble de la réouverture du monument. Ils souhaitaient me rencontrer et sont venus à mon spectacle à la cathédrale de Laon le 10 mai. Les discussions se sont ensuite accélérées il y a quelques semaines et j’ai appris il y a seulement quinze jours que j’allais effectivement me produire à Notre-Dame. Je travaillais ma copie depuis le début d’année. S’ils ne m’avaient pas choisi, je n’aurais rien regretté. Car c’est un exercice créatif qui est dans tous les cas extrêmement passionnant. J’avais donc déjà pensé à mes tableaux et à ma musique, mais la mise en place technique est très récente..
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Comment le vivez-vous ?
C’est un honneur immense : on parle de Notre-Dame de Paris. J’ai aussi ressenti de la pression. Pour la gérer, je me suis beaucoup préparé. J’ai eu la chance d’être accompagné par une équipe passionnée, motivée et investie. On ne réussit jamais rien tout seul. Derrière cette performance il y a une trentaine de personnes qui travaillent dans l’ombre. Tout le monde ressent un peu de stress, car on va passer en direct à la télévision, devant le monde entier. C’est le projet d’une vie. En termes de portée, cette date est donc beaucoup plus importante que toutes les autres de ma carrière.
À quoi devons-nous nous attendre samedi soir ?
Nous avons pensé à un spectacle habité par l’architecture, le lieu et le contexte de la réouverture. Je me suis donc inspiré, que cela soit musicalement et visuellement, d’éléments propres à la cathédrale : le son des cloches, les œuvres à l’intérieur, les voix de la Maîtrise Notre-Dame et le style classique. Je suis censé passer après une chorale gospel. Ma performance durera dix minutes. Je présenterai quatre tableaux différents mis en musique par des titres personnels que j’ai réarrangés pour l’occasion. J’ai aussi voulu traverser les époques. M’inspirer du passé, du présent et du futur pour faire ensuite dialoguer les différentes disciplines artistiques. Au final, c’est une œuvre universelle qui doit permettre de démocratiser la musique électronique et toucher un public au-delà des clubs et des festivals.
Avec Paul McCartney en invité « surprise » ?
Je ne sais pas, j’avais vu qu’il était annoncé au début et mais il n’y a rien de marquer dans le conducteur. Ce serait incroyable, à la hauteur de l’événement.
Où serez-vous installé ?
Sur le parvis de la cathédrale. La mise en scène se fera sur la façade principale. L’ensemble du monument, des murs latéraux à la flèche, sera également illuminé. Si vous vous positionnez de l’autre côté de la Seine, vous pourrez aussi profiter du spectacle. À Saragosse, j’ai joué devant plus de 40 000 personnes. Ici, je n’aurai pas de public car c’est un événement principalement télévisuel et diffusé à l’international. Je veux porter un message universel, que tout le monde puisse se retrouver dans ma musique et se dire « je veux revenir visiter Notre-Dame ». Il faut que des croyants, des non-croyants, jeunes et moins jeunes, s’identifient et veuillent redécouvrir la beauté du lieu. C’est le rôle de l’art.
Comment fait-on pour créer un tel spectacle en si peu de temps ?
J’ai visité Notre-Dame cet été lorsqu’elle était encore en chantier et j’ai voulu m’inspirer du travail fabuleux des artisans. J’ai eu des frissons quand j’ai pénétré son enceinte. J’ai aussi lu le livre d’Adrien Goetz sur Notre-Dame. Il ne m’a pas quitté. Pour le côté création, mes équipes et moi avons scanné le bâtiment et nous avons ensuite travaillé en studio sur tous les aspects visuels. L’assemblage de la lumière, de la musique et de la vidéo s’est fait en digital. On a eu quelques jours ensuite sur place pour pouvoir caler les détails. Mais 90 % du travail s’est fait sur des écrans. Je commence toujours par la musique, parce qu’elle dicte le reste. Et en général, nous passons six mois sur le visuel de chaque projet du Monumental Tour. Ici, nous avons dû opérer en seulement quinze jours.
Comprenez-vous que la présence d’un DJ à la réouverture de Notre-Dame de Paris puisse interloquer ?
Oui, totalement. Mais l’idée n’est pas de choquer. Il y a d’abord une différence entre l’intérieur et l’extérieur d’un tel monument. Mon rôle premier est de mettre en avant l’architecture, le génie humain derrière l’édifice. L’enceinte en elle-même est réservée au sacré, donc ce n’est pas un lieu pour ma musique et je ne m’autoriserais pas cela. Il faut aussi accepter les nouveaux genres musicaux. La musique électronique est la musique classique d’aujourd’hui. Amener ce style à Notre-Dame est aussi une manière de faire évoluer les mentalités. Si j’étais un musicien de jazz, vous ne m’auriez jamais posé la question. Il faut juste recontextualiser, montrer que nous sommes dans une génération nouvelle. Ma musique parle aux jeunes et mon spectacle peut les amener à s’intéresser au patrimoine. J’ai beaucoup échangé avec le diocèse, dont je salue l’ouverture d’esprit.
Peut-on faire mieux après cela ?
On peut toujours faire différent. Faire mieux, c’est plus difficile. Avec Notre-Dame, on touche le graal. En termes de symbolique, c’est immense. C’est un lieu que nous avons tellement vu et visité en étant petit. Jouer ici, c’est quelque chose de si particulier et unique. Sans oublier que Paris est ma ville d’origine et que ma famille sera présente pour m’encourager. Après, j’aimerais créer un spectacle au château de Versailles ou au Grand Palais. Il y a des trésors un peu partout dans le monde que nous n’avons pas encore exploités.
Qu’aurait dit le jeune Michaël s’il avait appris qu’il allait mixer un jour à Notre-Dame de Paris ?
Il se serait dit : « rien n’est impossible ». J’ai commencé dans un garage devant une dizaine de personnes qui dansaient. À cette époque, je sélectionnais les vinyles que mon père allait jouer à la radio. Il était lui aussi DJ. Quand je visitais des châteaux, des églises et autres monuments historiques avec mes parents en vacances, je n’imaginais pas une seule seconde me retrouver à mixer à Notre-Dame le 7 décembre 2024. Devant des millions de personnes ! J’aurais trouvé cela invraisemblable. Je pense que je réaliserai seulement dimanche matin ce qu’il m’arrive actuellement.