REPORTAGE. "Après réflexion, je me suis dit qu'il faut agir" : en immersion avec ces Français engagés "au cœur de l'action" dans l'armée ukrainienne
Quand de jeunes Français rejoignent l'Ukraine pour combattre la Russie, loin de toute perspective de paix. Pour la première fois, franceinfo a pu rencontrer tout un groupe de Français sur un terrain d'entraînement, près de Kiev. Parmi eux, certains sont d'anciens militaires, d'autres sont de simples civils. Ils sont en train d'être formés par le renseignement ukrainien et mèneront bientôt des opérations d'assaut sur le front.
Ils marchent dans les fourrés, puis courent d'un bout à l'autre d'une prairie située dans la région de Kiev, en treillis militaire, casque, arme, gilet pare-balles et sac à dos. Un peu plus loin, couchés dans l'herbe, en position au pied d'un arbre, quelques mots sont échangés en français, mais les consignes du chef d'équipe, elles, sont criées en anglais. "Là, en gros, on a progressé d'un environnement de type forêt et on a fait des bonds en avant, explique, une cagoule pour masquer son visage, un jeune homme de 26 ans qui se présente sous le nom de "Bravo 2". On va travailler ensemble par binômes sur une phase de reconnaissance, c'est-à-dire qu'on ne sait pas s'il y a présence ennemie ou pas, et puis on va tomber sur un ennemi de façon hasardeuse."
"Tout ce qui est militaire, je l'ai découvert en Ukraine"
Sept Français, une configuration rare, forment ensemble ce groupe tactique baptisé "Revanche internationale". C'est l'une des unités du renseignement ukrainien, qui prépare au terrain des volontaires étrangers. Avant eux, il y a eu des Brésiliens, des Américains, des Portugais, détaille un représentant ukrainien, avec des parcours très différents, selon les recrues. Certains ont été militaires précédemment, mais ne le diront pas. D'autres sont de simples civils, comme ce quasi-trentenaire aux larges épaules, et qui a lui aussi pioché son alias dans l'alphabet international, Alpha, Bravo, Charlie : "Je me nomme Charlie 2, originaire de l'Île-de-France, du Val-de-Marne." Simple policier, il n'a jamais suivi de formation militaire en France, rien d'autre que sa journée obligatoire de défense, "journée d'appel, comme tout citoyen français", précise-t-il. "Tout ce qui est militaire, je l'ai découvert en Ukraine."
Il est arrivé dans le pays il y a cinq mois. "J'ai déjà eu quelques missions et un contact avec les Russes. Là, je reprends une formation initiale dans tout ce qui est renseignement et reconnaissance. Et si je suis ici, c'est pour défendre la souveraineté de l'Ukraine. Je suis là pour de nouvelles aventures, voir ce qu'est le bloc de l'Est, changer de la vie quotidienne d'un français ordinaire...", raconte Charlie 2.
Têtes brûlées ou têtes sur les épaules ?
Parmi les profils de ces volontaires, pas de têtes brûlées : ce sont des gens sérieux, dans une formation qui l'est tout autant. D'ailleurs, un autre Français, Alpha 2, revient se former ici, alors qu'il se bat déjà aux côtés des Ukrainiens depuis plus de deux ans et demi : "Je suis tombé amoureux de ce pays. Ce pays est magnifique, en fait, il faut le protéger. Si la Russie gagne, c'est toute l'Europe qui est menacée."
Écusson bleu blanc rouge sur l'avant-bras, il raconte avoir servi dans le 3e bataillon de la Légion internationale, dès 2022 : "J'ai contribué à la libération de Koupiansk, nous y sommes allés plusieurs fois. Et j'ai reçu la médaille d'ancien combattant à Borova. Maintenant, je veux mon équipe, je veux que tous les guerriers augmentent de niveau. Je veux qu'ils se spécialisent parce que j'ai vu le combat de tranchées et ça manquait vraiment d'entraînement. Malheureusement, les Ukrainiens vont très rapidement au front et, en fait, c'est l'enfer de la guerre. Il y a des morts et des blessés et moi je veux que mes gars s'entraînent, qu'ils s'entraînent..."
"J'ai fait, disons, trois ou quatre campagnes militaires."
Alpha 2, Français qui s'entraîne avec l'armée ukrainienneà franceinfo
L'entraînement, c'est précisément l'argument de cette unité pour attirer des volontaires étrangers, une formation plus longue que ce que propose habituellement l'armée ukrainienne. On n'y lésine pas sur les moyens : possibilité de s'exercer à la vision nocturne, pas de rationnement pour les balles à l'entraînement, un assaut est simulé, le groupe tire à balles réelles sur des cibles et doit soigner d'urgence un camarade blessé. Et ils sont très motivés. "Vous ne trouverez aucun Français qui vient ici pour rester dans un bureau, assure le chef ukrainien de l'unité d'assaut, alias Kuzhuma. Ils veulent tous être au cœur de l'action, sur la ligne de front, pour accomplir ce qu'il y a de plus difficile et de plus important : l'assaut et la défense. Ils apprennent facilement, ils absorbent vite l'information. En plus, ils sont bien préparés physiquement ! Donc je pense qu'ils seront très bons pour ces opérations spéciales. Le plus important, c'est que tout le monde survive et en sorte indemne."
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Place à l'exercice : "Check your weapons !". Et quand on leur demande si ça leur fait peur, Bravo 1 répond "évidemment, un gars qui n'a pas peur est un con". Il est tout jeune, 20 ans, et en Ukraine depuis quelques semaines seulement. "Mais justement aussi la peur, elle se travaille. Avec cette unité, on est amené à partir que quand l'unité complète est prête", explique-t-il.
"Je pense que nous aimerions tous qu'en cas d'invasion de la France, des hommes viennent nous aider comme nous le faisons."
Bravo 1, 20 ansà franceinfo
Bravo 1 n'avait donc que 17 ans quand la Russie a envahi l'Ukraine. Frappé par la violence du conflit, il confie que c'est pour cette raison qu'il est venu combattre : "On voit des civils se faire tuer tous les jours, des enfants. Les Russes, eux, ne font pas de cadeaux. Et moi, après trois ans de réflexion, je me suis dit, en fait, il faut agir. Et si c'était arrivé en France, je pense qu'il y aurait eu quatre fois plus d'aide."
Les négociations pour la paix ? Tout cela est très loin d'eux. "Tant que la guerre continue, nous : on s'entraîne !", disent-ils. Au sein de cette unité liée au renseignement ukrainien, Bravo, Alpha, Charlie et les autres ne savent pas encore où et quand précisément, mais ils partiront dans quelques mois, probablement vers la ligne de front.