« Les gens sont prêts pour la suite » : Damso présente BEYAH, son dernier album avant d’autres aventures
Le quartier de Montmartre grouillait de monde mardi soir et l’occasion était bien particulière. Depuis trois ans, les fans de Damso attendent la sortie de ce qu’il clame être « le dernier album de sa carrière ». Quelque 1300 personnes, identifiées par la plateforme Deezer comme étant « les plus fidèles » du rappeur belge, étaient invitées au Trianon pour une session d’écoute de BEYAH, l’ultime disque réalisé par ses soins qui sortira vendredi. Rendez-vous aussi exclusif que confidentiel.
Vêtu d’un jogging noir et de lunettes de soleil, « Dems » se présente à la foule très décontracté. Il va « très, très bien » et il est « en forme ». Il vient pourtant faire son « deuil » devant ses fans en leur présentant son disque. « Je laisse mon enfant grandir, lance-t-il. Il va se trouver une meuf. Je suis comme une maman qui a décidé de ne plus faire d’enfant après. » Un deuil longtemps repoussé. L’année dernière, alors qu’il était officiellement en pause, Damso a sorti deux EP. Un florilège de vieux sons, puis J’AI MENTI, composé de neuf titres. « C’est le dernier, explique-t-il aujourd’hui en parlant de BEYAH. Le format ne me parle plus. C’est le challenge qui me parle. Le son qui m’intéresse. »
Sur la scène du Trianon, le rappeur déclare vouloir se concentrer sur son travail en studio et substituer ses talents d’interprète par ceux de compositeur et de producteur. Il n’arrête donc pas totalement la musique, mais change de registre. Il proposera au public de le rejoindre lors des sessions d’enregistrements : « c’est très humain, c’est gratuit, c’est ça que j’aime ». Dernier album ou pas, Damso annonce naturellement qu’il « bosse sur une tournée » et promet une date à Paris La Défense Arena, salle de concert de 40 000 places, plutôt qu’au Stade de France, car il n’y « aime pas le son ». Une belle manière d’achever cette partie de sa carrière musicale.
« Faire du rap, pour moi, ce n’est pas dur »
Dans BEYAH, Damso fait ce qu’il sait faire de mieux : rapper. « Faire du rap, pour moi, ce n’est pas dur », affirme sans modestie le Belge. Il baigne dans cet univers depuis 2006. « Ça fait des années que je suis dans le métier », dit-il, en fin observateur, dans l’un de ses nouveaux titres, intitulé Wolof. Après ses débuts sur Poséidon avec le mastodonte du genre Booba il y a dix ans, William Mwamba s’est forgé l’une des signatures les plus emblématiques du rap francophone cette dernière décennie.
Victoire de la musique en 2019 pour son album Lithopédion, disque de platine pour Batterie Faible et disque de diamant pour Ipséité, il a collaboré avec le gratin de l’industrie musicale. Côté rap, il s’est associé à Gazo, Zola, Werenoi, SCH, Kalash ou encore Disiz. Damso mélange également sa voix avec celle de sa compatriote Angèle, dans Démons, Silence et Tout tenter. On le voit encore aux côtés de la « reine » Aya Nakamura sur le morceau Dégaine. Le rappeur se vante ainsi d’avoir « marqué le rap français ». Ce qui n’est pas faux.
Démons - Angèle et Damso (2021)
Engagement pour le Congo et le Sidaction
Avec sa manière bien à lui et une dose de sincérité, valeur qui n’est pas la mieux partagée sur la scène rap. « Quand quelque chose me touche, je le fais », nous dit-il. Il a, par exemple, confié être « Asperger » dans le titre Damsautiste, conclusion de son dernier EP J’ai menti, sorti fin 2024. En février, il s’est associé aux rappeurs Gradur, Ninho, Josman, Youssoupha et Kalash Criminel dans le morceau Free Congo, message d’alerte sur la situation dans l’est du Congo, où la guerre sévit depuis des années. Lorsqu’il avait fait ses bagages pour la Belgique au tournant des années 2000, Damso fuyait son pays natal en raison de ce conflit armé. Dans ses morceaux, le rappeur évoque des « tirs de kalash [qui l’]empêchaient de rêver » (Graine de sablier), ou encore une « enfance pas tranquille, coup de feu, je n’ai plus peur » (BruxellesVie). Dans T’es mon del, onzième chanson de BEYAH, il écrit emmener « sa famille loin du désespoir ».
Free Congo - Gradur x Ninho x Josman x Youssoupha x Kalash Criminel x Damso (2025)
Autre cause, Damso a composé et produit l’hymne du Sidaction 2025 en mars. Intitulé Grand Soleil, le morceau réunit 18 artistes engagés dans la lutte contre le sida : Youssoupha, Kalash Criminel, El Grande Toto, Fally Ipupa, Lous and the Yakuza, Médine, Adèle Castillon, Charlotte Gainsbourg, Eddy De Pretto, Eva, Hoshi, Juliette Armanet, Louane, Lucky Love, Pierre de Maere, Pomme et le duo Amadou et Mariam. Cette chanson affiche « sa foi dans la diversité» et « rétablit des traits d’union entre les identités, les frontières géographiques et les genres musicaux en apparence éloignés », indiquait le Sidaction. « Free Congo, on me le propose, ça me touche, je le fais. Le Sidaction, c’est pareil », explique simplement Damso.
Grand Soleil - Damso & Sidaction (2025)
« Je voulais impressionner ma go »
« L’engagement, c’est aussi le beau », lance-t-il avec lyrisme aujourd’hui. On peine à croire que c’est le même homme qui s’était vu confier la création l’hymne officiel de l’équipe de football belge pour la Coupe du Monde. Avant que la fédération décide de rompre sa « collaboration » en raison des propos « sexistes » sur ses albums. Ce qui a changé, de son propre aveu : Damso vit désormais le grand amour avec Milla Lapidus, 22 ans, dernière d’une lignée qui a marqué la mode française. Cette jeune femme, qui se « laisse dix ans pour devenir une James Bond Girl », comme elle l’affirmait en février 2024, l’a profondément inspiré depuis leur rencontre.
Avant qu’elle arrive, c’était très dark. Je n’allais pas forcément bien. Je voulais arrêter
Damso
« Avant qu’elle n’arrive, c’était très dark, raconte Damso. Je n’allais pas forcément bien. Je voulais arrêter l’écriture de l’album. Milla m’a dit “Tu peux faire autre chose”. » L’artiste a d’abord opéré un changement de style musical et a abordé d’autres thèmes. « Je voulais impressionner ma go (copine, NDLR), tranquille », plaisante-t-il, soulignant qu’il a même rappé tout un couplet en espagnol pour elle. Le résultat : le huitième titre de l’album, YA TENGO SENTIMIENTOS. Que les fans se rassurent, il reste quelques « bêtises » dans BEYAH, où les mentions à l’entrejambe des copines ou la vie sexuelle des mamans fleurissent ça et là.
« Je suis plus épanoui dans ce que je fais »
Mais le rappeur belge veut avant tout « s’amuser ». Dans ce dernier album, il fait d’ailleurs plusieurs dédicaces à ses confrères. En l’espace de trois morceaux, Frère, VIE OLENCE et T’es mon del, Damso dit être « Congolais comme Ninho et Leto ». Il cite un autre rappeur : « Kalash est crimi. ». « Ce monde est cruel », poursuit-il en référence à Vald. « Ce monde est méchant, partir en Jefe », pour son ami Ninho. « Les singes viennent de sortir du zoo », clin d’œil à Kaaris. Freeze Corleone est aussi cité.
Venez on teste des choses, on touche tous les boutons
Damso
Damso enrobe le tout avec des guitares classiques, électriques, ou encore du piano. « Je kiffe la découverte », s’exclame-t-il. Les styles afros et reggaeton sont très présents. Le rappeur prend même un risque en faisant appel à l’intelligence artificielle pour réaliser « les chœurs aigus » du cinquième morceau de l’album, Magic. Mais là encore, c’est pour « s’amuser ». « Avant de réfléchir si l’IA est bien ou pas bien, redevenons des enfants, suggère Damso. Pourquoi se faire chier à réfléchir ? Venez, on teste des choses. Venez, on touche tous les boutons. »
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« BEYAH est l’album où je me suis senti le mieux dans ma vie en le faisant, témoigne-t-il. Ma curiosité est différente, plus ouverte. Je suis plus épanoui dans ce que je fais. Ça se ressent. Je ne me suis jamais retrouvé dans une situation où je me sens bien. Ça fait plusieurs matins que je me lève en ayant aucune chose à reprocher à Dieu. Je ne me suis jamais senti comme ça dans ma vie. Je suis plus abouti. » Son nouvel album alterne les rythmes. Doux, comme dans le titre Police, où il est « victime d’un cambriolage » car une femme lui « a volé [son] cœur ». Plus percutants comme dans VIE OLENCE, un mélange de trap et de drill très entraînant. Damso estime faire « du Damso d’Ipséité » et « du Damso de Lithopédion », probablement deux de ses meilleures périodes.
O. Macarena - Damso (2017)
Ouverture vers le cinéma
Prenant de la distance avec la musique, Damso caresse aussi l’idée se tourner vers le cinéma. « Clairement, je m’engage à y aller », assure le rappeur. Le 20 mai, il a présenté un projet du genre intitulé R.E.M. Un court-métrage de science-fiction de 34 minutes qui a pour thématiques le pouvoir, la technologie et les dérives sociétaires. Dans le synopsis du film réalisé par Christophe Deroo et dont Damso est le producteur, on lit que « l’ancien système monétaire est remplacé par le BĒYĀH, un réseau neuronal interconnecté, implanté directement dans le système nerveux des humains ». « Tout bascule lorsqu’Ella Aster, la plus importante influenceuse du réseau BEYAH, est retrouvée morte, lors d’une soirée exclusive marquant le retour de Damso», poursuit le résumé.
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Les curieux découvriront le court-métrage sur Internet. Enfin peut-être. Damso assure que l’épisode pilote sera publié une fois qu’il aura « dormi » et que huit autres devraient suivre. L’artiste belge posait discrètement ses jalons dans le milieu du septième art depuis plusieurs années. En 2020, il évoquait Hollywood dans son titre 911. Dans BEYAH, il cite Christopher Nolan au début de Wolof. Il y a quelques jours, le rappeur foulait le tapis rouge du festival de Cannes. « Les gens sont prêts pour la suite», assure Damso. « Je suis trop content de ce que je viens de voir », ajoute le rappeur, évoquant l’engouement que suscite son arrivée sur le grand écran. À 33 ans, il n’est bien sûr pas trop tard pour se lancer dans une nouvelle vie.
Bande-annonce de R.E.M - Damso