TÉMOIGNAGE. Colère des agriculteurs : "Ce ne sont pas les normes qui tuent les paysans, c'est le manque de revenu", selon un éleveur membre de la Confédération paysanne

Tous les agriculteurs partagent-ils les revendications portées par la FNSEA, les JA et la Coordination rurale cet automne ? Ces trois syndicats se font le plus entendre pour ce deuxième acte de la colère agricole, notamment parce que ce sont les principaux. À eux trois, ils ont obtenu plus des trois quarts de voix lors des dernières élections professionnelles en 2019.

Mais si ce sont les plus audibles, c'est aussi parce que le quatrième syndicat de la profession, la Confédération paysanne qui représente 20% des agriculteurs, ne porte pas les mêmes revendications. "Et il faut être honnête, la majorité des agriculteurs aujourd'hui ne sont pas syndiqués, avance Sylvain Ratheau, tête de liste de la Confédération paysanne dans la Nièvre pour les prochaines élections professionnelles en janvier prochain, donc ils sont tout simplement nulle part."

Si tous les paysans rencontrent les mêmes difficultés, "on est d'accord sur le constat, mais pas sur les solutions", affirme Sylvain Ratheau, qui est lui-même éleveur de vaches charolaises dans le département bourguignon. Franceinfo a rencontré cet agriculteur de 44 ans, installé depuis bientôt 20 ans, au milieu de ses prés où broutent ses animaux.

franceinfo : Que pensez-vous de la colère agricole surtout portée par le FNSEA, les JA et la Coordination rurale ?

Sylvain Ratheau : Il y a de la surenchère entre les syndicats puisqu'il ne faut pas l'oublier quand même, il y a les élections qui arrivent au mois de janvier. Et nous, on porte un regard extérieur et un peu rigolard puisqu'aujourd'hui, ils se battent contre le Mercosur et contre toute sorte de normes, en fait ils découvrent qu'ils sont contre le libre-échangisme, ce qu'on a toujours dénoncé à la Confédération paysanne.

La Confédération paysanne se désolidarise-t-elle du mouvement agricole actuel ?

On a quand même quelques actions sur le terrain. On a des départements qui se sont également battus contre le Mercosur, qui font des actions pour dénoncer les surmarges dans certaines grandes surfaces. Et dans notre département, on a choisi plutôt d'informer les paysans et de communiquer avec eux.

"Effectivement, nous ne sommes pas sur le terrain en ce moment, mais je ne dis pas que nous n'allons pas sortir non plus."

Sylvain Ratheau, agriculteur et membre de la Confédération paysanne dans la Nièvre

à franceinfo

Les prochaines actions de la colère agricole, les 9 et 10 décembre prochains, sont annoncées par la FNSEA qui veut aborder la question des revenus...

J'ai envie de dire enfin ! Ils vont parler de revenu puisqu'ils n'en n'ont jamais parlé. Ils nous parlent de normes et de mal-être qu'ils ont souvent orchestré. Aujourd'hui ils parlent de revenu, mais il faut se rappeler que ça fait 70 ans qu'ils dirigent l'agriculture et peut-être que les problèmes de revenus et de mal-être paysans, ils en ont une grande part de responsabilité.

Et justement le revenu, c'est l'un de vos combats à la Condération paysanne ?

Mais c'est l'essentiel ! Pour qu'un paysan se sente bien, déjà il faut pouvoir vivre dignement de son métier. Pour beaucoup, c'est la galère et, il faut être honnête, aussi parce qu'on les a encouragés dans un système qui les mène droit au mur.

Mais pour faire entendre la voix des agriculteurs, est-ce qu'il ne vaudrait pas mieux porter des revendications communes tous ensemble ?

Sur certaines revendications, on pourrait se joindre aux autres syndicats car on est d'accord sur les constats : manque de revenus et mal-être agricole. C'est sur les solutions qu'on peine plus à trouver des accords. Et quand certains nous disent moins de normes, nous, on dit plus d'attention aux paysans puisque ce n’est pas forcément les normes qui tuent les paysans, c'est vraiment le manque de revenu.

Que propose la Confédération paysanne face au manque de revenu ?

On propose de réinstaller des paysans et de démanteler certaines grandes fermes. Chez la FNSEA, quand Arnaud Rousseau vient parler des petites fermes et que lui, il a 700 hectares... Commençons déjà à avoir une meilleure répartition de la PAC et ça ira déjà beaucoup mieux pour beaucoup. Il faut mieux répartir et repenser aussi les méthodes de production, bien sûr. Reparler environnement, ce n'est pas un gros mot de parler de notre environnement. Si aujourd'hui, quand la FNSEA dit que les haies sont des contraintes, mes voisins et moi, on ne vit pas les haies comme une contrainte, au contraire, ça permet aussi d'avoir de la biodiversité, des abris...

Êtes-vous vous-même concerné par la difficulté de boucler vos fins de mois ?

Comme les autres, j'ai subi l'inflation depuis 2020 et la sortie du Covid. Moi, j'ai une petite chance, ça fait bientôt 20 ans que je suis installé. J'ai fait des emprunts, mais j'ai fini d'en payer la plupart. Donc aujourd'hui, le revenu de la ferme va un peu mieux. Mais on subit les charges de plein fouet et aussi la montée des tarifs.

Et vous vous organisez pour faire en sorte de ne pas être seul ?

On est 17 paysans des alentours à être dans une Coopérative d'utilisation de matériel agricole, une "Cuma". C'est-à-dire qu'on a tout notre matériel en commun, ce qui permet largement de réduire les charges et d'avoir du matériel performant. Et ça permet d'avoir de l'ouverture car on n'a pas tous les mêmes idées, il y a des gens à la FNSEA, d'autres à la Coordination rurale également.

"On se libère des grosses contraintes de travail en étant tous ensemble."

Sylvain Ratheau, à propos de la "Cuma"

à franceinfo

Et il y a aussi toute l'entraide, on travaille tous ensemble. Dans une grande parcelle de 20 hectares comme celle-là, je fais du foin tous les ans. Grâce aux collègues, on la fait en même pas une journée. Donc ça permet aussi ce travail et cette bonne entente. Et ça permet de rigoler aussi, ça compte énormément.

Et vous comptez aussi sur votre femme ?

Elle me donne un gros coup de main. Il faut être honnête, elle m'aide énormément dans les papiers et la comptabilité de la ferme, c'est un travail bénévole. Et beaucoup de fermes se structurent malheureusement avec ce travail bénévole. Si demain toutes les fermes devaient comptabiliser ce travail bénévole, je pense que plus rien ne serait viable.

Malgré tout ce que vous décrivez, vous semblez plein d'espoir...

Je fais partie de ceux qui sont contents de se lever le matin. Bien sûr, je suis sept jours sur sept sur l'élevage, mais je ne le vis pas comme une contrainte. J'ai espoir un jour que j'aurais un, deux ou trois enfants, puisque j'ai trois enfants, qui vont reprendre la ferme. Je continue à penser que ça reste le plus beau métier du monde.

"On est des acteurs du monde rural."

Sylvain Ratheau, éleveur de vaches dans la Nièvre

à franceinfo

On aura toujours besoin de paysans. Et je les souhaite largement plus nombreux. À la Confédération paysanne, on parle d'un million de paysans d'ici 2030, ce n'est pas une utopie car ça a existé jusque dans les années 90. Pourquoi pas y revenir et on aura du monde dans nos campagnes. C'est maintenir une école ouverte, c'est maintenir des hôpitaux ouverts, c'est maintenir des services publics de proximité. Et puis c'est avoir des voisins. Moi, j'ai plus besoin de voisins que d'hectares.