« On ne parle plus de cinéma ». Invité au micro de France Inter ce mercredi 12 mars, le réalisateur Jacques Audiard est revenu sur la campagne mouvementée pour les Oscars de sa comédie musicale Emilia Pérez . « Sur ce film, j’ai fait l’expérience du changement de paradigme, a lancé le cinéaste. Il y a une dizaine d’années, mon film Un Prophète était aussi à Los Angeles. C’était dur, c’était compétitif. Mais c’étaient des bisounours à l’époque. »
Aujourd’hui, Jacques Audiard reproche à la cérémonie des Oscars de s’écarter de « l’objectif, qui est le cinéma ». « C’est une guerre ouverte entre les productions, les distributeurs, les studios. Et ça, c’est usant », remarque-t-il au micro de la journaliste Sonia Devillers. Le cinéaste enchérit : « Il faut être prêt à dégainer les plus grosses saloperies contre l’autre. Ce n’est pas un jeu équitable. Mais c’est comme ça. C’est le nouveau système. Heureusement, on y croise encore nos confrères et consœurs, qui sont jetés dans la même fosse. Ce sont les gens autour, ceux de l’industrie et du capital, qui vont créer cette tension. »
Jacques Audiard a « adoré travailler » avec Karla Sofía Gascón
Considéré comme l’un des grands favoris de la 97e cérémonie des Oscars avec 13 nominations, Emilia Pérez a essuyé un échec notable en récoltant seulement deux statuettes, l’une pour Zoe Saldana (meilleure actrice dans un second rôle), l’autre pour El Mal (meilleure chanson). Le film a payé l’exhumation de messages à connotation raciste et islamophobe, datant de plusieurs années, sur les réseaux sociaux de son actrice principale Karla Sofía Gascón.
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Jacques Audiard maintient toutefois avoir « adoré travailler » avec cette « très grande actrice, composée d’une chose originale qui vient de sa vie même et qui propose un type d’émotion» qu’il n’a « jamais rencontré ». Le réalisateur français, qui a accusé Karla Sofía Gascón d’être « dans une démarche d’autodestruction » en février, espère qu’elle pourra, à l’avenir, être « économe de sa parole, ce que parfois elle n’est pas ».
Manque de respect aux Mexicains ?
Emilia Pérez a également pâti de sa mauvaise réputation au Mexique où il lui a été reproché d’avoir nourri les stéréotypes sur les disparitions massives liées au narcotrafic dans le pays et d’avoir manqué de respect à sa communauté. Face à cette récrimination, Jacques Audiard a expliqué avoir voulu trouver «un nouveau souffle», dépasser les « faits-divers » pour raconter ce fléau. « Il y a quand même 3000 féminicides par an et 160 000 disparus, ce n’est pas rien, explique le cinéaste. Ils vivent dans cette tragédie, mais nous ici on ne le sait pas. Donc je me suis dit : “Comment parler de ça ?”, “Comment trouver une forme ?”, et la seule forme que j’ai trouvée c’est l’opéra. »
« Il y a quand même 3000 féminicides par an et 160 000 disparus, ce n’est pas rien »
Jacques Audiard
L’actrice Zoe Saldana s’était, elle, excusée auprès du peuple mexicain au moment de recevoir son Oscar le 2 mars dernier à Hollywood. « Je suis vraiment désolée que vous et tant de Mexicains vous soyez sentis offensés. Cela n’a jamais été notre intention. Nous sommes venus par amour et je maintiens cela », avait-elle déclaré. Avant d’ajouter : « Je ne partage pas votre opinion. Pour moi, le cœur de ce film n’était pas le Mexique. Nous n’avons pas réalisé un film sur un pays, nous avons réalisé un film sur quatre femmes, et ces femmes auraient pu être russes, dominicaines, noires de Détroit, israéliennes ou de Gaza. »
Bande-annonce d’Emilia Pérez (2024)