« Julie se tait » : Leonardo Van Dijl sort le tennis de l’emprise
Leonardo Van Dijl aime visiblement les prénoms féminins et le sport. Stephanie, le court métrage multiprimé qui l’a fait connaître dans les milieux cinéphiles, tournait autour d’une jeune gymnaste, tout juste lauréate d’une compétition et de son inadéquation avec un monde d’adultes trop grand pour elle. Son premier long métrage, Julie se tait, présenté à la Semaine de la critique cannoise, évoque la réaction d’une jeune espoir du tennis belge confrontée à la mise à l’écart de son entraîneur de club. Alors que tous s’interrogent sur les raisons de cette suspension, on lui demande de parler. Mais Julie opte pour le silence.
Dans ce film à la mise en scène clinique, le cinéaste belge s’intéresse à une communauté sportive mais aussi aux injonctions faites aux victimes d’abus à agir de telle ou telle manière. Van Dijl s’attache aussi au corps en mouvement et au cœur qui bat dans un cadre très pictural d’où émerge la musique de Caroline Shaw. Derrière des existences bouleversées par la violence, le réalisateur cherche un cocon où l’enfance et l’adolescence peuvent s’épanouir en toute sérénité.
Lors des grands événements sportifs, le sport est filmé comme un spectacle. Comment envisagez-vous de donner une crédibilité athlétique à vos personnages sans aller sur ce terrain ?
Je n’y réfléchis pas beaucoup. Je travaille simplement avec de vrais athlètes. Ils peuvent dire : « On ne fait pas de cette manière », quand on leur demande de réaliser un mouvement incorrect. Nous avons tourné en pellicule avec des acteurs non professionnels et un petit budget.
Cela oblige à être très bien préparé. Les répétitions m’ont permis d’aller vers plus d’authenticité. Dans les clubs de tennis où nous avons tourné, j’ai demandé à des entraîneurs leur avis sur des scènes. Cet investissement de la communauté tennistique m’a fait plaisir parce que l’histoire est assez sombre.
On pourrait l’interpréter comme une intention de nuire même si ce n’est pas le cas. Je trouve donc valorisant que Naomi Osaka (ex-numéro un mondiale) soit productrice exécutive ou que l’entraîneur Patrick Mouratoglou (coach pendant dix ans de Serena Williams, la tenniswoman la plus titrée de l’histoire), ait échangé avec nous autour de pratiques sûres pour les enfants.
Le son contribue également à cette crédibilité tennistique…
Les balles de tennis, c’est comme du free jazz ou une ballade pour explorer le contraste sonore. Ainsi, ce silence de Julie est extrêmement dynamique, parfois bruyant, valorisant, violent. Il ouvre beaucoup de perspectives.
Comment avez-vous travaillé avec la musicienne Caroline Shaw ?
Elle s’est illustrée dans beaucoup de styles différents. Elle fait de la musique classique, du spoken word, elle a gagné un prix Pulitzer de la musique et un Grammy. Elle a travaillé avec Paul McCartney, Rosalia. On a l’impression de la retrouver dans toutes les playlists Spotify. Lui demander de faire la musique d’un petit film belge était très ambitieux.
Elle m’a envoyé une chanson dont la place croît à chaque chapitre du film jusqu’à ce qu’on l’entende en intégralité. Je n’ai jamais demandé à Caroline ses intentions et où elle voulait en venir. Poser trop de questions aurait été comme essayer de lire dans le journal de Julie. Parfois, quand on obtient quelque chose de bien, on dit simplement merci sans demander son reste.
Quelle influence la thématique de l’emprise a-t-elle sur votre façon de fabriquer le film ?
En français, l’équivalent du mot « safeguarding » n’existe pas. La signification de ce mot, beaucoup plus large que « sauvegarde », la traduction littérale, englobe non seulement la prévention, mais aussi l’éducation et la responsabilité. J’ai beaucoup lu sur ce thème, sur la meilleure façon d’encadrer les enfants et sur leur psychologie pour comprendre comment ils pouvaient percevoir mon attitude et mes mots.
Cela m’a beaucoup aidé à faire ce film. Par exemple, il ne faut jamais être seul avec un enfant et toujours s’assurer de la présence d’autres personnes référentes dont on explique les fonctions à l’enfant. Il ou elle peut me poser des questions, mais aussi s’adresser à la personne tierce. De cette manière, on encourage le dialogue. S’il ou elle n’ose pas me demander la permission de partir plus tôt pour suivre une formation ou tout simplement pour aller aux toilettes, il ou elle peut s’adresser à d’autres personnes.
Ce fonctionnement ne sert pas qu’à protéger les enfants. C’est aussi une manière de me sentir plus en sécurité. Je ne suis pas tout seul à assumer les responsabilités. L’idée, c’est qu’on peut faire des films tristes d’une manière très amusante et productive. L’un des objectifs de Julie se tait, c’est de parler de ce « safeguarding » et de l’intégrer dans le débat public. Nous avons aussi besoin de l’appui de la classe politique qui doit fournir des outils et un cadre pour généraliser ce type de fonctionnement.
Vos plans sont très picturaux avec une forte présence de lignes…
On interprète souvent le film d’une certaine manière, mais beaucoup de ces choses sont simplement des coïncidences. Travailler avec des plans fixes et avoir des personnages qui se déplacent est une façon de donner aux acteurs le pouvoir de créer du mouvement.
J’ai souvent utilisé le langage du tennis pour traduire les intentions des personnages avec les comédiens : « Ici tu joues en défense, mais quand cette personne te demande ceci et que tu vois une ouverture, tu attaques avec cette réponse, puis tu montes au filet pour conclure le point et terminer cette conversation. » Je vois le tennis comme une métaphore de la dramaturgie.
Pourquoi avez-vous choisi de ne jamais filmer le court de tennis dans son intégralité ?
Je ne suis ni athlète, ni du monde sportif. J’appartiens au milieu du cinéma. Je voulais un style visuel différent de celui qu’on a l’habitude de voir en regardant un match de tennis à la télé, quelque chose de cinématographique.
J’ai chorégraphié des répétitions de gestes d’entraînement. C’était un peu stressant pour les acteurs qui avaient besoin d’aide pour relever ce défi sans envoyer la balle dans la caméra. Mais ce sont des athlètes fantastiques qui adorent ce type de challenge.
Julie se tait, de Leonardo Van Dijl, Belgique – Suède, 1 h 37, sortie en salles le 29 janvier 2025
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