Narcotrafic : deux députés insoumis et macronistes déclenchent la polémique en prônant la légalisation du cannabis

Neuf mois après le sévère constat de la commission sénatoriale sur le narcotrafic jugeant que la lutte contre les réseaux revient à « vider l’océan à la petite cuillère », trois mois après la sortie d’un rapport de la Cour des comptes qui pointait l’extension d’une gangrène gagnant les campagnes, un nouveau document, émanant cette fois de l’Assemblée nationale, va à rebours de tous les discours de fermeté qui siéent à la gravité de la situation. Signé par les députés Antoine Léaument (La France Insoumise) et Ludovic Mendès (apparenté Ensemble pour la République), ce rapport de quelque 300 pages, dévoilé ce lundi, assume vouloir mener une « véritable révolution » : plutôt que la «concentration des revenus dans le marché noir», il propose «la légalisation du cannabis  sous contrôle d’État ».

«Il ne s’agit pas de contester la nocivité de cette substance, mais d’offrir une réponse pragmatique», se défendent les auteurs. «Le courage politique commande de traiter enfin le sujet de la consommation, sans complaisance ni démagogie», assurent les deux élus qui sont parvenus à formuler 63 propositions, dont 46 communes. Sans ciller, les députés proposent la création d’une «autorité de régulation du cannabis» chargée de «délivrer les licences professionnelles aux producteurs et aux détaillants» mais aussi de «planifier la production et fixer les prix».

Les deux parlementaires jugent que la politique de Retailleau et Darmanin sur la lutte contre le trafic de stupéfiants est « en échec » puisque « la consommation de drogues est en augmentation et, avec elle, les revenus des trafiquants ». « Le cannabis est la drogue la plus consommée en France. Un Français sur deux en a déjà consommé au moins une fois dans sa vie. C’est un marché lucratif pour les trafiquants. La répression ne fonctionne pas », considèrent les deux co-rapporteurs qui préconisent donc d’en « légaliser l’usage et la détention à des fins personnelles, selon un modèle étroitement régulé par l’État ou une agence spécialisée ». Antoine Léaument et Ludovic Mendès proposent la « dépénalisation pour toute détention inférieure à 3 grammes de stupéfiants ». Fruit d’une mission d’information lancée en octobre 2023, le document suggère aussi, de manière moins surprenante, de renforcer les moyens de la justice et de « généraliser le recours aux scanners dans les ports », sur le modèle du Havre.

«Une faiblesse de l’esprit»

Sans surprise, ce rapport a été fraîchement accueilli. L’entourage du chef du groupe et du parti macroniste Renaissance, Gabriel Attal, contacté par l’AFP, a clairement pris ses distances vis-à-vis de ce rapport, soulignant qu’il n’a jamais été envisagé «une légalisation du cannabis pour lutter contre le narcotrafic». Il a en outre rappelé l’attachement de l’ancien premier ministre à l’examen rapide d’un texte contre le narcotrafic déjà adopté au Sénat. Gérald Darmanin a lui aussi tiré à boulets rouges sur la proposition lors d’un déplacement dans l’Orne. «C’est une faiblesse de l’esprit, pour ne pas dire une trahison de l’esprit, que de proposer la dépénalisation», a critiqué le garde des Sceaux, lui aussi membre de Renaissance.

Au ministère de l’Intérieur, l’hypothèse d’une dépénalisation est plus que jamais rejetée en bloc. Dès le 6 février dernier, à l’occasion de la présentation de la première campagne choc contre le narco banditisme, la consommation et les trafics de stupéfiants, Bruno Retailleau a martelé que «la légalisation, c’est la voix de l’échec ». « Les narcos n’attendent que cela », prévient le premier flic de France qui rappelle, au passage, que la légalisation s’est traduite au Canada par une augmentation de 40% de l’offre illégale et une hausse de 75% des trafics en Californie.

L’année dernière les infractions liées aux stupéfiants ont bondi de 10% pour l’usage et de 6% au niveau des trafics

Médecin de santé publique, Nicolas Prisse, président de la Mildeca (mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives) a lui aussi affiché son refus face à la légalisation du cannabis, qu’il assimile à une « fausse bonne idée, fondée sur de fausse information ». Le clip de la nouvelle campagne de lutte contre la drogue est d’ailleurs taillé sur mesure pour frapper les esprits. Lancée par le ministère de l’Intérieur et dévoilée par Bruno Retailleau, l’opération entend «responsabiliser les consommateurs» et de «leur faire prendre conscience de leur culpabilité» lorsqu’ils nourrissent une économie mortifère en fumant un joint «récréatif» ou en sniffant un «rail» de cocaïne.

À l’opposé du rapport des deux députés Insoumis et macroniste, qui estime que la « pénalisation (…) participe à la stigmatisation du consommateur », Bruno Retailleau affiche plus que jamais la fermeté. Le premier flic de France se félicite que plus de 652.000 consommateurs ont déjà reçu une amende forfaitaire, « avec une mention dans leur casier judiciaire ». « Le taux de recouvrement, en hausse, atteint désormais les 53%, confie-t-on place Beauvau, mais le ministre d’État souhaite désormais que l’on arrive à 100% ».

Cette volonté farouche est liée à la violence du tsunami de drogue qui déferle dans le pays. L’année dernière les infractions liées aux stupéfiants ont bondi de 10% pour l’usage et de 6% au niveau des trafics. Concernant le cannabis, 101 tonnes (-19% par rapport à 2023) ont été saisies en 2024 tandis que le trafic de cocaïne a explosé de 130% en un an avec 53,5 tonnes confisquées. Dans le même temps, les saisies d’ecstasy ont elles aussi flambé de 123% par rapport à 2023, avec plus de 9 millions de comprimés saisis l’année dernière.

En 2024, le trafic a été éclaboussé de sang

«Derrière les paradis artificiels, il y a un enfer bien réel, répète à l’envi le premier flic de France. Évoquant la récente tragédie du garçonnet de cinq ans touché de deux balles dans la tête lors d’un règlement de comptes entre dealers, celui qui se présente comme le «ministre de l’ordre public» est catégorique: «Au bout du joint, du rail de coke, il y a le canon des armes à feu, des morts et des chemins de sang».

Fin janvier dernier, le maire de Grenoble Éric Piolle a appelé Emmanuel Macron à organiser un référendum sur la légalisation du cannabis, en reprochant aux derniers ministres de l’Intérieur de se contenter de « coups de menton» contre le trafic de drogue. Alors que sa ville régulièrement endeuillée par des règlements de compte liés au trafic de stupéfiants, l’édile écologiste, accusé de laxisme par la droite, refuse obstinément d’augmenter les caméras de surveillance et d’armer ses policiers municipaux. À l’occasion d’un échange «viril mais correct » en marge de sa visite, vendredi dernier dans la capitale du Dauphiné, secouée par une attaque à la grenade dans un bar, le ministre de l’Intérieur lui a redit sa farouche opposition à la légalisation d’un marché mortifère. En 2024, le trafic a été éclaboussé de sang avec 367 assassinats et tentatives d’assassinats. Soit un par jour, se soldant par un bilan vertigineux de 110 morts et 341 blessés.